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La création d'une faculté de théologie musulmane

A L’UNIVERSITE DE SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG

 

 

La création d'une faculté de théologie musulmane dans le cadre de l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg est un projet ancien. Il est à nouveau d'actualité depuis que Monsieur Etienne Trocmé, théologien protestant, professeur émérite et ancien président de l'Université des Sciences Humaines a rédigé un rapport en novembre 1996 à la demande de l'actuel président d'Université. Le dit "projet Trocmé" a suscité diverses réactions, positives et négatives.

 

Certes la création d'une faculté de théologie musulmane dans le cadre d'une université publique n'est pas sans poser problème. Il n'existe pas de modèle similaire en Europe et les libertés universitaires (liberté de l'enseignement et de la recherche) sont à des degrés divers limitées par les données de la foi. Plus précisément, les libertés universitaires sont subordonnées aux libertés d'enseignement et de recherche définies par chaque religion. La théologie universitaire tout comme l'enseignement religieux dans les écoles publiques conserve, d'une certaine manière, un statut confessionnel au sein même des établissements publics d'enseignement.

 

Le but de cette étude est de prendre du recul par rapport à un débat passionnel souvent confus pour essayer de bien déterminer la faisabilité de ce projet tout en mesurant ses enjeux dans le cadre plus large de l'Union Européenne. Dans un premier temps je présenterai les statuts juridiques des facultés de théologie dans les universités publiques en insistant sur les particularités des établissements alsaciens-mosellans. Dans un second temps, j'aborderai les problèmes spécifiques qu'entraîne une insertion universitaire de la théologie, pour enfin proposer les éléments d'un cadre institutionnel aux fins d'organiser un enseignement de théologie musulmane à l'Université.

 

 

I - Le statut des facultés de théologie

 

Des facultés de théologie catholique et protestante faisaient partie intégrante de l'Université française jusqu'à la fin du 19e siècle (catholique) et au début du 20e (protestante). Il existe encore à l'heure actuelle trois établissements d'enseignement de la théologie à Strasbourg et à Metz. Leur existence n'a rien d'exceptionnel dans le cadre plus large du maillage universitaire de l'Union Européenne. Une attention particulière sera portée, dans une perspective comparative, au statut juridique des facultés françaises de théologie et donc à la modalité de leurs liens avec les Eglises concernées.

 

 

1. La théologie universitaire en France

 

 

* Rappel historique

 

En France, suite aux bouleversements de la Révolution, un décret du 17 mars 1808 a institué des facultés de théologie protestante et catholique qui ont par la suite été supprimées par la loi de finances du 21 mars 1885 pour la théologie catholique et par la loi du 5 décembre 1905 pour la théologie protestante. L'Ecole rabbinique de France créée le 21 août 1829 a reçu des subventions publiques sans jamais être intégrée dans l'Université. En 1867 le ministre de l'Instruction publique proposa sa transformation en Faculté de théologie. Le Consistoire central préféra maintenir le statu quo pour éviter, entre autres, que les cours ne soient ouverts au public. Le Séminaire israélite est actuellement un établissement privé d'enseignement supérieur.

Précisons que, à Strasbourg, la faculté de théologie protestante recréée en 1819 conformément au décret de 1808 a été maintenu lors de l'annexion de l'Alsace-Lorraine par le IIe Reich allemand qui a de plus instauré une faculté de théologie catholique en 1902.

 

 

* Le statut des instituts de théologie

 

L'enseignement de la théologie protestante et de la théologie catholique dans l'Université de Strasbourg est dispensé dans le cadre d'Instituts et non d'Unité de Formation et de Recherche (UFR). Ces Instituts ont été créés conformément à l'article 25 de la loi sur l'enseignement supérieur n° 84-52 du 26 janvier 1984. L'article 33 de ce texte leur garantit l'autonomie financière et l'autonomie de fonctionnement. Un Centre autonome de pédagogie religieuse existe, par ailleurs, depuis 1970 au sein de l'Université de Metz. Il est rattaché à l'Unité de formation et de recherches des Lettres et Sciences Humaines de cet établissement.

 

Les enseignants de ces trois établissements relèvent des statuts propres au corps des professeurs des universités et à ceux du corps des maîtres de conférences. Le recrutement de ces personnels, restant sauves les dispositions spécifiques à la Faculté de théologie catholique, s'opère selon la procédure prévue par le droit commun. Il existe localement deux commissions de spécialistes (théologie protestante et théologie catholique). Les CNU qui sont nationales ont toutefois été remplacés par des commissions spéciales consultatives se réunissant à Strasbourg à raison de la rareté et de la spécificité de cette discipline qui est uniquement enseignée à Strasbourg et à Metz.

 

 

* Les relations avec les Eglises

 

Pour la faculté de théologie protestante, l'article 11 du décret du 26 mars 1852 précise que "le Directoire donne son avis motivé sur les candidats aux chaires de la faculté de théologie". L'article 7 du même texte note que "lorsqu'une chaire de professeur de la religion réformée vient à vaquer dans la faculté de théologie, le Conseil central recueille les votes des consistoires et les transmet avec son avis au ministre". Ces dispositions ne trouvent plus application à l'heure actuelle. L'article 32 de la loi du 12 novembre 1968 a mis fin à la participation de représentants des Eglises dans la commission spéciale consultative. Par ailleurs, l'avis du directoire et des consistoires n'est plus recueilli par l'administration. Notons que ni l'ECAAL, ni l'ERAL n'ont jamais protesté officiellement contre cet oubli ou tenté de rétablir leur intervention. Pour Jean Volff, magistrat et ancien vice-président du directoire de l'ECAAL, la loi du 12 novembre 1968 ne serait toutefois pas incompatible avec l'obligation de solliciter l'avis du directoire ou du conseil synodal avant de nommer un professeur de théologie. Malgré son autonomie institutionnelle par rapport aux Eglises, la faculté de théologie protestante entretient des relations avec l'ERAL et l'ECAAL et propose de nombreuses formations pour les pasteurs, les musiciens d'église, les responsables caritatifs.

 

Le caractère confessionnel de la théologie catholique à l'Université et sa dépendance par rapport à la hiérarchie religieuse sont inversement proportionnel à ceux existant en théologie protestante. Ils sont garantis par un arsenal juridique spécifique. En effet, une convention internationale entre le Saint-Siège et le gouvernement allemand du 5 décembre 1902 fonde comme nous l'avons vu l'existence de cette institution. Ce texte de droit international a été confirmé par un échange de lettres entre le Saint-Siège et le gouvernement français en novembre 1923 suite à la désannexion. La convention entre le Saint-Siège et la République française relative au Centre autonome d'enseignement et de pédagogie religieuse de l'Université de Metz du 25 mai 1974 renvoie à la convention de 1902. Ce texte précise le droit d'intervention de l'autorité religieuse dans la nomination et la révocation des enseignants de théologie catholique. Il définit en outre son droit de surveillance sur les professeurs et le fonctionnement de la faculté. Ainsi l'archevêque de Strasbourg et l'évêque de Metz qui représentent le Saint-Siège auprès de la Faculté et de l'Université peuvent exercer un droit de surveillance sur le contenu des cours et sur la fréquentation des cours. Leur pouvoir est particulièrement important dans la procédure de nomination des enseignants. En effet, l'évêque peut intervenir à tout moment au cours de la procédure de droit commun de recrutement et refuser la nomination "à raison d'objections fondées contre la doctrine ou la conduite de la personne en question". Le prélat peut également attirer l'attention du gouvernement sur des candidats. Enfin, l'article 5 de la convention donne à l'autorité religieuse un pouvoir indirect de révocation sur les enseignants pour des raisons de foi et de moeurs.

 

 

2. Les facultés de théologie dans les pays de l'Union Européenne

 

Les facultés de théologie protestante, catholique, orthodoxe et vieux-catholique dans les Universités d'Etat, hors université et dans des Universités privées constituent un fait massif dans l'Union Européenne. Contrairement à la France où les Universités privées ne peuvent créer de diplômes de théologie reconnus par l'Etat et ne bénéficient pas d'un subventionnement permettant de couvrir en totalité les frais de personnel et de fonctionnement, les Universités privées des autres pays de l'Union Européenne bénéficient d'avantages similaires aux Universités d'Etat. Elles perçoivent des subventions suffisantes et délivrent des diplômes reconnus par l'Etat.

 

 

 

En Belgique, les facultés de théologie catholique des Universités catholiques de Leuven et de Louvain-la-Neuve sont subventionnées à 100 % par des organismes publics. La faculté belge de théologie protestante placée hors université est quant à elle soutenue à hauteur de 60%. L'Université catholique de Lisbonne au sein de laquelle existe une faculté de théologie catholique dispose d'un statut particulier en vertu d'un decret-loi du 17 avril 1990. Il prévoit l'insertion de cette institution privée dans le système de l'enseignement supérieur public portugais. L'Etat soutient financièrement l'Université catholique et son recteur siège au conseil des recteurs des Universités portugaises. En Espagne les universités privées, qui sont essentiellement des universités catholiques délivrent des diplômes reconnus par l'Etat. Dans ce même pays les universités publiques pourraient créer des facultés de théologie catholique conformément à l'article 12 de l'accord sur l'enseignement avec le Saint-Siège du 4 décembre 1979. En Grande-Bretagne et en Irlande les Ecoles ou facultés de théologie tout en restant indépendants sont reconnus ou intégrés dans l'Université qui décerne les grades.

 

Enfin dans les pays nordiques (Irlande, Danemark, Filande, Norvège, Suède) et germaniques (RFA, Autriche), ainsi qu'en Suisse, aux Pays-Bas et en Grèce les facultés de théologie font partie intégrante des Universités d'Etat.

 

L'enseignement de la théologie au sein des Universités européennes constitue un fait massif. Les facultés de théologie catholique des pays latins sont le plus souvent intégrées dans des Universités privées équiparées aux Universités publiques. Dans les pays germaniques, nordiques et anglo-saxons prévaut la tradition d'intégration de la théologie surtout protestante dans les Universités publiques et cela en dépit des modes de financement spécifiques des facultés de théologie irlandaise et anglaise.

 

 

 

 

 

II - Les problèmes et solutions juridiques

 

Il est possible d'affirmer que le principe de neutralité en matière religieuse ne s'oppose pas à la création d'une Faculté de théologie à Strasbourg où le droit local distinguant entre le régime des cultes et celui de l'enseignement offre un cadre unique pour la réalisation de ce projet.

 

 

1. Neutralité de l'Etat et soutien aux activités religieuses

 

Le principe constitutionnel de laïcité a été invoqué pour contrer la création d'une faculté de théologie musulmane dans une Université d'Etat en France. Cette position, qui correspond à une interprétation négative du principe de neutralité de l'Etat en matière religieuse, prend une dimension toute particulière en ce qui concerne les relations de l'école et du religieux en droit général français. Il ne peut y avoir de référence confessionnelle dans les universités, les lycées, collèges et écoles publics. Mais d'une manière générale une interprétation rigide de la neutralité ne correspond pas aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Les activités religieuses ne relèvent pas uniquement du droit commun même en régime dit de séparation. Il existe en Vieille-France une législation cultuelle relativement complète par rapport à celle existant dans les autres pays de l'Union Européenne.

 

Les ministres du culte ne relèvent pas de droit commun et disposent d'un statut particulier au regard du droit du travail et du droit social. Il est notamment caractérisé par l'exclusion du contrat de travail. Les institutions cultuelles, dont l'Etat respecte l'organisation interne, (associations cultuelles, associations diocésaines, congrégations) sont fortement marquées par une tutelle publique même si elles relèvent du droit privé.

 

En matière de financement, il existe en dépit de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 de nombreuses dispositions permettant le soutien économique direct de l'Etat et des collectivités territoriales aux activités cultuelles des Eglises et autres religions. Elles visent essentiellement l'entretien des édifices affectés à l'exercice du culte. La prise en charge de la rémunération de certains aumôniers (armée, hôpitaux, prisons) est par ailleurs prévue par l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi de 1905. Enfin faut-il signaler les subventions indirectes sous la forme d'exonérations fiscales des activités et des institutions cultuelles.

 

Relativement à l'éducation, abcès de fixation d'une conception dure de la laïcité, le principe de neutralité de l'école n'exclut pas toute prise en compte directe ou indirecte de la formation religieuse à l'école publique. Au contraire, l'administration est tenue de respecter la liberté de l'enseignement religieux qui est une des facettes de la liberté de religion. Cette liberté, qui a valeur constitutionnelle, doit pouvoir s'exercer pleinement, sans pour autant imposer des contraintes particulières au sein des établissements. Dans les établissements d'enseignement primaire, une journée de vacation hebdomadaire est imposée pour que cette liberté soit assurée. Les textes ont dégagé des conditions plus favorables en permettant la création d'aumôneries au sein des établissements d'enseignement secondaire. Les écoles privées confessionnelles sous contrat simple ou sous contrat d'association sont financées par l'Etat. Les établissements d'enseignement supérieur confessionnels reçoivent des subventions volontaires du Ministère de l'Education nationale. Les facultés de théologie des Instituts catholiques tout comme les facultés de théologie protestante bénéficient de ce soutien.

 

Une analyse détaillée du système des cultes en régime dit de séparation montre que l'Etat soutient la mise en oeuvre de la liberté de religion et de culte. Il favorise en outre les activités et institutions religieuses à raison de leur intérêt public. Notons que le Conseil constitutionnel n'a jamais préciser le contenu du principe de laïcité. En l'état actuel du droit et des pratiques administratives, il semblerait qu'une interprétation positive souple et efficace pourrait être retenue. La détermination de la laïcité sur la base d'une conception indifférentiste de l'Etat par rapport aux religions serait en contradiction avec tout un ensemble de dispositions législatives et réglementaires et de pratiques.

 

La création d'un enseignement de théologie musulmane n'est pas contraire au principe de laïcité qui s'applique sur l'ensemble du territoire français. En droit local alsacien-mosellan, il existe par ailleurs des facultés de théologie et un enseignement religieux à l'école publique.

 

 

2. Droit local

 

Contrairement à une opinion très répandue la création d'un enseignement de théologie musulmane n'est pas subordonnée préalablement à la reconnaissance légale de cette religion. Le droit local s'appliquant au phénomène religieux dans les trois départements de l'Est relève de régimes juridiques distincts. Ils sont constitués par ceux des cultes, de l'éducation, des congrégations et des aumôneries. Ainsi en l'état actuel du droit, une congrégation peut être reconnue par voie réglementaire sans que le culte auquel est affiliée la congrégation soit lui-même reconnu. Les aumôneries pénitentiaires et les aumôneries de l'armée relèvent du droit général, qui ne fait pas de distinction entre les cultes reconnus et les cultes non reconnus. Les aumôneries d'hôpitaux relèvent par contre de dispositions spécifiques au droit local. Mais aucun texte ne limite ces postes d'aumôniers aux seules personnes proposées par les responsables des cultes reconnus. Ces établissements peuvent prendre l'initiative de créer librement des postes budgétaires affectés à l'assistance spirituelle des membres d'un culte non reconnu.

 

Il en va de même pour les textes fondateurs du système de droit local d'enseignement religieux dans les établissements secondaires qui ne font pas référence à la notion de culte reconnu. La loi du 15 mars 1850, dite loi Falloux, institue la confessionnalité et l'interconfessionnalité des écoles primaires publiques en se référant aux cultes reconnus. Mais, la notion d'interconfessionnalité signifie à l'heure actuelle que les écoles primaires publiques sont tenues de créer un cadre favorable à toutes les croyances sans exclusion. L'article 23 du même texte dispose que l'enseignement primaire comprend, entre autres, l'instruction morale et religieuse, sans plus de précision.

 

Un culte, c'est-à-dire une religion organisée, devrait pouvoir disposer de postes d'aumôniers de l'armée, des hôpitaux et de prisons rémunérés par le Ministère ou l'administration concernée sans pour autant être reconnu par l'Etat. L'assistance spirituelle apportée aux prisonniers, aux malades et aux militaires relève du principe de liberté de religion. Les particuliers, empêchés de rejoindre leur lieu de culte habituel, doivent pouvoir bénéficier d'une assistance spirituelle et exercer librement leur culte.

 

De fait, la notion même de culte reconnu doit être comprise et mise en oeuvre avec souplesse. La reconnaissance n'est qu'une modalité de soutien apportée aux religions organisées. Elle peut, à cet effet, prendre diverses formes : exonérations fiscales, réforme des congrégations, financement volontaires ou obligatoires par les collectivités territoriales. Ces divers instruments peuvent d'ailleurs être panachés selon les demandes, les besoins et les circonstances dans le respect du principe d'égalité. Notons que les quatre cultes qui ont été reconnus au début du 19e siècle ne constituent pas un ensemble homogène. Ils sont au contraire organisés dans une pluralité de statuts.

Enfin, la reconnaissance d'un nouveau culte sur le modèle existant pourrait s'exprimer à travers des textes de détail dont la plupart ressortent du domaine réglementaire. La reconnaissance ne constitue pas nécessairement un acte solennel portant sur des garanties fondamentales.

 

 

3. La création d'une faculté de théologie musulmane à Strasbourg

 

La création d'une faculté de théologie musulmane ou plus précisément d'une UFR (Unité de formation et de recherche), d'un Institut ou plus modestement d'un enseignement de théologie musulmane de 3e cycle pourrait s'opérer sans difficulté à Strasbourg. En effet, l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg est déjà habilitée à délivrer des diplômes de théologie catholique et protestante (Deug, Licence, Maîtrise, DEA et Doctorat). Un arrêté ministériel pourrait créer une option de théologie musulmane.

 

Il conviendrait cependant de trouver un consensus entre les communautés musulmanes et l'Etat notamment en ce qui concerne la nomination des enseignants aux fins d'éviter que cet enseignement ne soit boudé par le public visé. Deux options peuvent être envisagées. La première, conforme à la tradition des pays musulmans, ne comporterait pas d'intervention des autorités religieuses. Elle présuppose l'existence d'un consensus préalable à l'instar de celui existant entre la faculté de théologie protestante et les Eglises luthérienne (ECAAL) et réformée (ERAL). Afin d'activer ce consensus et de responsabiliser les partenaires religieux, il est possible d'imaginer la création d'une commission composée de membres des communautés musulmanes les plus représentatives en France. Ils seraient désignés par l'Etat. Cette commission transmettrait un avis non conforme à l'occasion de la nomination d'un professeur ou d'un maître de conférences dans le cadre de la procédure de droit commun. La position d'attente consistant à demander que les communautés musulmanes se dotent d'une instance représentative unique et centralisée est une manière d'enterrer le projet. La puissance publique doit en ce domaine mettre en oeuvre une politique volontariste.

 

Le Rectorat de l'académie de Strasbourg et l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg ont par ailleurs développé un savoir faire indéniable dans la gestion des particularités des Instituts et de l'enseignement de la théologie. L'intégration de la théologie musulmane dans une université publique comprenant un enseignement de théologie chrétienne constituerait à la fois un apport scientifique et culturel et favoriserait le traitement scientifique de cette matière. Les cadres des communautés musulmanes seraient formés au sein d'institutions contrôlées par la puissance publique et cela conformément aux critères académiques en vigueur dans les universités. La théologie musulmane, tout en conservant son profil propre, serait confrontée aux autres disciplines. Cette relative interdisciplinarité éviterait la marginalisation de la théologie et des théologiens musulmans à la fois par rapport à l'Université et à ses méthodes et plus largement par rapport à la société globale.

 

La création d'une faculté hors de l'Alsace-Lorraine serait plus difficile à réaliser, sinon vouée à l'échec. Il est peu probable qu'elle puisse s'intégrer dans une Université publique et cela pour une multitude de raisons (hostilité laïciste, peur d'une démultiplication des demandes, discussion autour de la légalité du financement public de cet enseignement). Par ailleurs, les tentatives de mettre en place un établissement supérieur privé de théologie musulmane n'ont pas été jusqu'à présent couronnées de succès.

 

A court terme, la création d'un établissement supérieur de théologie musulmane s'impose comme une nécessité et comme une condition préalable à l'intégration de l'Islam en France. Il existe, en effet, dans ce pays une tradition de formation des cadres religieux et plus largement des ministres du culte par le biais d'un enseignement à caractère universitaire. Les responsables de communautés, les aumôniers de l'armée, des prisons, des hôpitaux, les aumôniers de lycées protestants, catholiques et juifs en Vieille-France reçoivent au sein d'établissements d'enseignement privé (facultés de théologie protestante, séminaires israélites, instituts catholiques) et de séminaires diocésains une formation d'un niveau académique. En droit local alsacien-mosellan la troisième religion implantée dans ces trois départements devrait bénéficier des mêmes instruments de formation que les autres cultes. De plus, si l'on retient l'hypothèse de la création d'un enseignement religieux musulman à l'école publique, les maîtres devraient être dans ce cas titulaires d'une licence consacrant la connaissance de la matière enseignée.

 

A l'heure européenne, une faculté de théologie musulmane sise à Strasbourg, outre sa nécessaire implantation régionale et son rayonnement national, pourrait avoir une dimension européenne. Première faculté de théologie musulmane de l'Union Européenne, elle participerait au rayonnement scientifique de l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg tout en répondant à nombre de demandes d'autres pays. L'Espagne et la Belgique par exemple ont mis en place un enseignement religieux dans l'école publique sans prévoir la formation des enseignants.

 

Nombre d'auteurs signalent à l'heure actuelle un renforcement des cultures et des religions existantes. Une culture mondiale et une religion universelle semblent, pour les décennies à venir, relever de l'utopie. Dès lors, le dialogue interreligieux devrait être soutenu afin d'éviter de grands isolats religieux sans lien avec les autres religions et avec la société globale. Une université publique intégrant la réflexion théologique des grandes religions conjointement avec une approche des sciences des religions jouerait un rôle utile relevant de sa mission. Le rôle de l'Université et des grands établissements publics de la recherche est de répondre aux défis de leur temps en prenant en compte des situations concrètes.

 

 

 

 

Francis MESSNER

Directeur de Recherches au CNRS

Directeur du Centre CNRS Société,

Droit et Religion en Europe

 

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