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Les Etats islamiques et la Déclaration universelle des droits de l'homme
Les Nations unies fêteront le 10 décembre 1998, le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Plusieurs Etats islamiques, parmi d’autres Etats, ont participé à l’élaboration de cette Déclaration. Nous allons analyser cette participation, en commençant par la problématique de la notion d’Etat islamique (I), et exposer, ensuite, les interventions des représentants des Etats islamiques lors de l’élaboration de cette Déclaration universelle (II).
I - LA NOTION D’ETAT ISLAMIQUE
S’il paraît facile aujourd’hui de déterminer, sur un plan général, la notion d’un Etat, il est, par contre, difficile et délicat d’adopter un seul critère en vue d’identifier un tel Etat comme un Etat islamique. Différents critères ont été avancés (A), la Charte de l’Organisation de la Conférence Islamique en a définit (B), et les docteurs de la loi musulmans anciens et contemporains ont proposé plusieurs critères (C). A - Différents critères Différents critères ont été avancés dans ce domaine. Ainsi un critère a été proposé : " Les Etats musulmans (sont) des Etats indépendants à majorité musulmane que l’Islam y soit religion d’Etat ou non " (1). Un autre a été dégagé en vertu des invitations adressées par les organisateurs du premier Sommet islamique (2). C’est le pourcentage de la population musulmane par rapport à la population globale, le taux approchant au moins de 20% a été retenu pour la circonstance (3). Mais ni le premier critère, ni le deuxième ne permettent d’identifier un Etat comme étant un Etat islamique car un Etat comme l’Inde, par exemple, avec plus de 20% des musulmans a été exclu du premier Sommet islamique de l’Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I) (4).
B - Les critères de La Charte de la l’Organisation de la Conférence Islamique
L’article VIII de la Charte de l’O.C.I (5) considérant que chaque Etat " ayant participé à la Conférence Islamique des Rois et Chefs d’Etat et de Gouvernement de Rabat, des Etats ayant participé aux deux Conférences Islamiques des Ministres des Affaires Etrangères à Jeddah et de Karachi et qui ont signé la présente Charte " est un Etat islamique. Ce critère n’est pas satisfaisant à notre avis. Il ne règle pas le problème en laissant, en même temps, quelques ambiguïtés concernant la notion d’Etat islamique, parce que, il y avait des Etats qui ont participé au premier Sommet islamique à Rabat, mais qui " n’ont pas participé à la première Conférence des Ministres des Affaires étrangères des Etats Islamiques tenue à Jeddah en mars 1970, et que d’autres n’ont pas participé à la deuxième Conférence des Ministres des Affaires étrangères tenue à Karachi au mois de décembre (1970) " (6). D’autres critères ont été proposés, par exemple : un critère " quantitatif " considérant un Etat comme un Etat islamique si le pourcentage de sa population musulmane atteint 50% au plus. Un critère " constitutionnel " considérant un Etat comme un Etat islamique si la constitution d’un tel Etat précise que la religion de l’Etat est l’Islam. Enfin, un critère " subjectif " considérant un Etat comme un Etat islamique si la religion du Chef de l’Etat ou du gouvernement est l’Islam (7). Mais tous ces critères ne sont pas " d’une grande clarté " non plus (8).
C - Les critères des docteurs de la loi musulmans (9). Si la majorité des docteurs de la loi musulmans sont d’accord, dans leurs études et travaux, sur l’existence, en droit musulman, de trois catégories de pays, pourtant, il faut distinguer entre les définitions données par les anciens et les contemporains de ces docteurs de la loi.
1 - le pays de l’Islam (Dâr al-Islâm) Pour les docteurs de la loi anciens et les contemporains, le pays de l’Islam, est le pays où les principes de l’Islam sont respectés, les règles de droit musulman sont applicables, et les musulmans sont en sécurité et il ne sont menacés ni dans leurs personnes ni dans leurs biens. 2 - le pays de la guerre (Dâr al-harb) Les principes et les règles de l’Islam ne sont, dans ce pays, ni respectés ni appliqués parce que l’autorité n’est pas entre les mains des musulmans, et les musulmans ne sont pas en sécurité (10).
3 - le pays du traité (Dâr al-‘ahd / Dâr al-sulh) Pour les docteurs de la loi, les musulmans n’exercent, dans ce pays, aucune autorité, mais ils ont conclu un traité avec le gouvernement de ce pays. Et, dans certains cas et en vertu de ce traité, ce gouvernement paye un tribut aux musulmans. Quelques docteurs de la loi contemporains sont d’avis que la notion du pays de traité couvre l’ensemble des pays non musulmans aujourd’hui car il y a des traités entre les différents pays de monde, il y a aussi des relations diplomatiques, culturelles et commerciales entre eux (11). Nous pouvons ajouter, également, que les Etats sont liés entre eux par des traités bilatéraux et multilatéraux, ils sont membres des différentes organisations internationales et ils travaillent ensemble pour la paix et la sécurité dans le monde, ce qui signifie, à notre avis, que nous sommes aujourd’hui en face de deux catégories de pays : le pays de l’Islam et le pays de traité. Et, si un pays de traité déclare la guerre à un pays de l’Islam, envahi, occupe son territoire ou attaque sa population, il sera considéré comme un pays de guerre, et le pays de l’Islam a le droit alors de se défendre face à une agression armée. Dès lors, nous pouvons dégager quelques critères pour trouver une définition d’Etat islamique : a) au niveau constitutionnel, on peut considérer un Etat comme un Etat islamique si sa constitution affirme que la religion de l’Etat en question est l’Islam. b) au niveau juridique, si les règles du droit musulman sont applicables, totalement ou partiellement, dans cet Etat, ce sera un Etat islamique (12). c) au niveau de l’autorité, si le pouvoir exécutif est entre les mains d’un musulman, Roi, Président ou Premier ministre, nous sommes alors en présence d’un Etat islamique (13). Mais au-delà de ce problème de définition, les Etats islamique existent sur la scène internationale : ce sont les Etats membres de l’O.C.I (14). Quel était leur rôle alors dans l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme ?
II - L’ELABORATION DE LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE l’HOMME
Le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme par 48 voix contre 8 abstentions (15). Cette Déclaration était un volet d’un triptyque qui constitue la Charte internationale des droits de l’homme. Les autres volets étaient : un pacte des droits de l’homme et des mesures d’applications correspondantes. C’est le Conseil économique et social de l’O.N.U, qui a confiée à la Commission des droits de l’homme, en application d’une résolution du 16 février 1946, la tâche de préparer une déclaration. Dans un premier temps, le secrétariat des Nations unies a proposé, à cette Commission une " Déclaration internationale des droits de l’homme " (16). Et, c’est René Cassin qui avait obtenu, étant président de la délégation française, que " la Déclaration des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale en 1948 soit qualifiée d’universelle " (17). Dans un deuxième temps, la Commission a créé un groupe de travail composé de représentants des Etats-Unis, de la France, du Liban et du Royaume-Uni en vue de préparer le premier projet de la déclaration. Ce projet a été soumis plus tard à la Commission. Cette dernière a présenté, à l’Assemblée générale, un projet d’un déclaration comprenant un préambule et vingt huit articles. L’Assemblée a transmis, le 24 septembre 1948, à la Troisième Commission (la Commission des questions sociales, humanitaires et culturelles) le projet de la déclaration. Cette Commission a examiné le projet sans tenir compte du " pacte et des mesures d’applications ", et elle a recommandé, plus tard, à l’Assemblé générale l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La Troisième Commission était composée de représentants de tous les Etats membres des Nations unies et parmi eux, dix Etats islamiques ont participé aux travaux concernant l’élaboration de la Déclaration. Ce sont : l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, l’Egypte, l’Irak, l’Iran, le Liban, le Pakistan, la Syrie, la Turquie et le Yémen. Quelques articles du projet de la Déclaration ont fait l’objet des vives interventions de la part des représentants des Etats islamiques. Nous allons se contenter d’examiner les discussions engagées autour de quelques uns (18), ce sont les articles : 1er, 13, 16, et 18.
A - L’article 1er : " Tous les être humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans esprit de fraternité ". Lors de sa 3ème session, la Commission des droits de l’homme avait rédigé l’article 1er, après quelques amendements, comme suit : " Tous les être humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. La nature les dote de raison et de conscience et ils doivent se comporter entre eux dans un esprit de fraternité ". Avant les discussions qui ont été engagées à l’Assemblée générale concernant cet article, M. Malik (Liban) est intervenu contre la proposition du représentant chinois M. Chang suggérant la suppression des mots " Ils sont doués de raison et de conscience " alléguant que ces mots étaient discutables. Aux yeux de M. Malik, ces mots rappelaient les attributs des être humains qui les différencient des animaux (19). En effet, dans cette distinction, entre les êtres humains et les animaux, on trouve une conception essentielle du droit musulman : les hommes y sont respecté et considérés comme nobles dès leur premier jour comme leur père Adam (20). Par ailleurs, devant la Troisième Commission, M. Azkoul (Liban) a proposé de modifier ainsi l’article 1er : " Tous les être humains sont libres et égaux " parce que la phrase : " Tous les être humains naissent libres et égaux " constituait, à son avis, une menace dans la mesure où elle pourrait suggérer que l’homme pourrait être privé de ses droits pour une raison quelconque. Cette proposition était intéressante (21), et plusieurs délégués l’ont appuyée, mais M. Cassin a insisté pour maintenir cette phrase : " Tous les être humains naissent libres et égaux... ", car pour lui, la réalité de la liberté et de l’égalité des hommes existe pour eux du fait de leur naissance, quels que soient les événements postérieurs (22). Plusieurs représentants des Etats islamiques sont également intervenus pendant un vote général concernant la transformation de la première phrase de cet article 1er, en une disposition du préambule de la Déclaration. Toutefois, la position de ces représentants n’était pas unanime, car les représentants du Liban, de l’Iran, de la Syrie et de la Turquie ont voté contre la transformation. Par contre, les représentants de l’Afghanistan et de l’Egypte se sont abstenus. D’autre part, le représentant de l’Irak M. Abadi a estimé que la rédaction de l’article 1er n’était pas satisfaisante. Et, il a proposé le texte suivant : " Tous les êtres humains doivent être libres et égaux en dignité et en valeur, et avoir droit à être traités de la même façon et à jouir d’égales possibilités " (23). Mais le représentant de l’Egypte a exprimé son désaccord et le représentant de la Syrie s’est déclaré satisfait de l’article 1er tel qu’il figurait dans le projet de Déclaration. -Enfin, le représentant de la Belgique a proposé, lors de la 3ème session de la Commission des droits de l’homme, la suppression des mots " par la nature " pour éviter une controverse entre les croyants qui sont contre l’idée de " la nature ", et les non croyants qui la trouvent acceptable. De son côté, le représentant de l’Egypte M. Bagdadi, a manifesté son accord avec les représentants de la Belgique et de la Chine pour supprimer ces mots dans la seconde phrase de l’article 1er. Par contre, les représentants du Liban et de la Syrie, à la Troisième Commission, désiraient les maintenir. Après interventions de plusieurs délégués, on a soumis aux voix les mots " par la nature " et ils ont été supprimés par 26 voix contre 4 avec 9 abstentions (24). En effet, on peut estimer que le droit naturel ne peut pas être le seul et unique fondement des droits de l’homme, car il n’est pas universel (25), alors que les valeurs qu’expriment les droits de l’homme se trouvent dans toute " les doctrines politiques, sociales et religieuse " (26), et pas seulement dans le droit naturel. En Islam, le droit naturel est la " fitra ", ce qui signifie " une manière de créer ou être créé " (27), et l’homme ne vit pas seulement de sa " fitra ". Ainsi, Dieu a dicté la loi divine qui est " un droit " naturel " dans ce sens que sa source première, le Coran, est immuable autant qu’éternel " (28), et il n’y a aucune contradiction, pour la philosophie juridique islamique majoritaire, entre " droit naturel (et rationnel) et droit révélé " (29). Dès lors, la suppression des mots " par la nature " était, à notre avis, tout à fait juste, parce qu’il importait ne pas négliger le rôle d’autres facteurs : religieux, économiques et sociaux dans la vie de l’homme libre. B - L’article 13 : " 1-Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. 2-Toute personne a le droit de quitter tout pays y compris le sien, et de revenir dans son pays ". Le représentant du Liban M. Azkoul est intervenu d’une façon remarquable pour réparer une omission de projet de cet article 13, tel qu’il était rédigé : " Toute personne peut circuler et choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien " (30). M. Azkoul a trouvé une lacune dans ce texte : c’est vrai que le droit de quitter tout pays, y compris le sien, est un droit fondamental pour chacun, mais ce droit ne serait complet que s’il est accompagné du droit de revenir dans son pays quand il le voudra, qui est une conséquence logique de sa liberté de quitter son pays. Cette proposition a été adoptée par 33 voix contre zéro, avec 8 abstentions (31). Ce même article a fait l’objet de trois réserves différentes de la part de M. Cassin, de la part représentants soviétiques et de la part de M. Baroody (Arabie saoudite). Ce dernier a déclaré à propos des mots " de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat " que son gouvernement se réservait le droit de continuer à agir selon les lois et procédures en vigueur dans son pays. Pour comprendre la position de représentant d’Arabie saoudite, il faut rappeler que les docteurs de la loi musulmans ne sont pas d’accord sur le droit d’un non-musulmans de pénétrer sur le territoire sacré, c’est-à-dire la Mecque et la région environnante ni dans le (Hedjâz) (32). En effet, pour les rites Shafi’te (33) et Hanbalite (34), le non-musulmans n’a pas le droit de pénétrer dans le (Hédjâz) sauf une exception : " s’il vient, par exemple, en qualité d ‘ambassadeur ou s’il importe des objets de première nécessité " (35). Le rite Malikite (36) a interdit l’accès du (Hédjâz) au non-musulmans (37). Le rite Hanafite (38) a autorisé le non-musulmans à pénétrer dans le (Hédjâz) (39). Quant au territoire sacré, les rites Malikite, Shafi’te et Hanbalite ont interdit au non-musulmans d’y pénétrer, contrairement au rite Hanafite qui en a autorisé l’accès (40). M. Baroody s’est référé, sûrement, à la législation d’Arabie saoudite, basée sur la doctrine Wahhabite (41), qui trouve ses sources dans le rite Hanbalite, et qui interdit aux non-musulmans de pénétrer dans les deux villes (Mecque) et (Médine) et ses régions environnantes, quand il a mis sa réserve concernant cet article 13.
C - L’article 16 : " 1-A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. 2-Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. 3-La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat ". Cet article 16 était l’objet de plusieurs interventions et propositions de la part des représentants des Etats islamiques. Ainsi, devant la Troisième Commission, le texte suivant, avait été présentée :" 1-L’homme et la femme d’âge nubile ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils jouissent de droits égaux en matière de mariage.2-Le mariage ne peut être contracté qu’avec le plein consentement des deux époux.3-La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection " (42). Le représentant d’Arabie saoudite a déclaré, à la Troisième Commission, que le mot " nubile " au paragraphe 1 du texte de base est ambigu, car il ne signifie pas nécessairement " d’âge nubile conformément à la loi ", et il a proposé de remplacer le mot " nubile " par les mots " ayant atteint l’âge légal pour contracter mariage ", et d’en restreindre la portée en insérant la phrase " dans chaque pays ". Le représentant de la Syrie M. Kayali, en déclarant qu’il votera pour le texte de projet, a considéré les mots " âge nubile " comme équivoque et " ne sont pas satisfaisants du point de vue médico-légal, étant donné qu’ils ne déterminent pas cet âge " (43). Et, il a partagé, en même temps, les doutes du représentant de l’Arabie saoudite à ce propos. M. Azkoul (Liban) était, lui aussi, favorable à l’amendement de l’Arabie saoudite qui précise utilement, selon lui, le texte de base. Mais devant plusieurs objections présentées concernant cet amendement, M. Baroody a présenté une nouvelle rédaction de ce paragraphe 1er, ainsi conçu : " Dans chaque pays, l’homme et la femme ayant atteint l’âge légal pour contracter mariage ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils jouissent de tous les droits prévus par les lois de leur pays sur le mariage ". Et, M. Baroody expliquait qu’il a proposé de remplacer les mots " jouissent de droit égaux en matière de mariage " dans le deuxième phrase du paragraphe 1er, par l’expression " jouissent de tous les droits prévus par les lois de leurs pays sur le mariage ", parce que " les droits de l’homme et de la femme en matière de mariage doivent être évalués en termes qualitatifs plutôt que quantitatifs. C’est la raison pour laquelle les droits respectifs de chaque sexe sont si clairement définis dans tous les codes civils " (44). Le représentant du Pakistan Mme Ikramullah a appuyé M. Baroody en expliquant que les lois islamiques relatives au mariage donnent, dans tous les Etats où elles sont appliquées, une garantie suffisante à toutes les femmes (45). Le Président de la Troisième Commission a mis aux voix cette nouvelle rédaction présentée par l’Arabie saoudite, mais elle fut rejetée. M. Azkoul a proposé alors l’addition des mots " libre et " devant la phrase " plein consentement " pour que le consentement ne puisse être obtenu sous la contrainte morale ou même physique. Cette proposition a été adoptée par 36 voix contre zéro, avec 5 abstentions. Mais une vive discussion a éclaté quand M. Compos Ortiz (Mexique) a fait insérer les mots " sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou religion " en prenant en considération le fait qu’il s’agit d’une répétition partielle de l’article 2 de la Déclaration. Plusieurs délégués ont appuyé le représentant du Mexique, mais les représentants des Etats islamiques ont manifesté leur mécontentement concernant cet amendement. M. Azkoul a déclaré qu’il s’abstiendrait de voter. Mme Ikramullah s’est opposée à cet amendement , car elle n’a pas accepté qu’on ne tienne pas compte des considérations religieuses pouvant empêcher le mariage. M. Baroody n’a pas pu approuver, non plus, cet amendement, car il est en conflits avec le droit musulman. Mais la Troisième Commission a adopté cet amendement par 22 voix contre 15, avec 6 abstentions. L’Irak, le Pakistan et la Syrie ont voté contre. L’Afghanistan, l’Arabie saoudite, l’Iran et le Liban étaient parmi les pays qui s’étaient abstenus (46). Finalement, le représentant de l’Egypte a essayé de remplacer le projet de l’article 16 par le texte suivant : " Toute personne a le droit de constituer une famille, élément fondamental de la société, et elle a le droit à la protection de cette famille ". Mais, l’amendement égyptien fut rejeté par 36 voix contre zéro, avec 3 abstentions (47). Les raisons qui ont poussé les représentants des Etats islamiques à exprimer leur mécontentement sont basées sur les règles de la Sharî`a qui interdit à un musulman d’épouser une païenne, mais le musulman peut épouser une femme parmi (les gens du Livre) (ahl al KitÊb), c’est-à-dire une juive ou chrétienne. D’autre part, la femme musulmane ne peut épouser un musulman. Et, tous les codes du statut personnel des Etats arabes, par exemple, spécifient cette interdictions (48). D - L’article 18 : " Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement de rites ". Cet article a causé avant son adoption par l’Assemblée générale de vives protestations de la part des représentants des Etats islamiques. C’est ainsi que M. Baroody s’est opposé, à la Troisième Commission, à cette clause concernant le changement de religion. Pour lui, cette clause joue en faveur des interventions politiques étrangères qui se présentent comme des missions pratiquant le prosélytisme (49). Le représentant de l’Egypte s’est joint au représentant saoudien en expliquant que la proclamation, par la Déclaration, de cette liberté de changer la religion, traduit " les machinations de certaines missions bien connues en Orient, qui poursuivent inlassablement leurs efforts en vue de convertir à leur foi les population de l’Orient " (50) . Et, on comprend bien les motifs de ces missions dites " missions civilisatrices " qui n’ont d’autre but que d’imposer leur " propre conception des droits de l’homme : la conception libérale " (51), dans laquelle se trouve la liberté de changer la religion. A ce raisons politiques et " civilisatrices ", nous ajoutons l’interdiction fait par la Sharî’a d’abandonner la religion musulmane (52). Dès lors, on peut comprendre les protestations qui ont été élevées par les représentants de l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan et la Syrie en soutenant la position de représentant d’Arabie saoudite, ainsi que le réserve faite par le représentant de l’Egypte concernant cette clause (53). Le Président de la Troisième Commission a mis au vote la proposition de l’Arabie saoudite de supprimer la clause permettant le changement de religion : par 22 voix contre 12, avec 8 abstentions la proposition fut rejetée. Les représentants de l’Afghanistan, de l’Arabie saoudite, de l’Irak, du Pakistan, et de la Syrie ont voté contre cette clause. Les représentants du Liban et de la Turquie ont voté pour , le représentant de l’Iran s’est sont abstenu. Mais si nous cherchons les raisons de cette interdiction faite par la Sharî’a, concernant le changement de religion, on trouvera ses origines dans les événements historiques qui ont justifié son introduction après l’émigration (hégire) du Prophète Muhammad et de ses compagnons de la Mecque à Médine, en l’an 622 de l’ère chrétienne. Les arabes de Médine se sont convertis dans leur totalité à la religion musulmane, ils étaient unis après une période de rivalité armée. A Médine, il y avait des gens qui se sont convertis à l’Islam dans un premier temps puis ont abjuré semant le doute chez les musulmans en ce qui concerne leur religion et leurs convictions. Le Coran a parlé de cette piésode (54), et interdit le changement de religion pour faire échec aux tentatives de ceux qui cherche à faire naître le doute chez les croyants. Dès lors, " nul n’envisagera plus d’adopter la foi islamique sans qu’il ait au préalable mûri sa décision à la lumière de la raison et de la science, et en vue d’une conversion définitive et permanente " (55). De plus, quand on évoque la liberté de changer la religion, ce changement est un élément de la liberté religion dans son ensemble et cette liberté peut être restreinte pour différentes raisons à savoir, par exemple, la paix entre les hommes. Ainsi " reconnaître la liberté de pensée,de conscience et de religion comme un droit inhérent à la personne humains n’en fait pas une liberté absolue, mais permet d’imposer des restrictions sévères et des critères rigoureux à toute considération que l’on pourrait invoquer pour justifier une atteinte à l’exercice de ce droit " (56).
Conclusion Un certain consensus, parmi les docteurs de la loi musulmans, permettait, pendant plusieurs siècles, de définir l’Etat islamique, c’est le pays de l’Islam par opposition au pays de guerre ou pays de traité. La situation actuelle des relations internationales, surtout à partir de XXe siècle, et les efforts entamés, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, pour faire triompher la paix et la sécurité internationales dans le monde ; ont été traduit, à côté d’autres résultats et conséquence, par l’émergence de plusieurs groupes d’Etats composant de la commuante internationale, et parmi eux un nouveau groupe d’Etats, et cela à partir des années 7O, ces sont les Etats islamiques membres de l’Organisation de la Conférence Islamique. Les représentants de ces Etats ont participé activement à l’élaboration de différents textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Parmi eux, la Déclaration universelle des droits de l’homme dont on fête , cette année, le cinquantième anniversaire. Certains articles de cette Déclaration, et plus que d’autres, ont fait l’objet d’interventions, discussions, propositions, abstentions ou votes de la part de ces représentants. Ces sont les articles : 1er, 13, 16 et 18. Quelques paragraphes des articles 16 et 18 entrent en conflits avec quelques dispositions de la Shari’a, d’où les protestations, les interventions et les abstentions de vote de certains représentants d’Etats islamiques. Mais lors de vote finale à la Déclaration universelle, un seul Etat islamique s’est abstenu : c’est l’Arabie saoudite, et le représentant d’un autre Etat islamique qui est le Yémen, n’était pas présent lors de ce vote. Ces deux positions divergents ne doivent pas, à notre avis, mettre en cause la foi des Etats islamiques dans cette Déclaration, ni leur conviction qu’elle est " l’idéal commun à atteindre pour tous les peuples et toutes les nations " . ____________________________________ * Docteur d’Etat en Droit, ancien chargé de cours à l’Université d’Alep, Syrie. Chercheur à l’Institut International des Droits de l’Homme, Strasbourg, France. (1) George De BOUTEILLER, " L’Islam réveil ou renouveau ", Revue de la Défense Nationale, novembre 1979, p. 87. (2) Voir concernant ce Sommet notre thèse pour le Doctorat d’Etat, Les apports islamiques au développement du droit international des droits de l’homme, Université de Strasbourg III, octobre 1987, pp. 334 et s. (3) Robert SANTUCCI, " La solidarité islamique à l’épreuve de l’Afghanistan ", Revue Française de Sciences Politiques, n° 3, juin 1982, p. 494. 4) Maurice FLORY, " Les conférences islamiques ", Annuaire Français de Droit International, 1970, p. 239. (5) Voir la Charte de l’O.C.I, dans notre thèse pp. 395-406. (6) Taoufik BOUACHBA, " L’Organisation de la Conférence Islamique ", Annuaire Français de Droit International, 1982, pp. 271-272. (7) Ibid. p.269. (8) Abdelfattah AMOR, " Constitution et religion dans les Etats musulmans (I) : L’Etat musulman ", Revue Conscience et Liberté, n°54, 1997, pp. 57-58. (9) Nous allons utiliser, dans cette étude, l’expression (docteurs de la loi musulmans) pour désigner les juristes, les jurisconsultes, les savants et les mudjtahids (théologiens-juristes musulmans qualifiés). 10) Whaba AL-ZUHAYLI, (al-‘alÊqÊt al-dawliyya fÞ l-islÊm, muqÊrana bi l-qanøn al-dawlÞ al-Ùadth) (Les relations internationales en Islam, comparées avec le droit international moderne), éd. al- adth) (Les relations internationales en Islam, comparées avec le droit international moderne), éd. al-RisÊla, Beyrouth, 1981, p. 105 et s., (en langue arabe). (11) Mana’ AL-KATAN, (IqÊmat al-muslim fi bald ghayr islÊmiyya) (Le séjour du musulman dans un pays non-musulmansIqÊmat al-muslim fi bald ghayr islÊmiyya) (Le séjour du musulman dans un pays non-musulmans), éd. Euro-Media, Amiens (s.d), pp. 7-8 (en langue arabe). (12) BOUACHBA, Op. cit. p. 270. (13) M. AMOR a parlé ici d’un " critère personnel ". Op. cit. p. 58. (14) Voir la liste de ces Etats, annexe I. (15) Les Etats qui se sont abstenus sont : l’Arabie saoudite, la Pologne, la République socialiste soviétique de Biélorussie, la République socialiste soviétique d’Ukraine, la Tchécoslovaquie, l’Union des socialistes soviétiques, l’Union sud-africaine, et la Yougoslavie. Etaient absents : Honduras et Yémen. Voir, Christine FAURE, Ce que déclarer des droits veut dire : histoires, P.U.F, Paris, 1997, p. 216. (16) Ibid.pp. 188-189. (17) René-Jean DUPUY, " Réflexion sur l’universalité des droits de l’homme ", in Héctor Gros Espiell, Amicorum Liber, volume 1, Bruylant, Bruxelles, 1997, p.279. (18) Voir concernant les autres articles notre thèse, op.cit.,. pp. 173 et s. (19) Albert VERDOODT, Naissance et signification de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Nauwelaerts, Louvain-Paris, 1964, pp. 80-81. (20) " Nous avons ennobli les fils d’Adam ", Le Coran. Introduction, traduction et notes par D. MASSON, Gallimard, 1967, (chapitre 17, 70). (21) La proposition de M. Azkoul s’accorde avec l’idée selon laquelle, l’homme, en Islam, n’est pas né libre, mais il est né pour être libre car par le devoir et la responsabilité, l’homme a pris conscience de son existence. (22) VERDOODT, Op. cit., p. 82. (23) Doucuments officiels de la troisième session de l’Assemblée générale. Première Partie. Question sociales, humanitaires et culturels. Troisième Commission. Comptes rendus analytique des séances, 21 septembre - 8 décembre, 1948, pp. 99-100. (24) Comptes rendus, 3ème session, pp. 90-126. (25) Yves MADIOT, Droits de l’homme et libertés publiques, Masson, Paris, New York, Barcelon, Milan, 1976, p.23. (26) Karel VASAK, " Le droit international des droits de l’homme ", Recueil de l’Académie de Droit International, Tome 140, 1974, p. 404. (27) M.-A. SINACEUR, " Déclaration islamique universelle des droits de l’homme " in Droit de l’homme, droits des peuples, P.U.F, 1982, p. 223. (28) Mohamed Sami Abdel HAMID et Yassin Mohamed TAGELDIN, " Le monde arabo-islamique ", Revue international des sciences sociales. Sociologie de la sciences, UNESCO, n° 3, 1970, p. 406. (29) Yadh Ben ACHOUR, " Nature, raison et révélation dans la philosophie du droit des auteurs sunnites ", in Les Droit Fondamentaux. Actes des 1ères Journées scientifiques du Réseau Droits fondamentaux de l’AUPELF-UREF, teunes à Tunis du 9 au 12 octobre 1996, Bruylant, Bruxelles, 1997, p. 172. (30) Comptes rendus, 3ème session, p.185. (31) Comptes rendus, 3ème session, p. 325. (32) MŠWARD¦ a divisé le pays de l’Islam en trois catégories : 1-le territoire sacré qui comprend : " La Mekke (la Mecque) et la région environnante à laquelle est aussi reconnu le caractère sacré ". Et on appelle, aussi, le territoire sacré qui comprend : " L’Haram, la région entourant la Mekke dans les diverses directions ". 2-le (Hedjâz) est : " d’après Açma’i, est ainsi dénommé parce qu’il établit une " séparation " entre le Nejd et la Tihâma, et, d ‘après (Hichâm) Ibn el-Kelbi, à raison des montagnes qui l’enserrent ". 3-" Les autres pays en dehors du Territoire sacré et du Hedjâz ". Abou Hasan Ali MAWERDI (mort en 450 h.), (al-aÙkÊm al-sulôÊniyya). Les Statuts Gouvernementaux ou règles de droit public et administratif.al-aÙkÊm al-sulôÊniyya). Les Statuts Gouvernementaux ou règles de droit public et administratif.aÙkÊm al-sulôÊniyya). Les Statuts Gouvernementaux ou règles de droit public et administratif. Traduction et notes de E. FAGNAN, le Sycomore, Paris, 1982, pp. 333, 350 et 356. (33) C’est le rite fondé par l’imam AL-SHŠFI`¦ (150-204 h. / 767-819). (34) C’est le rite fondé par l’imam AÙmad ben ¡ANBAL (164-227 h. / 780-841). (35) Antoine FATTAL, Le statut légal des non-Musulmans en pays de l’Islam. Recherches publiées sous la direction de l’Institut de Lettres Orientales de Beyrouth, Beyrouth, 1958, p.87. (36) C’est le rite fondé par l’imam MÊlik ben ANAS (93-179 h. / 711-795). (37) Fattal, Op. cit. ,p. 87. (38) C’est le rite fondé par l’imam Abø ¡AN¦FA (80-150 h. / 699-767). (39) Mawardi, Op. cit., p.356. (40) Abdel Karim ZIDAN, (AÙkÊm al-dhimmiyyÞn wa l-musta`manÞn fÞ dÊr al-islÊm), (Statuts des protégés et étrangers en pays de l’Islam)m), (Statuts des protégés et étrangers en pays de l’Islam), éd. (Al-Quds, Al-RisÊla), Bagdad, Beyrouth, 1982, p.92. (en langue arabe). (41) Doctrine fondée par Mohammed Abdel WAHAB (1087-1175 h . / 1703-1791) (42) E/CN. 4/SR. 58, pp. 9-19, et E/CN. 4/SR. 62, pp. 3-13. (43) Comptes rendus, 3ème session, p. 366. (44) Ibid. p. 370. (45) Ibid. p. 374. (46) Comptes rendus, 3ème session, pp. 364-375. (47) Ibid. pp. 374-375. (48) " à l’exception du code tunisien de 1958 ; son silence n’est cependant pas signifiant de l’abrogation de la norme, principe fondamental préexistant et toujours appliqué ". François-Paul BLANC, Le droit musulman, Dalloz, Paris, 1995, p. 39 (49) Comptes rendus, 3ème session, pp. 391-392. 50) Compte rendus, AG, 3ème Commission vol. 2, 127 séance pp. 391-392 ; A/C3/247 Rev. 1, 9 oct. 1948. (51) MADIOT, Op.cit. p. 73. (52) " Ceux qui combattent ne cesseront pas, tant qu’ils ne vous auront pas contraints, -s’ils le pouvait- de renoncer à votre Religion. Ceux qui, parmi vous, s’écartent de leur religion et qui meurent incrédules : voilà ceux dont les actions seront vaines en ce monde et dans la vie future ; voilà ceux qui seront les hôtes du Feu ; ils y demeureront immortels ". (Coran, 2, 217). (53) Comptes rendus, 3ème session, pp. 399-408. (54) " Une partie des gens du Livre dit : " Au début du jour, croyez à ce qui a été révélé aux croyants ; à son déclin, soyez incrédules ". -Peut-être reviendront-ils ". (Coran, 3, 72). (55) Colloque de Riyad (Arabie saoudite). " Le Memordanum " du gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite relatif au dogme des droits de l’homme en Islam et à son application dans le Royaume, adressé aux Organisations internationales intéressées, in Colloque de Riyad, de Paris, du Vatican, de Genève et de Strasbourg sur le dogme musulman et les droits de l’homme en Islam, éd. (DÊr al-kitÊb al-lubnÊn), Beyrouth (s.d), p. 57. (56) Morrs ABRAM, "Liberté de pensée, de conscience et de religion", Revue de la Commission Internationale des Juristes, Tome VIII, n° 2, 1968, 45 1/1, 1/2, 1/3, 2/1, 2/2, 2/3, 3/1-2 4/1-2 5/1-2
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