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Au cœur de l'action : le Satyâgraha

© Julien Petit

 

"Je ne pouvais pas vivre une vie religieuse sans m'identifier avec l'ensemble de l'humanité et cela je ne pouvais le faire sans me mêmer à la politique"

(Peace and War, I, p171)

Un récapitulatif de toutes les actions entreprises en vue de l'Indépendance de l'Inde donneraient avec peine une cohérence au principe de l'Ahimsa. Il s'agit en effet d'un état parfait, et donc inaccessible, hormis à un être parfait. Cependant la recherche d'une justice sociale pour des centaines de millions d'individus dominés sur tous les plans de leur vie, politiquement, économiquement, culturellement, par une minorité faisant nécessairement figure d'oppresseur, elle indique l'esprit du combat à mener. Elle demande un combat loyal, dont l'exemplarité morale, digne de la cause défendue, l'emportera irrésistiblement sur toute domination et volonté de nuire, tant chez soi que chez l'adversaire désigné. Ainsi : "on défend la vérité non pas en faisant souffrir l'adversaire, mais en souffrant soi-même" (L.J.I., p6). Par ce moyen, et par celui-là seul, quand toute autre tentative de dialoque et de persuasion a échoué, l'erreur sera chassée des esprits qui la reçoivent et parfois la nourrissent. Dans ce cadre, il est conseillé que le mouvement vers l'émancipation, reprenant des revendications nationalistes déjà formulées, formule des revendications précises au gouvernement Anglais : l'autonomie politique, qu'ils doivent accorder selon l'exercice de la raison, en étant à l'écoute de cette population dont l'existence a été trop dévalorisée ou niée. Mais plus encore, l'Inde doit penser à son avenir de pays indépendant, à ses problèmes futurs, de nature économique, religieuse, ou relatifs aux castes (situation des intouchables). La perspective n'est donc pas simplement celle d'un affrontement dont on ressort soit vainqueur, soit vaincu, mais celle d'une vérité perçue à travers le cours d'une histoire inéluctable.

C'est le terme de Satyâgraha qui définit l'action politique initiée par Gandhi. Etymologiquement le terme sigifie l'étreinte (graha) de la vérité (Satya). Il a été crée en 1908, pour désigner le combat naissant et précisément le distinguer de la résistance passive (exemple des suffragettes en Angleterre), trop restrictive : "Le Satyâgraha diffère autant de la résistance passive que le pôle nord du pôle sud. Conçue pour être l'arme des faibles, cette dernière pour atteindre le but n'exclue pas la force ou la violence physique, alors que le premier conçu pour être l'arme du plus fort rejette l'emploi de la violence, sous quelque forme que ce soit" (L.J.I., p6). Le Satyâgraha est donc placé d'emblée, par la question cruciale de ses moyens d'action, dans une perspective spirituelle. Les premières campagnes de désobéissance civile non-violente pratiquée par les Indiens se soldent alors par des emprisonnements massifs (plusieurs centaines de personnes). Il en sera de même pour chaque nouvelle campagne. Dans ces conditions, le refus de la violence ne peut naître de la passivité, mais au contraire d'une conviction agissante et conquérante, d'une "force de l'âme", qui n'est autre que la force de la Vérité, et que les attaques extérieures ne suffisent pas à entamer. Un mouvement dont les fondements sont aussi profonds est assuré de l'emporter, un jour ou l'autre sur l'erreur et l'aveuglement. Mais il doit encore auparavant se donner une stricte discipline, en harmonie avec les objectifs fixés. Car le Satyâgraha exige non seulement le refus de moyens violents, mais va plus loin encore en cherchant à exclure toute haine, tout ressentiment de l'opprimé à l'encontre de ses oppresseurs ;

L'esprit du Satyâgraha renvoie le militant à lui-même, à sa souffrance, à ses erreurs, à son expérience. Le sacrifice que l'action politique exige se révèle d'autant plus porteur, que celle-ci s'inscrit réellement dans un processus de changement en profondeur de l'homme, de conversion. "Le soleil du Satyâgraha ne saurait se décrire d'une façon satisfaisante [...] ; il nous semble apercevoir sans cesse le soleil du Satyâgraha, mais nous le connaissons bien peu.[...] Celui pour qui le Satyâgraha n'est que désobéissance civile ne l'a jamais compris" (L.J.I, p3-4). Désobéir ne saurait être une justification en soi de l'action : au contraire, si elle en est une étape, elle n'a de valeur que par l'exemple d'obéissance donnée par ailleurs. Obéissance aux lois, quand celles-ci sont justes. Obéissance aussi à l'esprit de l'Ahimsa, exigeant que ses militants soient préparés à supporter la violence de la répression qui ne manque pas de se déployer lors des manifestations ou des actions symboliques : d'abord les coups, les arrestations et les emprisonnements, quand ce n'est pas la mort elle-même, mais la répression a encore un autre visage : elle rend impossibles la vie professionnelle et la vie familiale, elle fait peser une pression quotidienne sur les foyers,sans que des actions soient en cours. D'où cette nécessité de préparation, d'endurance : "le sentier de la Vérité est le sentier des braves, il est inaccessible aux lâches" cite souvent Gandhi. Dans les premières années, en Afrique du Sud, les actions sont réalisées par un petit nombre de Satyâgrahi (militants du Satyâgraha), jusqu'à une cinquantaine de personnes, prêtes à enfreindre une interdiction de se déplacer, ou de manifester. Quand les manifestations réunissent une foule plus importante, elles sont encadrées par ces militants éprouvés.

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