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Cours du 12 octobre 2011


L'éthique islamique (suite) -  L'islam et l'Autre (début)

La lutte contre les abus du pouvoir (suite)

Comment se comporter à l'égard des princes oppresseurs ?

La règle essentielle est de n'aider en rien les princes oppresseurs. Celui qui est témoin d'une iniquité (par ex une bastonnade injustifiée) et qui ne fait rien pour l'empêcher sera considéré comme complice de l'iniquité au JD


Ghazali: il y a des Docteurs de la Loi corrompus, la corruption des oulémas entrâine celle des princes, et la corruption des princes entraîne à son tour celle de la masse des sujets.

Dans le livre des bienséances de la table Ghazâli pose le problème de la fréquentation des princes. L'hospitalité est certes une vertu, mais encore faut-il savoir qui l'on invite. Il convient d'écarter de ses fréquentations un prince injuste et il convient de refuser avec fermeté l'invitation qu'il peut vous adresser, pour ne pas cautionner les princes injustes.

Bukhârî et l'attitude à avoir envers les princes : Le gouverneur Khâlid b. Ahmad adh-Dhuhlî avait demandé à Bukhârî qu'il consacre des séances privées à ses enfants dans leur propre maison. Ce qu'il refusa. Il fut donc expulsé de Bukhârà et mourut à deux parasanges de là, à Khartanak (près de Bukhara), le 31 août 870

Le mariage:

Le Livre du mariage: les avantages et les inconvénients du mariage (selon Ghazâlî=

Avantages: avoir une postérité est une oeuvre pie et un moyen de se rapprocher de Dieu. se marier et avoir des enfants, c'est travailler, comme le souhaitait le Prophète, à augmenter le nombre de musulmans. C'est aussi avoir des enfants vertueux qui prieront pour leurs parents et qui, s'ils viennent à mourir avant eux, leur serviront d'intercesseurs dans l'autre monde.

Inconvénients: impossibilité de réussir à se procurer de façon licite les biens nécessaires à la vie d'une famille.

Remarque: il y a dans ce chapitre une réflexion très rare pour l'époque (nous sommes au 11ème-12ème s.) sur la légitimité de la limitation des naissances pour deux raisons: sauvegarder la beauté de la femme et maintenir la famille dans des proportions raisonnables à cause de l'éducation des enfants

La polygamie

L'autorisation de la polygamie  résulte de la situation sociale créée par le nombre élevé de martyrs tombés pendant la bataille d’Ohod. Il fallait caser les nombreuses veuves de guerre: il fut donc décrété qu’ en vertu de ce déséquilibre démographique il serait permis a un homme d’ épouser plusieurs femmes à condition (au maximum quatre) à condition qu il ait les moyens de les entretenir et qu il réserve un traitement égal à chacune d entre elles. D’où le texte de Coran 4.3.

Transition: nous avions vu que le message premier de l'islam est celui celui du Dieu créateur et résurrecteur, et de la louange que nous lui devons. Mais la louange de Dieu ne consiste pas seulement à louer Dieu dans le credo, mais c'est aussi agir positivement dans la sphère sociale....


Louer Dieu c'est s'impliquer dans la trame sociale

Se reconnaître comme créature devant Dieu implique le fait de louer Dieu.

Mais louer Dieu, ce n’est pas seulement lui rendre un culte, mais aussi se tourner vers autrui :

La piété ne consiste pas à tourner vos visages vers l'Orient ou l'Occident. Mais la véritable piété, c'est celle de celui qui croit en Dieu, au Jour Dernier, aux anges, au Livre et aux prophètes, c'est celle de celui qui, pour l'amour de Dieu, donne de son bien à ses proches, aux orphelins, aux malheureux, aux voyageurs et aux mendiants, ou l'emploie pour racheter les captifs; c'est celle de celui qui accomplit la prière et s'acquitte de l'aumône; c'est celle de celui qui tient les engagements qu'il a contractés, de ceux qui sont constants dans l'adversité la souffrance et aux jours de détresse. Voilà les croyants sincères, voilà ceux qui craignent Dieu (Coran 2.177).

Le premier hadîth ("dit" du Prophète) cité dans le "Livre de la Foi" (Sahîh, Livre 2) est fort normalement celui qui énumère les cinq piliers de l'islam, d

Font ainsi partie de la foi, disent les hadiths suivants:

la prière( Bu 2.30),

le jeûne du mois de Ramadan en vue de Dieu seul (2.20)

la prière de la Nuit du Destin (2.25)

la militance (djihâd) (2.26)

les prières surérogatoires du mois de Ramadan (2.27), 

mais aussi :

la pudeur (2.2.1)

suivre un convoi funèbre (2.35.1)

éviter les combats entre les croyants (2.21)

la loyauté envers le chef de la Communauté.



L'islam et l'Autre (début)


Familiarité aux origines

Il y a une relation de très grande proximité entre le christianisme et l'islam. La même chose vaut pour le judaïsme et l'islam. Cette proximité est si grande qu'on pourrait presque parler de consanguinité, et ce dès les origines de l'islam.

Tout d'abord sur les pourtours de l'Arabie, le christianisme ou quelquefois le judaïsme était majoritaire. Cela vaut pour le pourtour nord de l'Arabie (Palestine, Syrie, et Irak) où étaient établies des tribus arabes chrétiennes de rite monophysite ou nestorien.

Sur le pourtour méridional au Yémen, il y avait une population mixte chrétienne et juive, avec une très forte composante juive à tel point qu'une dynastie juive y régnait au 6éme s. La région du Nedjrân au Sud-Ouest de l'Arabie était aussi très christianisée, à tel point que les chrétiens du Nedjrân envoyèrent une députation au Prophète à Médine en janvier 631. Le Prophète les autorisa même à célébrer la messe dans sa mosquée, la mosquée de Médine. Mais la discussion prévue pour le lendemain tourna court, l'évêque de la délégation étant monophysite: il croyait en la seule nature divine du Christ, ce qui ne concordait évidemment pas avec les convictions du Prophète de l'islam.

En Arabie centrale, dans le Hedjâz, là où est né l'islam, il y avait tout un chapelet d'oasis juives: Khaybar, Tayma et bien sûr Yathrib, la future Médine. On ne sait pas à quelle branche du judaïsme appartenaient ces tribus juives, mais beaucoup de spécialistes estiment qu'elles n'étaient probablement pas pharisiennes ou rabbanites.

Quant aux chrétiens, on pense en général qu'ils étaient peu nombreux, et ne constituaient pas de communauté organisée. Quelques individus isolés, selon l'islamologie conventionnelle. Les sources musulmanes (la Sunna et la Sîra) évoquent même la figure d'un chrétien, souvent présenté comme un prêtre, présent dans l'entourage immédiat du Prophète. Il s'agit de Waraqa b. Nawfal (ورقة بن نوفل ), cousin de la première épouse du Prophète, Khadîdja, qui selon la Sîra et la Sunna passait son temps à copier l'Evangile en arabe ou en hébreu, et qui aurait été l'un des premiers à reconnaître l'authenticité des expériences extatiques du Prophète. On ne sait rien de plus sur lui. On ne sait pas à quelle branche du christianisme il appartenait.

Quand on lit le Coran, on est frappé par le nombre de personnages bibliques mentionnés par le Coran Sur les 23 prophètes cités par le Coran, 19 sont des personnages bibliques: Adam, Abraham Ismaël, Isaac, Noé, Loth, Jacob, Joseph, Mose, Hénoch (Idrîs), Jonas, Elie, Elisée, David, Salomon; Job, Zacharie (du NT), Jean-Baptiste et Jésus. A ces personnages, il faut ajouter la Vierge Marie. Le Coran mentionne la naissance virginale de Jésus. On remarquera que parmi les personnages de l'AT cités comme prophètes sont absents les grands prophètes écrivains tels Esaïe, Jérémie ou Ezéchiel, ce qui est une caractéristique samaritaine. Les Samaritains ne reconnaissaient en effet et ne reconnaissent toujours que les 5 premiers livres de la Torah: le Pentateuque.

Les parallèles bibliques sont tellement nombreux dans le Coran que Denise Masson a pu écrire un livre où elle donne dans des tableaux synoptiques les versions coraniques et bibliques de nombreux récits bibliques (Monothésme biblique et monothésme coranique). Et ce fait n' a pas échappé aux musulmans: Mohammed Hamidullah dans sa traduction du Coran donne pour chaque verset coranique qui s'y prête le ou les parallèles bibliques.

Je voudrais simplement donner deux exemples de récits bibliques ou chrétiens que l'on retrouve dans le Coran: la sourate 18 et la sourate 12.

Au début de la sourate 18, il y a un récit qui s'intitule l'histoire des Gens de la Caverne (ahl al-kahf): c'est le récit de 7 jeunes gens qui s'endorment pour 309 ans et qui se réveillent après ce long sommeil. Leur réveil est présenté par le Coran comme un germe de la Résurrection qui existe déjà dans notre monde. Le grand commentateur classique du Coran Tabari (9ème s) avait déjà reconnu le caractère chrétien de ce récit. Les jeunes gens étaient des chrétiens d'Ephèse qui luttaient contre le paganisme de leur époque. Tabarî cite même leurs noms: Maximilien, Dionysos (ou Denis), Jamblique, Martel, Excustodien, Birunos, Antonin , plus le nom du chien: Qalos.


Il y a un fait remarquable dans le récit coranique, il est essentiellement allusif et ne donne que la trame de l'histoire pour en tirer les leçons sur le refus du paganisme et la puissance du Dieu créateur et résurrecteur, comme si le récit était supposé connu de l'auditoire et que le prédicateur n'en rappelait pour cela que les grandes lignes.


La sourate 12 narre l'histoire de Joseph (celui de l'AT) et présente les mêmes caractéristiques que la sourate 18: uniquement une trame, peu de détails précis géographiques ou onomastiques.

.La sourate 26 est une sourate d'instruction comme il y a des psaumes d'instruction dans la Bible.

D'une lecture attentive du Coran, on déduira que l'auditoire du Prophète (puisque le Coran est une prédication destinée à un auditoire) était largement familiarisé avec un large répertoire biblique, qui devait faire partie du fonds culturel arabe de l'époque.


Le Prophète et les chrétiens

  Le Prophète a été en rapport continu avec le christianisme dans sa jeunesse.

Selon sa biographie traditionnelle (la Sîra), il rencontra un moine nommé Bahîra ou Nestorius lors de l'un de ses voyages caravaniers en Syrie.

Dans son proche entourage, le cousin de la première femme de Mohammed, Waraqa ben Nawfal était chrétien.

Le Prophète a, tout au long de sa vie, eu de la sympathie pour le christianisme, tout particulièrement pour les moines des couvents (Coran 3.113-114), bien que cette sympathie soit teintée d'une nuance de reproches (57.27).

Mohammed prend même la défense des chrétiens contre les juifs au sujet de la naissance virginale de Jésus (4.156-157). Mais il s'oppose au principe trinitaire qu'il assimile à un trithéisme: (5.73, 4.171).

Mais le verset 4.171 représente néanmoins un pas énorme en direction du christianisme, puisque Jésus y est appelé "Verbe de Dieu", "Esprit de Dieu". Ces termes sont singulièrement proche du credo de Nicée et des canons adoptés par le concile de Chalcédoine.

Le rejet du dogme de la filialité divine de Jésus (cf. 5.17) s'explique d'autant mieux que Mohammed n'avait pour interlocuteurs que des monophysites, qui professaient la seule nature divine du Christ.

Il n'y a jamais eu, du vivant du prophète, de tensions militaires avec des groupes chrétiens, comme ce fut le cas pour les juifs, pour la bonne raison que leur nombre en Arabie centrale était infime. Ils n'étaient représentés que sur la périphérie de l'Arabie, notamment au Nadjrân et au Yémen.

 La mubâhala

          La mubâhala (ordalie) eut lieu après la mise hors la loi des polythéistes en l'an 9 de l'hégire (631 de l'ère chrétienne). On assiste à une conversion en masse des tribus arabes, qui envoient de nombreuses ambassades au Prophète (sanat al-wufûd).

Parmi ces délégations, il y avait une ambassade envoyée par les chrétiens de la tribu des Balhârith venue du Nadjrân au Yémen. Elle arrive au mois de shawwâl de l'an 10 (janvier 631). Son arrivée à Médine fait sensation. Elle était composée de 70 cavaliers, à la tête desquels se trouvait le triumvirat formé du syndic des métiers ('âqib), du chef des caravanes (sayyid), et de l'évêque du lieu. Il frayent avec la population musulmane et échangent avec elle des propos amicaux. Le prophète les autorise même à célébrer le culte chrétien à l'intérieur de la mosquée, en s'orientant vers Jérusalem.

A l'audience qu'il leur accorde le lendemain, la discussion s'élève au plan théologique. Le Prophète reproche aux chrétiens de croire en la divinité du Christ. Il faut dire que les chrétiens du Yémen étaient monophysites et donc croyaient en la seule nature du Christ. Les Nadjranites défendent leurs croyances avec énergie.
Pour mettre fin à la controverse, le Prophète propose la
mubâhala, sorte d'ordale, au cours de laquelle un serment d'attestation est prêté des deux côtés: "
Si je suis menteur, que Dieu me punisse"

Le Coran fait allusion à cette proposition d'ordalie en 3.54. Cela se passait le 3 shawwâl 10 (14 janvier 631). Chaque partie en cause devait se présenter au moment et au lieu convenus, accompagné des êtres qui lui étaient particulièrement chers et invoquer la divinité comme arbitre, pour qu'elle frappe de sa foudre le menteur, dans sa personne et dans ses proches présents à cette démonstration organisée publiquement.

Le Prophète vint avec ses "fils" (en fait ses petits-fills Hasan et Hussayn), ses "femmes" (en fait, avec sa fille Fâtima), et 'Ali. Il était vêtu d'une tunique noire en poil de chèvre, galonnée de soie.

Le Prophète met donc au défi la délégation chrétienne de se soumettre à cette procédure. Il lui en fixe le moment pour le jour suivant. Les chrétiens passent la nuit à délibérer. Un coup de théâtre se produit le lendemain, 4 shawwâl 10 (15 janvier 621). A l'heure convenue, les Najranites déclarent renoncer à la mubâhala. Ils sollicitent un traité de capitulation.

Une négociation en règle se déroule alors. En vertu du traité, les chrétiens s'engagent à livrer, tous les six mois, à l'Etat de Médine, mille vêtements onciaux. En cas d'expédition, Nadjrân s'engageait à fournir aux musulmans trente cuirasses et autant de lances, de chameaux et de chevaux. Et si le Prophète envoyait chez eux ses représentants, il incombait aux chrétiens de les héberger pendant un mois au maximum. En échange, le Prophète s'engageait à les couvrir de sa protection (dhimmat ar-rasûl). En même temps, l'Etat musulman garantit aux chrétiens la sécurité des personnes, la sauvegarde des propriétés, la liberté de religion et de culte, le respect des évêques, des prêtres et des moines, l'immutabilité des fondations religieuses. Il les exemptait de la dîme (zakât), du service militaire et de l'entretien, des troupes. Contrairement aux stipulations de Coran 9.29, aucune humiliation ne pèsera sur eux:

"Aucune humiliation ne pèsera sur eux, ni le sang d'aucune vengeance antérieure à la soumission. Aucune troupe ne foulera leur sol….Ils ne seront ni oppresseurs, ni opprimés."

Ce traité servira de prototype aux capitulations qui ont assuré pendant treize cents ans la survie, moyennant tribut, des communautés chrétiennes assujettis à l'Etat musulman.