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Principes religieux de Gandhi
© Julien Petit
Enracinement dans l'hindouisme
"Quand on veut trouver la Vérité en tant que Dieu, le seul et inélucatble moyen est l'amour, c'est-à-dire la non-violence, et puisque je crois qu'en définitive les moyens et la fin sont des termes convertibles, j' n'hésiterai pas à dire que Dieu est amour" (My religion)
Gandhi est né, il a grandi dans une famille empreinte d'hindouisme, et par sa mère en particulier d'une ferveur pieuse. Pourtant la découverte fondamentale des principes de cette religion remonte à son séjour en Angleterre, où, dans une large ouverture à d'autres confessions, d'autres spiritualités, il entre en contact avec les textes sacrés de l'Inde qui lui étrangers jusqu'alors. Il y voit un l'effet d'acculturation dû à la domination coloniale, économique, mais surtout culturelle. Il n'aura de cesse de s'en défaire, après s'être laissé séduire un temps par cette suprématie.
Les références aux divinités et à la tradition hindoues sont ainsi constantes sous sa plume, dans ses enseignements. Référence à Rama en particulier, incarnation de Vishnou et héros du Ramayana, guerrier (Kshatrya) brillant par son obéissance aux autorités humaines et supérieures, et finalement divinisé. Et, selon ses propres termes, le "livre par excellence d'initiation à la Vérité" (Autob., p88) est la Bhagavad-Gita, texte majeur du corpus hindou, qu'il découvre à Londres en 1899-1900, dont il devient lecteur assidu. Le thème qui y est exposé, dans un univers de violence, de combat fratricide, est celui du fondement de l'action, qui idéalement devient action désintéressée. Arjuna, héros de l'épopée mis à l'épreuve par Krishna, connaît les plus intenses déchirements de conscience. Gandhi y lit métaphoriquement un récit de la lutte qui divise, déchire tout homme dans sa vie intérieure ; c'est pourquoi elle constitue une lecture fondamentale.
Par ailleurs, les conceptions sur lesquelles sont fondées l'action politique appartiennent à la tradition : il s'agit de la Vérité (Satya) et de la non-violence (Ahimsa).
"La vérité est Dieu" aime à dire Gandhi, dans une perspective universelle. Tous les hommes ont soif de Vérité, même ceux qui ne reconnaissent pas le nom de Dieu. Il ne tient qu'à nous d'entendre l'appel et de nous mettre, en toutes circonstances, au service de cette Vérite (Satya), bien que nous ne puissions la connaître qu'imparfaitement. Jusque dans le domaine politique, qui sera dès lors dominé par la morale et la plus haute recherche, il faut en chercher l'étreinte (Agraha, d'où le nom de Sâtyagraha donnée aux actions de désobéissance civile menées en vue de l'indépendance).
Sur l'Ahimsa, principe phare du Jaïnisme (frange minoritaire de l'hindouisme, représentée par des moines respectant une discipline très stricte) repose la grande force de la religion de Gandhi. Le terme porte en lui le renoncement : himsa signifie nuisance, violence faite à l'entourage ; a-himsa signifie donc littéralement non-nuisance, ou non-violence. Elle ne peut se définir que par rapport à la Vérité : "l'ahimsa est le moyen, la vérité est le but" (LAA., p40) écrit Gandhi, mais moyen et fin ne sauraient être séparés d'une quelconque manière, et c'est pourquoi Ahimsa et Vérité sont presques synonymes entre elles, et donc de Dieu.
S'il est défini négativement (préfixe a-), le refus de la violence est pourtant signe d'une recherche, d'une aspiration. Non-violence, traduction littérale de Ahimsa, ne le suggère pas d'emblée. L'ahimsa appelle l'homme à un travail sur lui-même, celui de la libération de la violence en profondeur. Dans le conflit, elle appelle à supporter avec endurance l'adversaire, à accepter sa part de souffrance par un constant retour sur soi. L'exemple utilisé par Gandhi pour l'illustrer en montre bien la radicalité : face à un voleur, on ne peut en effet en aucun cas se se satisfaire d'une condamnation qui le met simplement provisoirement hors d'état de nuire, mais il faut arracher la conversion du voleur, et l'amener tout simplement à adhérer au bien (L.A.A., p37). Cela implique tout d'abord de reconnaître dans l'autre "nous-mêmes sous une forme différente", et de s'engager pour traquer non un homme, mais le mal, l'erreur, en acceptant de souffrir pour atteindre ce but.
L'ahimsa conçue comme moyen signifie que cette notion n'est plus seulement une rétractation, un réfrénement trouvant son aboutissement dans une non-activité, dans un retrait du monde conforme par exemple aux idéaux bouddhistes. Si pour Gandhi il y a détachement et retenue, le principe n'en est pas moins tourné vers une réalisation. "Il oblige l'éthique indienne à aborder ouvertement le réel et à s'expliquer avec elle" note A. Schweitzer (p172). Le réel s'ouvre effectivement comme un vaste champ d'expérimentation : l'esprit de l'Ahimsa revu par Gandhi est celui d'une ouverture au monde, qui nécessite de la part du croyant une qualité essentielle : l'intrépidité, qui émane du feu de l'amour capable de dissoudre la fibre la plus dure.
Le séjour en Angleterre, s'il permet à Gandhi de redécouvrir les fondements de l'hindouisme, lui donne aussi l'occasion de découvrir les autres religions et leurs textes sacrés : la Bible, le Coran, et autres traités de spiritualité, en particulier théosophiques, qui nourrissent son introspection attentive aux grands principes religieux.
La vérité a par définition un visage multiple, que chacun expérimente dans une recherche en étant à l'écoute de sa conscience. La vérité est Dieu : elle est perceptible à tout individu : "Dieu se révèle chaque jour à tout être humain, mais ... nous sommes sourds à la petite voix silencieuse" (L.J.I., p61). Au cœur de ces pratiques se trouve la prière "essence de la religion" (L.J.I., 25 nov 1926). L'unité touche l'individu isolé, le croyant appelé par sa conscience. La notion de sacrifice qui caractérise la vie et l'enseignement de Gandhi, correspond à la vision d'un monde souffrant très ancrée à la fois dans le bouddhisme et dans l'hindouisme, mais est tout aussi chrétienne. Dès lors le renoncement, le désintéressement priment, comme souffrance choisie, délibérée, et salutaire : "l'idée que le renoncement était la forme suprême de toute religion exerçait sur moi un grand attrait" (Autob., p80).
La religion, loin du dogmatisme rigide contraire à l'esprit assoiffé de Vérité, repose sur un fondement moral et sur des pratiques unificatrices.; elle touche également les croyants des différentes religions. Les ashrams en témoignent, par leur dimension inter-religieuse, de même que l'engagement acharné de Gandhi, depuis son retour en Inde jusqu'à l'indépendance et après pour l'unité hindous-musulmans. Là se situe peut-être un des sommets de son action, la plus pauvre, la plus incroyable, au cœur même d'une violence décahînée.
Un ferment chrétien
La découverte de la Bhagavad-Gitâ en Angleterre s'accompagne de celle de la Bible, et Jésus appelle, tout autant qu'Arjuna, Gandhi à une vie intérieure. La lecture du Nouveau Testament satisafait en profondeur son appétit spirituel profondément, particulièrement le Sermon sur la montagne : "Lorsque je lus : ne résistez pas à qui vous fait du mal, mais quand on vous frappe sur la joue droite, présentez la joue gauche, ou aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, je fus comblé de joie" (Speeches and Writings, p161). A l'époque il fréquente de nombreux amis chrétiens. Ses questions sont nombreuses et ses efforts tendent à une concorde universelle et inter-religieuse : "Ma jeune intelligence s'efforça d'unir dans un seul enseignement la Gitâ, la Lumière de l'Asie [Ouvrage d'un journaliste anglais, Sir Edwin Arnold, fasciné par la spiritualité orientale] et le Sermon sur la montagne" (Autob., p89).
Mais l'influence décisive fut certainement celle de Tolstoï, auquel Gandhi dit tout simplement devoir le principe de non-violence. Son contact avec l'écrivain russe, "homme le plus véridique de son temps" alors déjà âgé eut lieu en Afrique du Sud, par la lecture de Le royaume est en vous, œuvre de la maturité religieuse de Tolstoï, écrite après une conversion tardive. D'autres lectures suivent et ouvrent à son regard "les possibilités infinies de l'amour universel" (Autob., p200). Les deux hommes échangent quelques lettres de 1908 à 1910, à la mort de Tolstoï. Les premières actions sont menées en Afrique du Sud, au Transvaal et Gandhi en informe l'écrivain à deux reprises. Celui-ci lui répondra deux mois seulement avant de mourir rédigeant pour l'occasion une sorte de testament spirituel où il reconnaît l'importance de ce qui se joue dans l'émancipation non-violente. Dans un de ses premiers textes, Hind Swaraj (L'indépendance indienne), Gandhi reprend largement les conceptions relatives à la non-résistance au mal, prônées depuis longtemps par Tolstoï depuis sa propriété d'Iasnaïa Poliana, où il s'efforçait de mener la vie la plus simple.
Du christianisme, Gandhi retient la figure de Jésus. Et cela contre le prétendu progrès de la civilisation chrétienne, mère de la colonisation, souvent deshumanisée et extrêmement violente, et très éloignée de l'enseignement de son maître, Christ. Il admire la valeur de sa vie et de sa mort dans le monde : "le sacrifice de Jésus suffit à rendre libre un monde accablé de maux" (L.J.I., p71). Jésus, admirable par la souffrance qu'il subit, "prince des politiques", a la virilité du pardon, qui est la "parure du soldat" (L.J.I., p106). Il est un partisan de l'action directe, comme Bouddha, puisqu'il chasse les vendeurs du temple, qu'il défie l'empire sur la croix. Jésus a profondément renouvelé le sens de notre existence, sans s'enfermer dans des limites arbitraires : il n"a pas prêché une nouvelle religion, mais une nouvelle vie" (What Jesus means to me).
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