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Le Livre de la pauvreté et du renoncement de Ghazâlî

 

[sur le renoncement dans l'hindouisme, voir ici]

Traduction Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg. Copyright Ralph Stehly. Reproduction autorisée seulement dans un but pédagogique et à des fins non commerciales.

 

 

1. Les degrés et les divisions du renoncement par rapport à lui-même, à ce de quoi l'on se détourne et à ce que l'on désire.

Sache que le renoncement en lui-même se différencie, en fonction de son intensité, en trois degrés.

 

Premier degré

Il s'agit du degré le plus bas, où l'on pratique le renoncement an monde (dunyâ), alors qu'en fait on le désire encore, que le coeur y incline encore et que l'âme s'en préoccupe encore. Cependant on se bat contre lui et ou le repousse. C'est là la pratique du mutazzahid . Tel est le début du renoncement en ce qui concerne celui qui arrive au renoncement par acquisition et effort. Le mutazahhid procèdera d'abord à la dissolution de son âme, puis de son argent. [ p. 123] Quant au zâhid, il consumera d'abord son argent, puis son âme dans les obéissances, et non dans la constance résignée devant les abandons ainsi consentis. Le mutazzahid est en danger, car peut-être son âme triomphera-t-elle de lui, ses passion l'attireront-elles à nouveau au monde, l'y ramèneront et y trouvera-t-elle quelque délassement.

 

Deuxième degré

Celui qui abandonne le monde spontanément par mépris pour lui en fonction de ce à quoi il aspire. Il est à l'image de celui qui abandonne un dirham pour deux, cela ne lui causant pas de contrariété, même s'il doit patienter quelque peu. Un tel renonçant verra sans aucun doute le résultat de son renoncement, et le prendra en considération, de même que le vendeur voit la marchandise et la prend en considération. Il s'étonnera presque de son renoncement et pensera en lui-même qu'il a abandonné quelque chose de valeur pour quelque chose d'une valeur plus grande. Cela aussi est une imperfection.

 

Troisième degré

C'est le plus élevé. Il consiste à renoncer spontanément, à renoncer dans son renoncement, sans avoir conscience de son renoncement, vu que dans ce cas le renonçant n'a pas conscience d'avoir abandonné quoi que ce soit, étant donné qu'il s'est rendu compte que le monde n'est rien. Il est comme quelqu'un qui laisse de côté une poterie et prend un joyau sans considérer cela comme une substitution, et sans considérer qu'il délaisse quoi que ce soit. Le monde a aussi peu de valeur par rapport à Dieu le Très Haut et aux délices de l'Autre monde qu'une poterie par rapport à un joyau. C'est là le stade le plus parfait du renoncement. Il est fondé sur la perfection de la connaissance de Dieu. Un tel renonçant est à l'abri du danger de prendre à nouveau quelque intérêt au monde, de même que celui qui laisse de côté la poterie pour un joyau est à l'abri de la tentation d'annuler le marché conc1u.

Abû Yazîd dit un jour à Mûsâ b. 'Abd ar-Rahîm.: - De quoi parles~tu ? - Du renoncement, dit-il. - Renoncement à quoi ? rétorqua-t-il . - Au monde !, répliqua l'autre. Abû Yazîd rompit toute relation avec lui en s'exclamant: Je pensais qu'il parlait d'une chose, or le monde n'est rien. A quoi renonce-t-il donc alors ? .

 

Pour les Initiés et ceux dont le coeur est habité par l'illumination spirituelle et la contemplation de Dieu, celui qui abandonne le monde pour l'Autre est à l'image de quelqu'un auquel un chien barre l'entrée menant au roi. En lui jetant un morceau de pain [= le monde !], il occupe son attention [attention du chien] et parvient ainsi à pénétrer à l'intérieur et à s'approcher du roi, tant et si bien que le roi accédera à ses demandes. Penses-tu qu'il croit que ce qu'il a obtenu de la part du roi a pour origine la bouchée de pain qu'il jeta au chien ? Satan est le chien devant la porte de Dieu le Très-Haut, empêchant les gens de la franchir, alors que la porte est grande ouverte et que le voile est levé. Le monde est comme la bouchée de pain. Quand on la mange, on ressent quelque plaisir à la mâcher. Cependant ce plaisir disparaît au fur et à mesure qu'on l'avale. Puis le morceau de pain stagne sous la forme d'un amas grossier, puis finalement il se transformera en substance puante et fétide, qui devra être évacué. Quiconque délaisse ce morceau de pain pour avoir accès à la gloire du roi, quel cas peut-il faire de ce morceau ?

Le monde entier -j'entends par là ce qui lui en est accordé à chaque être humain, même s'il vivait cent ans - est, par rapport aux délices de l'Autre monde, moins que la bouchée de pain par rapport au roi du monde. Car on ne saurait établir de comparaison entre le fini et l'infini. [p. 124] Le monde est fini, parce qu'il est à court terme. Même si le monde se prolongeait sur un million d'années pur de toute impureté, il ne saurait être mis en rapport avec les délices de la vie éternelle. Combien plus ceci est vrai, si l'on considère la brièveté de l'existence et le caractère trouble et impur des plaisirs de ce monde ! Quel rapport peut-il y avoir entre ce monde-ci et les délices de l'éternité ?

En conséquence, le renonçant ne prend en considération son renoncement que dans la mesure où il prend en considération ce à quoi il a renoncé. Et il ne prendra en considération ce à quoi il a renoncé que parce qu'il l'aura considéré comme quelque chose qui compte pour lui. Mais il ne le considèrera ainsi qu'à cause de l'insuffisance de sen savoir.

 

Voilà l'échelle des degrés du renoncement.

 

Chaque degré comporte à son tour d'antres degrés, vu que la constance du mutazahhid présente des différences et des échelons en fonction de la difficulté que présente la constance dans l'effort. De même, il convient de considérer le stade de celui qui est fier de son renoncement en fonction de l'attention qu'il porte à son renoncement.

 

2. Quand on classe le renoncement en fonction de ce qu'on désire obtenir par là, on peut aussi déterminer trois degrés.

 

Le degré le plus bas

Ce que l'on désire peut être simplement d'être sauvé de l'enfer et de tous les tourments de l' Au-delà, comme le tourment du tombeau et la séance de la reddition des comptes, le danger du pont Sirât et toutes les terreurs qui pourront assaillir l'homme et qui nous sont rapportées par les Ecritures. On y mentionne notamment que l'homme comparaîtra lors de la reddition des comptes de telle manière que si cent chameaux venaient assoiffés de sa sueur, ils s'en retourneraient désaltérés. Tel est le renoncement de ceux qui renoncent par crainte. Tout se passe comme s'ils se satisfaisaient d'être épargnés des tourments de l'enfer, à supposer qu'ils en seront épargnés, si bien que la délivrance des tourments de l'enfer (à laquelle ils aspirent) proviendrait de la simple privation (à laquelle ils se sont obligés).

 

Le deuxième degré

C'est que l'on renonce par désir de la récompense de Dieu et de ses délices, et des plaisirs promis au Paradis: les houris, les châteaux etc… Tel est le renoncement de ceux qui espèrent. Ceux-là ne quittent pas le monde, parce qu'ils se satisferaient d'être épargnés par les tourments de l'enfer et parce qu'ils désirent être sauvés de la souffrance, mais ils espèrent en une existence éternelle et à des délices éternelles infinies.

 

Le troisième degré

C'est le plus élevé. Là il n'y a d'autre désir que celui de Dieu et de Sa rencontre. Le coeur ne se soucie pas des tourments dont il pourrait être épargné, ni des plaisirs qu'il pourrait obtenir et dont il pourrait jouire La conscience d'un tel renonçant est tout entière immergée en Dieu le Très Haut. Il n' y a plus qu'une seule préoccupation pour lui. Il est celui qui, unifié en Dieu seul, pratique le tawhîd réel, lequel consiste à ne rechercher rien d'autre que Dieu le Très-Haut. Car quiconque est en quête de quelqu'un ou de quelque chose d'autre que Lui, c'est cela qu'il adore en fait. Tout être ou chose objet de quête est en fait objet d'adoration. Quiconque est en quête de quoi que ce soit est en fait l'esclave de ce en quête de quoi il se trouve. Etre en quête de quelque chose ou de quelqu'un d'autre que Dieu est de l'ordre de l'associationnisme latent. Tel est le renoncement de ceux qui aiment Dieu. Ils sont aussi ceux qui Le connaissent, car seul peut aimer Dieu quelqu'un qui Le connaît.

De même que celui qui connaît les dinars et les dirhams, sachant qu'on ne saurait les mettre sur le même plan, n'aime que les dinars, de même celui qui connaît Dieu et qui connaît le. plaisir de la vision de Son visage saint, sait qu'on ne saurait mettre ce plaisir sur le même plan que celui de la jouissance des houris, de la vue des couleurs rutilantes des châteaux du Paradis et de la verdure de ses arbres. Il n'aimera, en conséquence, que le plaisir de la vision de Dieu, et ne lui préférera rien d'autre.

Ne pense pas que chez les gens du Paradis, lors de la vision de la face de Dieu, il reste quelque place dans leur coeur pour les houris et les châteaux. En effet, le rapport de telles jouissances à la jouissance des délices des gens du Paradis est du même ordre que le rapport de la jouissance de la possession du monde, de la souveraineté sur l'univers entier et ses créatures à la jouissance que l'on éprouve à posséder un oiseau et à jouer avec lui. Les initiés en quête des délices du Paradis sont comme l'enfant qui recherche le plaisir de jouer avec un oiseau et qui abandonne tout plaisir de possession tout simplement parce qu'il ignore le plaisir même de posséder, et non parce que jouer avec l'oiseau serait d'un niveau plus élevé et donnerait plus de plaisir que la conquête par le moyen de la possession de l'ensemble des créatures.

 

3. Quant aux divisions du renoncement par rapport à ce dont on se détourne, ce qu'on a dit est fort divers. Les opinions qui ont été avancées dépasseraient la centaine. Nous ne nous emploierons donc pas à les citer. Mais nous suggérerons un exposé détaillé, de telle sorte qu'il apparaîtra que ce qu'il en est dit est loin d'épuiser la matière.

Ce de quoi l'on se détourne dans le renoncement, on peut en parler soit d'une manière synthétique, soit d'une manière détaillée.. En ce qui concerne les détails, il y a là aussi des degrés, certains d'entre eux seront explicités plus clairement dans certaines sections, d'autres seront exposés plus synthétiquement dans de simples phrases.

 

De manière synthétique, pour ce qui est du premier degré, le renoncement consiste à renoncer à tout ce qui existe sauf Dieu. Il convient de renoncer à tout, y compris à soi-même. Au deuxième degré, le renoncement consiste à renoncer à tous les affects de l'âme qui supposent une quelconque jouissance. Ceci comprend l'ensemble des impératifs auxquels l'homme par nature est soumis: le désir, la colère, l'orgueil, la volonté de domination, les biens matériels, les honneurs etc... Au troisième degré, il convient de renoncer aux biens matériels, aux honneurs et à ce qui les amène, vu que toutes les passions de l'âme y trouvent leur racine. Au quatrième degré, il convient de renoncer à la science, au pouvoir, à l'argent et aux honneurs, vu que les biens matériels, même si leurs variétés sont fort nombreuses, peuvent être ramenés à l'argent. Quant aux honneurs, même si leurs causes sont également nombreuses, ils ont leur source dans la science et le pouvoir. J'entends par là toute espèce de science ou de pouvoir ayant peut objet de dominer les coeurs. La signification des honneurs est de dominer les coeurs et d'avoir pouvoir sur eux, de même la signification des biens matériels est la domination des individus et le pouvoir sur eux.

Si on allait au-delà de ces détails pour en arriver à un commentaire ou pour en arriver à des détails encore plus éloquents, on sortirait presque du cadre du dénombrement de ce en quoi consiste le renoncement. Dieu le Très-Haut a mentionné en un seul verset sept choses dont il convient de se détourner:

 

L'amour des choses périssables a été paré d'attrait [p. 126] pour les êtres humains tels les femmes, les enfants, les lourds amoncellements d'or et d'argent, les chevaux racés, le bétail, les terres cultivées: voilà en quoi consiste la jouissance de la vie en ce en quoi consiste la jouissance de la vie en ce monde (Coran 3.14).

Dieu revient sur ce sujet en un autre verset et en énumère cinq. Dieu le Très-Haut dit:

Sachez que la vie de ce monde n'est que jeu, divertissement, vaine parure, lutte de vanité entre vous, rivalité dans l'abondance des richesses et des enfants (C. 57.20).

Le Très-Haut dans un autre passage en cite deux:

La vie de ce monde n'est que jeu et divertissement (ibid.).

Enfin, Il ramène le tout à une seule chose:

Celui qui aura préservé son âme des passions, le Paradis sera son refuge (C. 79.40)

La passion est un terme qui résume toutes les formes de plaisirs dont l'âme a pu jouir en ce monde. Il convient que nous y renoncions.

Si on a saisi la méthode de la synthèse et des détails, on se sera rendu compte qu'il n' y a nulle contradiction entre elles et que la différence se situe simplement au niveau de l'explicitation et de la synthèse.

En bref, le renoncement est une expression qui désigne le fait de se détourner de toutes les passions de l'âme. Quelles que soient les passions dont on se détournera, on se détournera nécessairement de tout désir de perpétuer son séjour dans le monde, on renoncera inévitablement à tout espoir de cet ordre, car si on désire prolonger son séjour dans ce monde, c'est en fait pour en jouir, et on ne désire la jouissance permanente que parce qu'on désire la permanence du séjour ici-bas, car quiconque désire quoi que ce soit, en désire la permanence.

 

Aimer la vie signifie purement et simplement aimer que se perpétue ce qui existe ou pourrait exister dans cette vie. Quand on se détourne d'elle , on ne la désire plus. C'est pourquoi quand le combat leur fut prescrit, les [musulmans] s'écrièrent: Seigneur, pourquoi nous as-tu prescrit de combattre? Pourquoi ne pas l'avoir repoussé à plus tard ? (4.77). Puis le Très-Haut dit: Dis: la jouissance de la vie en ce monde est peu de chose" (Ibid.), C'est-à-dire, vous ne désirez la poursuite de la vie que pour jouir du monde. Ainsi apparaissent les véritables renonçants, et se révèlent les hypocrites.

Quant aux renonçants qui aiment Dieu le Très Haut, ils combattent dans le chemin de Dieu comme s'ils étaient un édifice solide. Ils attendent l'un des deux bonheurs: quand ils sont appelés au combat, Ils flairent déjà le parfum du Paradis et s'y précipitent comme l'homme brûlant d'une soif inextinguible se précipite vers l'eau fraîche, en vue d'assurer la victoire de la religion de Dieu ou d'atteindre la dignité du martyre. Ceux d'entre eux qui meurent dans leur lit ne cessent de regretter d'avoir laisser échapper l'occasion du martyre, à tel point que Khâlid ibn al-Walîd, agonisant sur son lit, s'écria: combien ai-je égaré mon âme ! Combien souvent ai-je attaqué furieusement les rangs de l'ennemi espérant le martyre, et voici que je meurs à présent dans mon lit comme meurent les vieillards impotents ! Après sa mort, on releva sur son corps pas moins de huit cents cicatrices provenant de ses blessures. Telle est la condition de ceux qui sont sincères dans la foi .

Quant aux hypocrites, ils désertent au moment de l'assaut par peur de la mort. Il est dit à leur sujet: La mort que vous fuyez vous rejoindra"(C. 62.8). La préférence qu'ils ont manifesté pour le séjour dans ce monde, c'est [p. 127] en fait substituer quelque chose qui est plus proche à quelque chose qui est meilleur. Ceux qui ont troqué l'égarement contre la bonne direction n'ont guère réalisé de bonne affaire, et ne font pas partie des bien dirigés.

 

Quant à ceux qui vouent à Dieu un culte pur et sincère (mukhlis), Dieu leur conférera en échange de leurs âmes et de leurs biens le Paradis. Quand ils se seront rendu compte qu'ils ont délaissé le jouissance de vingt ou trente ans par exemple pour jouir de l'Eternité, ils se réjouiront de la bonne nouvelle du contrat ainsi conclu.

 

Voilà pour l'exposé de ce à quoi l'on renonce.

Quand on a compris cela, on se sera rendu compte que la définition des théologiens spéculatifs ne vise qu'un aspect du renoncement et que chacun d'eux n'a mentionné que ce vers quoi il était spécialement incliné ou ceux qu'ils fréquentaient.

 

Bishr a dit: renoncer au monde, c'est renoncer à fréquenter les gens. Cette définition vise tout spécialement le renoncement aux honneurs.

Qâsim al-Djaw'î a dit: renoncer au monde consiste à renoncer aux plaisirs du ventre, dans la mesure où l'on domine ses entrailles, on domine le renoncenent. Cette définition vaut peut le renoncement à un seul domaine de passions. Par ma vie, je le jure, il s'agit là de la passion qui subjugue toutes les autres et qui en est l'incitatrice.

Fudayl dit: renoncer au monde, c'est se contenter de peu. Cette définition vaut tout particulièrement pour les biens matériels.

Thawrî dit: Le renoncement, c'est ne plus rien souhaiter. C'est la une définition qui englobe toutes les passions. Celui qui se laisse aller aux désirs, se laisse tenter de prolonger son séjour dans le monde, de sorte qu'il continue de nourrir des souhaits. Celui qui n'attend plus rien du monde, c'est comme s'il se détournait de toutes les passions à la fois.

Uways dit:Quand le renonçant sort de sa retraite, le renoncement le quitte" . Il ne voulait pas définir par la le renoncement, il fait de l'abandon à Dieu (tawakkul) l'une des conditions du renoncement.

Uways dit aussi: Le renoncement, c'est abandonner la quête de toute sécurité. Cette expression vaut pour les moyens de subsistance.

Selon les gens du hadith, le monde désigne le fait d'agir selon sa libre opinion et la raison, renoncer consiste seulement à suivre l'enseignement de la science religieuse et les prescriptions de la Sunna. Cette définition est juste, s'ils entendent par la la libre opinion pernicieuse et l'intellect par lequel on est en quête du monde. Mais elle ne concerne que certaines des raisons de la quête des honneurs et certains des excès des passions. Car parmi les sciences, il en est qui ne sont d'aucun profit dans l'Autre monde. Ils en ont allongé la liste à tel point que la vie d'un homme s'épuiserait à n'en étudier qu'une seule.

La condition imposée au renonçant, c'est que le superflu soit la première chose dont il se détourne.

Hasan a dit: Le renonçant, c'est celui qui dit, quand il voit quelqu'un, celui-là est meilleur que moi. Il est donc d'opinion que le renoncement, c'est l'humilité. Cette définition vise le refus des honneurs. Il s'agit là de l'un des aspects du renoncement.

Selon d'autres encore, le renoncement, c'est la quête du licite. Qu'est-ce que cela en comparaison de ceux qui affirment que le renoncement consiste à abandonner toute quête, comme l'affirme Uways ? Il n'y a aucun doute qu'il entend par là aussi l'abandon de la quête du licite.

[p. 128] Yûsuf ibn Absat disait: Quiconque fait preuve de constance dans les épreuves et abandonne les passions, et mange du pain licite, a trouvé le fondement du renoncement.

 

 

En ce qui concerne le renoncement, il y a encore beaucoup d'autres opinions, outre celles que nous venons de rapporter. Mais nous ne voyons guère d'utilité à en faire mention. Car, dès que l'on cherche là découvrir les réalités des choses en se fondant sur les opinions des gens, on ne fera qu'en découvrir la variété et on n'en retirera que de la perplexité. Mais celui à qui la Vérité s'est révélée dans son âme, et L'a saisie par la contemplation dans son coeur, non en ayant happé quelques paroles à droite et à gauche, et qui met sa confiance dans la Vérité, découvre alors l'insuffisance de ceux qui s'avèrent déficients en raison de l'insuffisance de leur clairvoyance spirituelle et le caractère limité de ceux qui se sont limités, malgré l'ampleur de leur science, en raison même du caractère limité de la chose désirée. Tous ceux-là se sont montrés déficients en raison de la déficience de leur clairvoyance spirituelle. Cependant ils ont mentionné ce qu'ils ont mentionné an moment où il le fallait et sans aucun doute ils l'ont fait en fonction des besoins, or les besoins sont fort variés, de sorte que sans aucun doute aussi les avis sont variés.

La raison de cette insuffisance réside dans ce que l'on sait de l'état présent où le renonçant se trouve engagé. Or les états mystiques sont fort divers. En conséquence, il n' y a guère lieu de s'étonner que les opinions rapportées à ce sujet soient également fort diversifiées.

 

Quant à la vérité en elle-même, il n'y en a qu'une. On ne pourrait donc en aucun cas s'imaginer qu'elle soit diversifiée. Une vue globale de toutes les opinions à son sujet, même si elle n'entre guère dans les détails, est ce qu'en dit Abû Sulaymân ad-Dârimî: Concernant le renoncement, nous avons entendu de nombreux discours; le renoncemant selon nous, c'est renoncer à tout ce qui nous distrait de Dieu le Très-Haut. Une fois, il entre dans quelques détails en citant dans ce contexte le mariage, le voyage pour se procurer de quoi vivre ou des livres de hadith, car dans ces cas il y a un lien de dépendance envers le monde. Il considère tout cela comme contraire au renoncement. Abû Sulaymân récitait à ce propos: Exception faite pour ceux qui seront venus à Dieu avec un coeur pur".(C. 26.89). Il en donnait le commentaire suivant: il s'agit du coeur dans lequel il n' y a rien d'autre que Dieu le Très-Haut. Ceux-là, ajoute-t-il, ont renoncé au monde pour vider leur coeur de ses préoccupations, et cela pour l'Autre monde.

 

Voilà pour ce qui concerne l'exposition des niveaux du renoncement par rapport aux différentes classes des objets dont on se détourne.

 

En ce qui concerne les niveaux du renoncement par rapport à sa qualification juridique, ils sont à mettre en rapport avec ce qui est d'obligation stricte, ce qui est surérogatoire et ce qui salutaire, comme le souligne Ibrâhîm b. Adham.

Ce qui est d'obligation stricte, c'est le renoncement à tout ce qui est prohibé de manière absolue (harâm). Le surérogatoire, c'est le renoncement à ce qui est licite. Le salutaire, c'est renoncer à tout ce qui est douteux. Nous avons exposé précédemment en détail les degrés du scrupule dans le Livre du licite et de l'illicite. Cela aussi fait partie du renoncement, vu que, lors~u'on demanda à Mâlik b. Anas: - Qu'est-ce que le renoncement ?, celui-ci répondit:- la crainte de Dieu (taqwà).

 

Quant au renoncement par rapport aux choses cachées qu'il convient aussi de délaisser, il n'y a aucune limite au renoncement en ce domaine, étant donné qu'il n'y a pas de limites à ce dont l'âme jouit à chaque instant, à chaque moment et à chaque occasion. Ceci concerne tout spécialient les secrets que cache l'ostentation hypocrite (riyâ), dont seuls sont informés les intermédiaires des Docteurs de la Loi.

Quant aux biens matériels, là aussi il y a un nombre illimité de niveaux de renoncement.

[p. 129] Est à ranger au niveau le plus élevé en ce domaine, l'attitude de Jésus, lorsqu'il se servit d'une pierre en guise d'oreiller. Satan lui dit: - N'as-tu pas quitté le monde ? Que t'arrive-t-il là ?. Jésus rétorqua: .- En quoi aurai-je innové ?. La pierre t'a servi d'oreiller, répliqua Satan, tu as donc pris plaisir à ne pas laisser reposer ta t~te par terre en dormant. Puis Jésus jeta la pierre en lui lançant: - Prends~la, avec tout ce que je t'ai laissé !

 

On rapporte de Jean, fils de Zacharie qu'il portait des habits en bure, à telle point que sa peau en était percée, parce qu'il lui répugnait de prendre plaisir à la douceur du tissu et pour se libérer même de la sensation du toucher. Sa mère lui demanda de mettre à la place ce cet habit de bure une tunique de laine (sûf). Il s'exécuta. Dieu le Très-Haut lui révéla: O Jean, tu as préféré le monde à Moi. Il pleura, enleva son habit de laine et remit ses vieux habits.

Ahmad a dit: Le renoncement, c'est le renoncement d'Uways. Al-'Arî rapporte qu'il était assis dans un panier.

Jésus était assis un jour à l'ombre d'un mur appartenant à quelqu'un. Le propriétaire lui demanda de se lever. Il lui répliqua: Ce n'est pas toi qui va me faire lever, mais celui qui fera que je me lève est Celui à qui Il n'agrée pas que je prenne plaisir à rester à l'ombre d'un mur.

 

Il est absolument impossible de dénombrer tous les niveaux de renoncement tant intérieurs qu'extérieurs.

En la matière, le niveau le plus bas est constitué par le renoncement à tout ce qui est douteux et prohibé. Certains affirment que le renoncement, c'est renoncer au licite, non au douteux et au prohibé, ces deux derniers domaines ne faisant pas partie des niveaux du renoncement en aucune manière. Ils affirment même que, comme il ne reste rien de licite dans le monde, le renoncement ne serait même pas imaginable à l'heure actuelle.

 

Quant à moi, j'affirme ceci:

Quoi qu'il en soit, le renoncement consiste à abandonner tout sauf Dieu. Et comment s'imaginer cela si on mange, boit, fréquente et converse avec les gens ? Tout cela occupe notre esprit en en excluant Dieu. Sache que pour moi quitter le monde pour Dieu le Très-Haut, c'est se tourner vers Lui de tout son coeur en faisant sans cesse mémoire de Lui et en pensant constamment à Lui.

Mais on ne peut s'imaginer cela sans la longévité, et il n' y a de longévité que si on tient compte des nécessités de la vie. Si on se limite, en ce qui concerne le monde, à repousser les dangers loin du corps et si notre but est de solliciter l'aide du corps pour l'adoration de Dieu, on ne pourra pas considérer pour autant qu'on se consacrerait à quelqu'un ou quelque chose d'autre que Dieu. Car le moyen d'arriver à une chose fait partie de cette chose. Ainsi celui qui s'occupe du fourrage de sa chamelle et lui donne à boire sur le chemin du pèlerinage ne se détourne nullement du pèlerinage. Ton désir dans ce cas là n'est pas de procurer à ta chamelle des plaisirs, mais ton désir se limite à repousser les périls qui la menacent, pour qu'elle te mène à ton but. De même, il convient de préserver ton corps des périls de la faim et de la soif, en mangeant et en buvant, et des périls du froid et du chaud en t'habillant et en ayant de quoi te loger, de telle sorte que tu te limites au strict minimum. Tu ne rechercheras pas le plaisir, mais à te renforcer dans l'obéissance à Dieu le Très-Haut. Cela n'entre nullement en contradiction avec le renoncement. Bien au contraire, c'est l'une des conditions du renoncement.

Si tu objectes: nécessairement je jouirai en mangeant si je souffre de la faim, sache que cela ne constitue pas un dommage pour toi, vu que la jouissance dans ce cas ne constituait pas ton but. En effet, celui qui boit de l'eau fraîche prend plaisir à en boire, ce plaisir étant à attribuer à la disparition de la souffrance de la soif. Quiconque satisfait un besoin du corps s'en trouve soulagé par là. Cependant dans ce cas cette attitude ne relève pas d'une attitude délibérée ni d'une recherche intentionnelle du plaisir, de telle sorte que le coeur s'y serait entièrement consacré. Ainsi l'adepte, lors de la vigile nocturne, peut-être trouvera-t-il quelque délassement à sentir la brise du matin et à entendre le chant des oiseaux. Mais s'il ne recherche pas un tel endroit pour ce délassement, ce qui lui échoit en la matière sans qu'il l'ait recherché ne lui causera aucun tort. Il y avait cependant parmi les craignants Dieu des adeptes qui recherchaient un endroit à l'abri de la brise du matin, par crainte d'y trouver quelque délassement, et que le coeur s'y complaise, de sorte qu'ils trouveraient quelque confort à côtoyer le monde.

Toute défaillance dans la familiarité avec Dieu est en proportion même de la familiarité avec quelque chose d'autre que Dieu. C'est pourquoi Dâwud at-Tâ'î avait une citerne à ciel ouvert. Il ne protégeait pas l'eau du soleil et buvait donc de l'eau chaude. Il disait: celui qui fait l'expérience du plaisir en buvant de l'eau fraîche, il lui sera bien difficile d'abandonner le monde.

 

Le renoncement en tant qu'il concerne les nécessités de la vie

Sache que ce qui absorbe les gens se divise en superflu et en essentiel. Le superflu, ce sont par exemple les chevaux de prix: les gens en font en effet l'acquisition par pur luxe, pour le plaisir de la parade, alors qu'ils sont parfaitement capables d'aller à pied. L'essentiel, c'est , par exemple, le manger et le boire. Nous nous avérons incapables de détailler les catégories du superflu, car celles-ci ne sont pas dénombrables. Par contre, le strict essentiel est dénombrable. L'essentiel aussi peut être atteint par la superfluité dans la quantité, la catégorie et en ce qui concerne le moment. Il convient donc absolument d'exposer en quoi consiste le renoncement dans ce cas- là.

Les choses essentielles sont au nombre de six: la nourriture, le vêtement, l'habitat et le mobilier, les relations sexuelles, les biens matériels et l'honneur, toutes choses auxquelles on aspire pour des raisons précises. Ces six choses font partie de l'essentiel. Nous avons déjà précédemment mentionné le contenu de l'honneur et la cause pour laquelle les gens y aspirent et pourquoi il faut s'en préserver dans le Livre de l'ostentation, dans la section des causes de perdition. Nous allons donc nous limiter à l'exposé de ces six choses essentielles.

1. La nourriture

Il faut que l'on absorbe une nourriture licite qui donne des forces. Celle-ci a deux dimensions, l'une verticale, l'autre horizontale, et il convient donc d'en maîtriser les deux afin que le renoncement soit total. En ce qui concerne la dimension verticale , elle est en rapport avec la longévité de la vie, car quiconque possède sa pitance quotidienne n'en est pas satisfait. Quant à la dimension horizontale, elle réside dans la quantité de nourriture, la catégorie et le moment où on la prend. La dimension verticale ne se réduit qu'avec la réduction de l'espoir.

Le moindre degré du renoncement , c'est de se contenter de repousser la faim devant l'acuité de celle-ci et par crainte de la maladie. Quiconque agit ainsi en se contentant de ce qu'il a pris comme nourriture, sans stocker de la nourriture le matin en prévision du soir est parvenu au degré supérieur du renoncement.

Le deuxième degré consiste à stocker de la nourriture pour un mois ou quarante jours.

Le troisième degré consiste à stocker pour une année seulement. C'est là l'échelon des plus faibles parmi les renonçants. Quiconque constitue des stocks pour des périodes plus longues, il est impossible de lui appliquer la dénomination de renonçant, parce que quiconque espère vivre plus d'une année, a un très long espoir de longévité. On n'est renonçant au sens plein du terme que s i l'on ne possède rien et que l'on ne se résoud pas à solliciter les gens, à l'exemple de Dâwud at-Tâ'î qui hérita de vingt dinars qu'il encaissa et qu'il dépensa en l'espace de vingt ans. Cela n'est pas contraire au principe du renoncement, sauf pour celui qui fait de l'abandon à Dieu une condition du renoncement.

En ce qui concerne la dimension horizontale, elle est en rapport avec la quantité. Le moindre degré (de la jouissance) consiste a se contenter d'une demi livre le jour et la nuit, le degré moyen de se contenter d'une livre et le degré supérieur de se contenter d'une livre et demi. C'est ce que Dieu a déterminé pour la nourriture d'un pauvre quand il s1agit d'un don expiatoire. Tout ce qui est au-delà de ces quantités relève de la boulimie et de soucis purement matériels. Quiconque n'arrive pas à se restreindre à une livre et demi, ne peut prétendre aucunement au renoncement en matière de nourriture.

Par rapport à la catégorie, le moindre degré , c'est toute nourriture, même s'il s'agit d'un pain de son. Le degré moyen consiste à se nourrir de pain d'orge et de maïs. Le degré supérieur consiste à se nourrir de pain de froment non tamisé. Si on effectue une sélection en laissant de côté le son de telle sorte qu'on en arrive à un pain de farine très blanche, on entre déjà dans le cycle de la recherche du plaisir, on sort de la dernière catégorie du renoncement, sans même parler des premières.

 

Quant à l'assaisonnement, le moindre c'est le sel, ou les légumes ou le vinaigre. Le degré moyen, c'est l'huile, ou un peu de graisse, quelle qu' elle soit. Le degré supérieur, c'est la viande, quelle qu'elle soit. Et cela une ou deux fois par semaine. Si on se nourrit ainsi de façon permanente ou plus que deux fois par semaine, on sort du dernier échelon du renoncement. Un tel homme ne peut absolument plus être considéré comme quelqu'un qui s'exerce au renoncement en matière de nourriture.

Par rapport au temps et au moment, le moindre degré c'est une fois par jour et par nuit et qu'on soit en état de jeûne. Le degré moyen consiste à jeûner en buvant une nuit sans manger, et en mangeant la nuit suivante sans boire. Le degré supérieur, c'est qu'on continue à vivre ainsi trois jours, ou une semaine ou davantage. Nous avons déjà mentionné précédemment le moyen de réduire la quantité de nourriture et de briser la gourmandise dans la section des causes de perdition.

Considérons maintenant l'attitude de l'Envoyé de Dieu et de ses compagnons dans leur façon de pratiquer le renoncement en matière de nourriture et comment ils ont abandonné tout assaisonnement.

Â'icha disait: il nous arrivait de vivre quarante nuits sans que ne brûle dans la maison de l'Envoyé de Dieu ni lampe ni feu. On lui fit remarquer: - Mais de quoi viviez-vous donc alors ? . - Des deux denrées noires, répondit-elle, les dattes et l'eau . Il s'agit là d'un cas de privation de toute viande, tout bouillon de viande et de tout assaisonnement.

Selon al-Hasan, l'Envoyé de Dieu montait l'âne, portait de la laine et des sandales en feuilles de palmier tressées et léchait ses doigts. Il mangeait par terre en disant : Je ne suis qu'une créature ('abd) mangeant comme mangent les esclaves ('abîd) et qui est assis comme sont assis les esclaves.

Le Christ dit: En vérité, je vous le dis, celui qui est en quête du Paradis, le pain d'orge lui est destiné; il dormira sur des tas de fumier en compagnie de meutes de chiens .

Selon Fudayl, l'Envoyé de Dieu, depuis son arrivée à Médine ne se rassasiait jamais de pain de froment pendant trois jours consécutifs.

Le Christ dit: Ô fils d'Israël, tenez-vous en à l'eau pure, aux légumes sauvages et au pain d'orge. prenez garde au pain de froment, car vous ne vous montrerez jamis assez reconnaissants à ce sujet.

Nous avons précédemment mentionné la conduite des prophètes et des Anciens en matière de boire et de manger dans la section des causes de perdition et nous n'y reviendrons plus.

Quand le Prophète arriva chez les habitants de Qubâ', ils l'accueillirent avec une boisson faite de lait caillé mélangé à du miel. Mais il enleva la coupe de sa main en s'exclamant: Quant à moi, je ne l'interdis pas, mais je le laisse de côté par humilité devant Dieu le T'rès-Haut.

'Umar but une boisson d'eau fraîche mêlée de miel par un jour de canicule. Il s'écria: Epargnez-moi les comptes que je devrai rendre à Dieu à ce sujet !

Yahyà b. Mu'âdh ar-Râzî dit: Le renonçant sincère, c'est celui qui se contente de ce qu'il trouve, qui s'habille juste de quoi se couvrir, qui loge à la première enseigne. Le monde constitue une prison pour lui, et la tombe sa seule couche. Sa cellule lui tient lieu de compagnie, et la méditation constitue sa seule pensée, le Coran l'unique parole qu'il profère, le Seigneur, les litanies et le renoncement ses seuls compagnons. De tout il a fait son deuil, la pudeur est son seul emblème, la faim son seul assaisonnement, la sagesse son seul discours, la terre sa seule couche, la crainte de Dieu ses seules provisions, le silence son seul butin, la constance son seul soutien, l'abandon à Dieu la seule chose qui lui tienne à coeur, la raison son seul guide, l'adoration sa seule occupation, et le Paradis son seul but, si Dieu le veut.

2. Le Vêtement

(…)

3. L'habitat

Le renoncement comporte là aussi trois degrés. Le plus élevé , c'est de ne pas rechercher d'emplacement privé pour soi; on se contentera des coins retirés d'une mosquée comme les compagnons de l'Auvent . Le degré moyen: on recherchera un emplacement privé à soi, comme une hutte sans lucarne ccnstruite à partir de rameaux de palmiers secs ou une hutte de roseau ou quelque chose de ce genre. Le degré le plus bas, c'est de rechercher une chambre bien construite, soit par achat soit en location. Si l'espace de l'habitation correspond aux besoins de l'adepte, et s'il ne s'y trouve aucune décoration, on ne sortira pas du cadre du renoncement en ce domaine. Mais Si l'on recherche une habitation de grande hauteur aux murs crépis, très spacieuse, et si la hauteur du toit dépasse six coudées, on outrepasse entièrement les limites du renoncement en matière d'habitat.

Il y a des différences dans les matériaux de construction: plâtre, roseau, argile ou brique. Il peut aussi y avoir des différences quant au caractère spacieux ou exigu de l'habitation et quant à sa durée: une habitation peut être ainsi un bien définitivement acquis, loué ou emprunté. Tout cela entre dans le cadre du renoncement.

En un mot, on reste à l'intérieur du renoncement si les limites de la nécessité ne sont pas outrepassées. La juste délimitation du nécessaire en matière de biens matériels est un moyen qui mène à la vraie pratique de la religion.

Ce qui outrepasse cette limite est contraire à la religion. La finalité d'une habitation est de protéger contre la pluie et le froid, des indiscrétions et des dommages. Le moindre des degrés en la matière est ainsi maintenant connu. Ce qui le dépasse est du superflu et tout ce qui est superflu relève du mondain. Celui qui court après le superflu est très loin de tout renoncement.

On dit que la première chose qui attesta la durée en matière d'espoir illimité de longévité de vie, après le décès du Prophète, ce sont les coutures fines à points serrés et les grands édifices. Les habits doivent être cousus de manière lâches. Les constructions en hauteur ce sont les constructions en dur, plâtre et brique etc. A l'époque du Prophète on n'employait comme matériau de construction que des rameaux de palmiers secs ou des branches de palmiers sans feuilles. Dans les Traditions il est dit que viendra un temps où les gens imprimeront des étoffes comme on le fait pour les vêtements rayés yéménites.

Le Prophète ordonna à al-'Abbâs de détruire une salle d'apparat que celui-ci avait fait construire en hauteur. Un jour le Prophète passa près d'une coupole élevée. - A qui appartient-elle ? dit-il - A Un tel, lui répliqua-t-on. Quand vint l'homme en question, le prophète se détourna de lui et ne le reçut pas comme il le faisait d'habitude. L'homme s'enquit de la raison du changement d'attitude du Prophète. Il s'en alla alors et la détruisit. Puis le Prophète passa à l'endroit en question et ne la vit plus. On l'informa de sa destruction et il bénit l'homme.

Al-Hasan dit: Le Prophète mourut sans avoir posé brique sur brique, ni roseau sur roseau.

Le Prophète dit: Si Dieu désire nuire à une créature, il détruit ses biens dans l'eau et l'argile.

'Abd Allâh b. 'Umar dit: Le Prophète passa près de chez nous, alors que nous étions en train de réparer une hutte. Il dit: - Qu'est-ce que ceci ? - Une hutte à nous, répondîmes-nous, qui est décrépie - Le jour du Jugement arrivera avant que cela ne soit terminé, rétorqua-t-il .

Noé se construisit une maison de roseau. - Pourquoi ne l'as-tu pas construite en dur, lui demanda-t-on . - Pour quelqu'un qui doit mourir, c'est beaucoup trop encore ! , rétorqua-t-il.

Al-Hasan dit: Nous entrâmes chez Safwân b. Muhayrîz alors qu'il habitait une maison en armature de roseaux sur laquelle il se penchait. - Et si tu la réparais ? lui dit-on, -combien d'hommes sont morts alors que ceci était encore debout, répondit-il.

Le Prophète dit: Quiconque construit au-delà du strict minimum, il lui en coûtera de le porter sur le dos, le jour de la Résurrection.

Dans les traditions il est dit: toute dépense effectuée par l'homme sera rétribuée, sauf ce qu'il aura dépensé en eau et en argile.

Et Dieu le Très-Haut dit: Nous assignons cette Demeure dernière à ceux qui sur la terre ne veulent ~tre ni altiers, ni corrupteurs (C. 28.83). Il faut comprendre ici le désir de domination et de rivalité dans la construction des édifices.

Le Prophète dit: Toute construction est une calamité pour son propriétaire, sauf ce qui protège simplement des intempéries.

Le Prophète dit à un homme qui se plaignait de l'exiguïté de sa maison: Tu seras mieux logé dans le ciel, c'est-à-dire dans le Paradis.

'Umar sur la route de Damas aperçut un édifice élevé construit en plâtre et en brique. Il s'écria: "Allâhu akbar"(Dieu est plus grand!) et continua: Je ne pensais pas qu'il y avait parmi ce peuple des gens qui construisait des édifices comme ceux de Hâmân, ministre de Pharaon. Il faisait allusion par là à la parole de Pharaon: O Hâmân, allume-moi du feu sur la glaise! (C. 28.38). On affirme en effet que Pharaon fut le premier à construire en dur et en brique, ainsi qu'en plâtre, et le premier à en être le maître d'oeuvre fut Hâmân. Par la suite, tous les tyrans l'imitèrent. Il s'agit là de pure recherche du luxe architectural.

Un pieux Ancien vit une mosquée dans une certaine ville et dit: J'ai connu cette mosquée construite en branches de palmiers et de rameaux de palmiers secs, puis je la vis construite en briques non cuites, et maintenant je la vois construite en briques cuites. Les partisans de la construction en rameaux de palmiers sont meilleurs que ceux qui prennent les briques non cuites, et ceux qui prennent les briques non cuites sont meilleurs que ceux qui prônent les briques cuites.

Parmi les pieux Anciens, il y en avait qui construisait leur maison plusieurs fois dans leur vie en raison de la précarité de la construction et de la précarité de l'espérance en une vie longue et de leur renoncement à construire dans les règles de l'art.

Il y en avait parmi eux aussi qui lorsqu'ils allaient en pèlerinage ou au djihâd détruisaient leur maison ou en faisaient don à leurs voisins et quand ils revenaient, ils la reconstruisait. Leurs maisons étaient construites en matière végétale ou en peau, ce qui demeure jusqu'à présent la coutume des Arabes du Yémen. La hauteur du toit équivalait à une hauteur d'un homme et un peu plus.

Al-Hasan dit: Quand je pénétrais dans les appartements de l'Envoyé de Dieu, je cognais le plafond de ma main.

Et 'Affâr b. Dînâr dit: Lorsqu'un homme construit un édifice d'une hauteur supérieure à deux coudées, un ange l'interpelle: jusqu'où vas-tu élever cela encore, toi le plus pécheur des hommes ?

Sufyân déconseilla de fixer du regard un édifice impressionnant en disant: Si les gens n'admiraient pas les édifices élevés, cela ne les inciterait pas à les élever encore davantage.

Fudayl dit: Je n'admire pas celui qui construit et abandonne ensuite son oeuvre, je m'étonne de celui qui l'admire et qui n'en tire pas des leçons d'humilité ! .

Ibn Mas'ûd dit: Viendront des gens qui élèveront l'argile et abaisseront la religion et utiliseront des mulets, et qui prieront vers votre qibla, mais qui ne mourront pas comme de bons musulmans.

 

4) Le mobilier

(…)

5) Les relations sexuelles

Certains sont d'opinion que cela n'a pas de sens de parler de renoncement en matière de relations sexuelles ni, au contraire, de parler de leur fréquence. Sahl b. 'Abd Allâh est de cet avis : Les femmes ont été rendues attrayantes pour le maître des renonçants, comment pourrai-t-on alors renoncer à elles ? . Ibn 'Uyayna rejoint cette position: Parmi les Compagnons, le plus grands renonçant fut 'Alî b. Abî Tâlib. Il avait quatre épouses et plus de dix concubines. L'opinion juste en la matière est celle que professe Abû Sulaymân ad-Dârimî: Tout ce qui nous distrait de Dieu: famille, biens, enfants est une calamité. La femme peut nous distraire de Dieu.

La vérité en ce domaine peut se percevoir Si on se rend compte que le célibat peut être préférable dans certains états mystiques, comme nous l'avons exposé dans le Livre du mariage . Se détourner du mariage fera dan ce cas partie du renoncement. Mais là où le mariage est préférable pour repousser des passions qui pourraient être irrepressibles, il est un devoir, comment dans ce cas pourrait-il faire partie du renoncement ? Même s'il n' y a pas de dommage à y renoncer ni à le pratiquer, Dârimî renonça cependant au mariage pour se prémunir de tout penchant vers les femmes et de toute familiarité avec elles, dans la mesure où cela le distrairait de faire mémoire de Dieu. En conséquence, s'en détourner ressort du renoncement. Mais si l'adepte s'aperçoit que la femme ne le distrait pas de faire mémoire de Dieu et si cependant il renonce au mariage pour éviter la jouissance du regard et toute relation sexuelle, il ne s'agit absolument pas de renoncement, car la progéniture est désirable pour la survie de l'espèce et l'accroissement de la communauté de Muhammad fait partie des actions pieuses.

La jouissance qui affecte l'homme quand il s'agit des nécessités de l'existenc ne lui est pas dommageable, vu qu'elle ne constitue pas dans ce cas un but et une fin en soi. C'est comme si on cessait de manger du pain et de boire de l'eau pour éviter le plaisir de manger et de boire; il ne s'agit en rien de renoncement. Car renoncer à de telles choses c'est porter atteinte à l'intégrité du corps. De même renoncer à toute relation sexuelle c'est interrompre la lignée des générations.

Il n'est donc pas permis de renoncer a toute relation sexuelle pour le simple raison que l'on désire renoncer à la jouissance qui y est inhérente, sans préjudice d'autres dommages. C'est là ce que voulait sans doute dire Sahl. C'est pour cela que l'Envoyé de Dieu eut une vie sexuelle.

Si cela est établi, celui dont la situation est celle de l'Envoyé de Dieu, en ce sens que la pluralité des femmes ne le distrait en rien de Dieu, ni le fait qu'il se préoccupe de leur bien-être et de leur subsistance, il serait absurde qu'il renonce à elles, par simple crainte de jouissance en matière de relations sexuelles et de regard. Pourquoi s'imaginerait-on qu'il en aille autrement pour d'autres que les prophètes et les saints ? Mais quant à la majorité des hommes, la pluralité des femmes les distrait de Dieu. Il convient donc d'abandonner le principe du mariage, si celui-ci distrait de Dieu. Mais s'il n'est pas distrait de Dieu par le mariage pas et qu'il craint que ce soit la pluralité des femmes qui le distraie de Dieu, ainsi que la beauté féminine, qu'il en épouse une seule, qui ne soit pas belle et qu'il satisfasse ainsi son penchant dans ce domaine.

Abû Sulaymân a dit: Renoncer aux femmes, c'est choisir une femme de basse extraction ou une orpheline, de préférence à une femme belle et de la bonne société.

Junayd a dit: Je préfère que le novice n'occupe pas son esprit à trois choses, sinon sa situation en sera perturbée: la recherche du gain, les conversations frivoles, et le mariage. Il dit aussi: Je préfère que le soufi ne lise ni n écrive car cela ne l'aiderait pas à atteindre son but.

Mais s'il apparaît que le plaisir des relations sexuelles est comparable au plaisir de manger, alors ce qui détourne de Dieu est à plus forte raison à déconseiller dans les deux cas.

 

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