.
Accueil Remonter

 

 

 

 

 

LE JEÛNE DANS LE CORAN

Etude du lexique coranique

 

Michel REEBER

                Membre du GERI, chercheur associé au CNRS

L’observance du jeûne est la quatrième des cinq prescriptions centrales du culte islamique. Elle fut instituée en 624, soit en l’an deux de l’Hégire. La tradition fait remonter la pratique du jeûne à Abraham, voir à Noé. Avant la prescription d’un mois complet de jeûne, les musulmans jeûnaient le jour de ‘Ashûra. Ils avaient pris l’habitude de jeûner par la suite au cours des trois premiers jours de chaque mois. L’étude proposée ici vise à cerner le lexique coranique utilisé pour mentionner l’institution de l’observance du jeûne. Elle ne couvre pas toute la dogmatique ni tout le droit de l’islam, étant limitée au texte coranique.

 

Le verbe-racine sâma-yasûmu dans le lexique arabe

 

La notion de jeûne s’exprime en langue arabe à partir de la racine çad-waw-mim. La forme verbale de cette racine est sâma-yasûmu qui signifie " jeûner ", " atteindre le midi (jour) ", " se calmer (vent) " ; A la deuxième forme, sawwama, le verbe signifie " faire jeûner quelqu’un ". les formes substantives usuelles sont sawm (ou siyâm) : " jeûne ", " abstinence ", sâ’m (ou suyyam, siyâm) : " jeûneur ", siyâmi " les plats du temps du jeûne ". Dans le vocabulaire arabe chrétien, le jeûne est exprimé par la même racine. Le carême se dit : as-sawm al-kabîr : " le grand jeûne ".

 

La racine arabe çad-waw-mim appartient au fonds commun des racines sémitiques. Nous le retrouvons en hébreu, où la notion de jeûne est exprimée à l’aide de la racine tsadé-vav-mèm, absolument identique en forme et en structure. La forme verbale simple est tsûm, " jeûner " (cf 2 Sam 12,21, etc). Le substantif dérivé est tsôm, " jeûne ". En syriaque, nous découvrons les mêmes équivalences. La notion de jeûne s’y exprime à l’aide de la racine çodé-waw-mim. Le verbe jeûner se dit tsom, et le jeûne tsaomo. En raison de ces équivalences, nous pouvons affirmer que la notion de jeûne recoupe l’une des racines fondatrices du système linguistique commun aux langues sémitiques.

 

Un verbe-racine a souvent plusieurs sens en langue arabe. Cette polysémie recoupe les grands domaines de l’expérience humaine et de la vie de la nature. Nous aboutissons à une sorte de constellation sémantique sans équivalent dans les langues indo-européennes. Le compréhension du sens d’un verbe-racine ne s’obtient qu’en circulant d’une acception à l’autre.

 

Il en est ainsi du verbe sâma-yasûmu. Ce verbe-racine est traduit en français par " jeûner ". Or, le lexique arabe nous indique que ce verbe-racine couvre trois thèmes : le thème de l’abstinence, le thème du déplacement du soleil au firmament, le thème du mouvement du vent. Le premier thème signifie " se priver de nourriture et de boisson ", et a l’homme qui fait abstinence comme sujet. Le deuxième thème signifie " être au midi ", et a le soleil qui suit son cours dans le ciel comme sujet. Le troisième thème signifie " se calmer ", et a le vent fort qui tombe comme sujet.

La ligne sémantique commune à ces trois thèmes est l’idée de calme, de quiétude, de maîtrise des passions, de sénénité. En étudiant le lexique coranique, il nous faudra sans cesse tenir compte de cette donnée.

 

Le lexique coranique

 

A l’aide des concordances du Coran, nous avons passé en revue les occurrences des thèmes de la racine çad-waw-mim. Cet inventaire nous a permis de définir le développement de ces thèmes dans le Coran sous forme de champ sémantique.

 

Le champ sémantique de la racine çad-waw-mim dans le Coran

 

Le vocabulaire coranique développe 13 occurrences de la racine çad-waw-mimi et de ses dérivés. Les formes substantives sont les plus fréquences :

-nom indéfini : sawman : " un jeûne " (1 occurrence : sourate 19,26) ; siyâman : " un jeûne " (1 occurrence : sourate ( ,95).

-noms définis : siyâm : " jeûne " (7 occurrences : sourate 2,183 ; 2,196 a ; 2,196 b ; 4,96 ; 5,89 ; 58 ;’) ; sâ’imîn : " jeûneur " (1 occurrence : sourate 33,35) ; sâ’imât : " jeûneuse " (1 occurrences : sourate 33,35).

 

Les formes verbales sont rares :

 

Tasûmû : " jeûnez " (1 occurrence : sourate 2,184).

 

fal-yasumhu : " il jeûnera " (1 occurrence : sourate 2,185).

Il apparît donc clairement que le Coran privilégie le développement sous forme substantive (as-siyâm " jeûne ") de la racine çad-waw mim.

 

 

L’ordre chronologique des occurrences de la racine çad-waw-mim dans le Coran

 

La racine çad-waw-mim apparaît dans 10 péricopes coraniques. Une appartient à la période mecquoise, 9 à la période médinoise. Le classement des sourates par ordre chronologique de leur révélation adopté ici suit les indications fournies par les versions traditionnelles du Coran en arabe, et non pas celle des orientalistes, trop aléatoire. La traduction suivie est celle de Denise Masson révisée.

 

 

Péricopes de la période mecquoise : 1 péricope (1 occurrence de la racine)

 

1° péricope (44° sourate révélée)

 

Sourates 19 (Maryam, " Marie "), 25-26 : (25) " Secoue vers toi le tronc du palmier ; il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. 526) Mange, bois et cesse de pleurer. Lorsque tu verras quelque mortel, dis " J’ai voué un jeûne (sawman) au Miséricordieux ; je ne parlerai à personne aujourd’hui ".

 

 

Péricopes de la période médinoise : 9 péricopes (12occurrences de la racine)

 

1ère péricope (87° sourate révélée)

 

sourate 2 (al-Baqara, " la Vache "), 183-184 : (183) " Ô vous qui croyez ! Le jeûne (as-siyâm) vous est prescrit comme il a été prescrit aux générations qui vous ont précédés. Peut-être craindrez-vous Dieu – (184) Jeûnez (tasûmû) durant des jours comptés. Celui d’entre vous qui est malade ou qui voyage jeûnera ensuite un nombre égal de jours. Ceux qui pourraient jeûner et qui s’en dispensent, devront en compensation, nourrir un pauvre. Celui qui, volontairement, fera davantage y trouvera son propre bien. Jeûner est un bien pour vous. Peut-être le comprendrez-vous. "

 

2° péricope (87° sourate révélée)

 

sourate 2 (al-Baqara, " la Vache "), 185 : " Le Coran a été révélé durant le mois de Ramadan. C’est une direction pour les hommes ; une manifestation claire de la Direction et de la Loi. Quiconque d’entre vous, verra la nouvelle lune, jeûnera (fal-yasumhu) le mois entier. Celui qui est malade ou celui qui voyage jeûnera ensuite le même nombre de jours. Dieu veut la facilité pour vous, il ne veut pas la contrainte. Achevez cette période de jeûne, exaltez la grandeur de Dieu qui vous a dirigés. –Peut-être serez-vous reconnaissants – . "

 

3° péricope (87° sourate révélée)

 

sourate 2 (al-Baqara, " la Vache "°, 187 : " La cohabitation avec vos femmes vous est permise durant la nuit qui suit le jeûne (as-siyâm). Elles sont un vêtement pour vous, vous êtes, pour elles, un vêtement. Dieu savait que vous sous lésiez vous-même ; il est revenu vers vous ; il vous a pardonné. Cohabitez maintenant avec vos femmes. Recherchez ce que Dieu vous a prescrit. Mangez et buvez jusqu’à ce que l’on puisse distinguer à l’aube un fil blanc d’un fil noir. Jeûnez, ensuite, jusqu’à la nuit. N’ayez aucun rapport avec vos femmes lorsque vous êtes en retraite dans la mosquée. Telles sont les lois de Dieu ; ne les transgressez pas. Voilà comment Dieu explique aux hommes ses Signes. Peut-être le craindront-ils. "

 

4° péricope (87)° sourate révélée)

 

sourate 2 (al-Baqara, " la Vache "), 196 : " Accomplissez, pour Dieu, le grand et le petit pèlerinage. Si vous en êtes empêchés, envoyer en compensation l’offrande qui vous est facile.Ne vous rasez pas la tête, avant que l’offrande n’ait atteint sa destination. Si l’un de vous est malade ; s’il souffre d’une affection de la tête, il doit se racheter par des jeûnes (siyâmin), par une aumône, ou par des sacrifices. Lorsque la sécurité sera revenue, quiconque jouira d’une vie normale entre le petit et le grand pèlerinages, enverra l’offrande qui lui sera facile. Celui qui n’en trouvera pas les moyens la compensera par un jeûne (siyâm) de trois jours, durant le pèlerinage et de sept jours lorsque vous serez de retour, soit dix jours entiers. Voilà pour celui qui n’a pas de famille auprès de la Mosquée sacrée. Craignez Dieu ! Sachez que Dieu est terrible dans ses châtiments. "

 

5° péricope (90° sourate révélée)

 

sourate 33 (al-Ahzâb), " les Factions "), 35 : " Oui, ceux qui sont soumis à Dieu et celles qui lui sont soumises, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes sincères et les femmes sincères, les hommes patients et les femmes patientes, les hommes et les femmes qui redoutent Dieu, les hommes et les femmes qui font l’aumône, les hommes (as-sâ’mîn), et les femmes (as-sâ’mât) qui jeûnent, les hommes chastes et les femmes chastes, les hommes et les femmes qui invoquent souvent le nom de Dieu ; voilà ceux pour lesquels Dieu a préparé un pardon et une récompense sans limites. "

 

 

6° péricope (92° sourate révélée)

 

sourate 4 (an-Nisâ’, " les Femmes "), 92 : " Il n’appartient pas à un croyant de tuer un croyant – mais une erreur peut se produire – Celui qui tue un croyant par erreur affranchira un esclave croyant et remettra le prix du sang à la famille du défunt ; à moins que celle-ci ne le donne en aumône. Si le croyant qui a été tué appartenait à un groupe ennemi, le meurtrier affranchira un esclave croyant. S’il appartenait à un groupe auquel un pacte vous lie, le meurtrier remettra le prix du sang à la famille du défunt et il affranchira un esclave croyant. Celui qui n’en a pas les moyens jeûnera (siyâm) deux mois de suite, en signe de repentir imposé par Dieu. ( Dieu est celui qui sait, il est juste -. "

 

7° péricope (105° sourate révélée)

 

sourate 58 (al-Mujâdala, " la Discussion "), 3-4 : (3) " Ceux qui répudient leurs femmes avec la formule : " sois pour moi comme le dos de ma mère " et qui la répètent, devront affranchir un esclave avant de pratiquer de nouveau la cohabitation. Vous êtes exhortés à agir ainsi. Dieu est parfaitement informé de ce que vous faites. (4) A quiconque n’en a pas la possibilité incombe un jeûne (siyâm) de deux mois consécutifs avant de pratiquer de nouveau la cohabitation. A quiconque ne le pourrait pas non plus incombe la charge de nourrir soixante pauvres. Il en est ainsi, pour que vous croyiez en Dieu et en son Prophète. Telles sont les lois fixées par Dieu. Les incrédules subiront un châtiment douloureux. "

 

8° péricope (112° sourate révélée)

 

sourate 5 (al-Mâ’ida, " la Table "), 89 : " Dieu ne vous punira pas pour des serments faits à la légère ; mais il vous punira pour les serments prononcés délibérément. L’expiation en sera de nourrir dix pauvres – de ce dont vous nourrissez normalement votre famille – ou de les vêtir, ou d’affranchir un esclave. Un jeûne (siyâm) de trois jours sera imposé à quiconque n’aura pas les moyens de s’acquitter autrement. Telle est l’expiation pour vos serments, car Dieu vous montre ses Signes de cette façon. – Peut-être serez-vous reconnaissants -. "

 

9° péricope 112° sourate révélée)

 

sourate 5 (al-Mâ’da, " la Table "), 95 : " Ô vous qui croyez ! Ne tuez pas le gibier lorsque vous êtes en état de sacralisation. Celui qui parmi vous en tuerait intentionnellement, enverra en offrande à la Ka’ba, comme compensation, un animal de son troupeau, équivalent au gibier tué, d’après la décision de deux hommes intègres d’entre vous. Une réparation équivalente consistera encore à nourrir un pauvre ou à jeûner (siyâman) afin que celui est fautif goûte les conséquences de son acte. Dieu pardonne ce qui appartient au passé, mais Dieu tirera vengeance de celui qui récidive. – Dieu est puissant, il est le Maître de la vengeance - . "

 

A l’exception de la péricope de la période médinoise, toutes les péricopes concernées par la racine çad-waw-mim dans le Coran appartiennent aux phases de révélation comprises entre le contexte de révélation de la 87ème et de la 112ème sourate. Il s’agit par conséquent de strates particulièrement tardives de l’élaboration du message coranique.

 

 

L’analyse du contexte des péricopes concernées par la racine çad-waw-mim

 

Un rapideparcours du contenu des péricopes concernées par la racine çad-waw-mim met en évidence l’existence de huit contextes différents. Ce sont :

 

 

Pour la péricope mecquoise

 

La solitude de Marie, mère de Jésus : sourate 19 (Maryam, " Marie "), 25-26 : (44° sourate révélée, période mecquoise).

 

 

Pour les péricopes médinoises

 

- la prescription du jeûne du ramadan : sourate 2 (al-Baqara, " la Vache "), 183-184 : 1ère précopie (87° sourate révélée) ; sourate 2 (al-Baqara, " la Vache "), 185 : 2° péricope (87° sourate révélée) ; sourate 2 (al-Baqara, " la Vache "), 187 : 3° péricope (87° sourate révélée).

 

- la typologie des justes soumis à Dieu : sourate 33 (al-Ahzâb, " les Factions "), 35 : 5° péricope (90° sourate révélée)

 

- la sanction de l’homicide : sourate 4 (an-Nisâ’, " les femmes "), 92 : 6° péricope (92 sourate révélée).

 

- le prix de la répudiation : sourate 58 (al-Mujâdala, " la Discussion "), 3-4 : 7° péricope (105° sourate révélée).

 

- le du serment non tenu : sourate 5 (al-Mâ’ida, " la Table "), 89 : 8° péricope (112° sourate révélée).

 

- le prix de la chasse illicite au moment du pèlerinage : sourate 5 (al-Mâ’ida, " la Table "), 95 : 9° péricope (112° sourate révélée).

 

A l’exception de la péricope révélée à Médine, qui met en scène un récit, toutes les autres péricopés abordent le jeûne en tant qu’institution du culte islamique. Cela amène à dire que la quasi totalité des mentions du jeûnes dans le Coran sont localisées dans des strates à contenu juridico-religieux. Le Coran insiste principalement sur le jeûne en tant que compensation du prix à payer pour les fautes commises. Il se fait l’écho d’une conception pénitentielle du jeûne. Il faut se référer aux commentaires coraniques et aux traditions rapportées dans les corpus de hadîths pour avoir une approche plus théologique et plus spirituelle du jeûne.

 

Hindouisme  Judaïsme Bouddhisme Christianisme Islam Histoire des Religions Sinica

Francité