Cours du 23 novembre 2011

 

4. De la coexistence à l'objectivité (16ème au 20ème s.)

 

Les descriptions détaillées et précises du monde musulman deviennent de plus en plus précises, même dans la littérature, à partir du 16ème s.

En 1670, Molière prend la peine de transcrire de vraies phrases turques dans son Bourgeois Gentilhomme. Goethe compose le Mahomets Gesang en 1774, et le Westöstlicher Diwan en 1819.

Naissance d'un réseau orientaliste

La première chaire d'arabe est créée à Paris en 1539 au Collège de France pour Guillaume Postel. Peu avant, en 1538 avait paru la première grammaire arabe (en latin). Le Hollandais Thomas van Erpe (1584-1624) publie la deuxième grammaire arabe. Le pape Urbain VIII fonde à Rome le Collège de la Propagande, actif centre d'études de l'islam, en 1627.

Les Mille et Une Nuits sont traduites pour la première fois en 1704-1717 par Antoine Galland (1646-1715).

Richard Simon (1638-1712) exposa pour la première fois la foi et les rites des musulmans d'après l'ouvrage d'un théologien musulman sans injures ni dénigrement, dans son Histoire critique de la créance et des coutumes des nations du Levant, 1684.

L'arabisant néerlandais Adriaan Reland fit la même chose, mais avec une compétence supérieure.

Le philosophe Pierre Bayle donne dans son Dictionnaire critique (1697) la première biographie objective de Mahomet.

De la tolérance à l'admiration

La tolérance de l'empire ottoman pour toutes sortes de minorités religieuses est donnée en exemple aux chrétiens par Bayle et d'autres. C'est l'époque où, suivant l'exemple des juifs espagnols deux siècles plus tôt, les calvinistes de Hongrie et de Transylvanie, les protestants de Silésie, les cosaques vieux-croyants de Russie cherchent refuge en Turquie pour fuir les persécutions catholiques ou orthodoxes.

L'islam est alors regardé comme une religion rationnelle, éloignée des dogmes chrétiens les plus opposés à la raison, admettant un minimum de conceptions mythiques et de rites mystiques, conciliant l'appel à une vie morale avec un respect raisonnable des exigences du corps, des sens et de la vie sociale.

Lady Montagu, à Constantinople, fut la première à pénétrer le monde féminin musulman et le décrivait sans mystère, ni mythes.

Essor de l'orientalisme

Fondation de la première revue spécialisée Fundgruben des Orients (1809-0818) par l'Autrichien Josef von Hammer-Purgstall (1774-1856).

Suivirent en 1822, le Journal Asiatique

En 1834: le Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland,

En 1847: la Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gsellschaft.

La colonisation européenne

En 1830, c'est la prise d'Alger par les Français.

Le phénomène qui caractérise le plus la vision européenne de l'orient, à partir du milieu du 19ème s., c'est l'impérialisme. La supériorité économique, technique, militaire, politique et culturelle de l'Europe devient écrasante, tandis que l'orient s'enfonce dans le sous-développement.

Les milieux chrétiens attribuent très rapidement le succès des nations européennes à la religion chrétienne (cardinal Lavigerie à Alger),les revers du monde musulman à l'islam. Les attaques contre l'islam reprennent la thématique médiévale (immoralité de l'islam…).

Puis c'est la guerre de 1914-18, qui ébranle la confiance en elle-même de la civilisation européenne en un progrès infini. C'est la révolte arabe en Orient (avec T.E. Lawrence), la révolte de l'Inde.

Le grand public vit dans la résistance islamique à la colonisation une sauvagerie latente et mal endiguée, un fanatisme déchaîné face à la poussée civilisatrice de l'occident.

Mais d'autres, une petite minorité, cherchait dans l'Orient musulman, un modèle de sagesse, une initiation à des réalités ésotériques et se convertissent même à l'islam comme René Guénon (1886-1951) qui mourra en terre d'islam.

C'est l'époque de l'apparition de l'idéologie tiers-mondiste de gauche qui voyait dans le tiers-monde une force exploitée dont la révolte fera s'écrouler définitivement le vieux monde de la domination.

Pour certains, l'islam, parce qu'en lutte contre l'occident capitaliste apparaîtra comme une force par nature "progressiste".

Cette tendance fut particulièrement sensible chez un groupe de catholiques de gauche, à la tête duquel se trouvait Louis Massignon (1883-1962). Chez ces personnes apparut une espèce de sentiment de solidarité plutôt que d'hostilité à l'islam. On reconnaît dans les autres religions des interlocuteurs, des alliés éventuels, des hommes de bonne foi détenant des valeurs respectables et non plus des forces à vaincre inspirées par Satan. Le concile de Vatican II rendra même un hommage à l'islam pour les vérités qu'il a transmise sur Dieu (octobre 1965).

Sources: 

Hichem Djaït, L'Europe et l'islam

Maxime Rodinson, La fascination de l'islam