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Cours du 5 octobre 2011

 

          Quelques grands principes éthiques (début)


Création encore (après sourate 96)

Il est interdit de peindre des êtres animés.

Cette interdiction n'est pas dans le Coran, mais dans la Sunna (Bukhârî, Muslim): " Certes ceux qui confectionnent des images seront châtiés au jour de la résurrection. Il leur sera dit - donnez vie à ce que vous avez créés !"

La raison théologique de l'interdiction est donc claire: la confection d'images d'êtres animés témoigne de la part de l'homme d'une hubris, un désir prométhéen de faire ce qui seul est réservé à la rubûbiyya   (toute-puissance) de Dieu: la création d'êtres animés.

Dans le Fiqh (jurisprudence musulmane) on pose la question suivante: est-on autorisé à entrer dans une maison qui comporte des représentations figurées ? . D'après la plupart des docteurs il est préférable de ne pas accepter une invitation dans une telle maison.. Ibn Qudâma le permet en évoquant l'anecdote narrant qu'en Syrie Ali , sur l'ordre de 'Omar était entré dans une église et y avait même pris part à un repas. Il en conclut qu'il n'est pas interdit d'entrer dans une maison décorée d'images. Certes les anges n'y entrent pas, mais l'interdiction ne vaut que pour eux. Les êtres humains ne sont pas tenus par elles.

Mais Jésus forme des colombes en terre glaise et leur donnait souffle de vie: 5.110, 3.49

Une autre grande idée apparaît dès la deuxième sourate historiquement révélée, la sourate 74

Pureté ( à partir de sourate 74)

Tous les textes insistent qu'il faut se purifier avec une eau pure.

Les fuqahâ' tels Châfi'î (m. 204/820) ou Ibn Qudâma (m. 620/l223) ont disséqué avec un raffinement inouï les cas où une eau peut être considérée comme pure ou au contraire les cas où une eau doit être considérée comme impure, en fonction de tous les mélanges (mukhâlata) possibles et imaginables.

 Le hanbalite Ibn Qudâma ouvre ainsi les 9 volumes de son Kitâb al-Mughnî en commentant la thèse suivante d'Abû 1-Qâsim al-Khiraqî

"La pureté physique s'obtient par de l'eau absolument pure, c'est-à-dire qui n'a pas été ajoutée à autre chose, comme quand, on parle d'eau-de-fèves, d'eau-de-roses, d'eau-de-pois-chiches, d'eau de safran etc., expressions dans les quelles  un autre terme est indissociablement lié au terme "eau" .

L'eau pure, commente ensuite Ibn Qudâma en substance, c'est une eau à 1état de nature (min asl al-khilqa) (Ï7) ou plus exactement à l'état de création, que ce soit de l'eau douce ou de l'eau de mer. Ne sont donc pas pures les eaux mêlées où l'eau est mélangée à autre chose...

De tels textes laissent transparaître une véritable horreur  des mélanges..

Pureté spiriruelle:

Ghazâlî (m. 505/1111) nous enseigne que s'il faut bien purifier les organes physiques des excréments et des souillures, des fautes et des péchés, ces purifications ne sont qu'une propédeutiçue de la purification du coeur de tous les vices  Mieux encore, il faut arriver, dit-il "à purifier le coeur de toute chose sauf de Dieu... il ne peut y avoir deux choses dans l'esprit en même temps, et Dieu n'a pas créé deux esprits dans le même  homme" .

L'aspiration à la pureté originelle
a) .... individuelle

Ainsi retrouve-t-on la situation originelle de proximité de l'homme et de Dieu. Ghazâlî ne nous le dit pas explicitement, mais l'une de ses sources le Qût al-qulub de Makkî (m. 366/996) cite le hadîth suivant, qui met profondément en relief le lien entre pureté physique et la nostalgie des origines:

"Quiconque accomplit parfaitement les ablutions mineures et prie deux cycles de prières sans être distrait par le monde extérieur sort de ses péchés comme au jour où sa mère l'a mis au monde".

Or l'on sait que cette pureté originelle, le Prophète l'a réalisée plus radicalement encore puisque, si l'on on croit sa biographie théologique (la Sîra), avant son apostolat son coeur et son ventre ont été purifiés par la neige.

"Un jour que j'étais avec un frère sous la tente abritant les agneaux, deux hommes vêtus de blanc vinrent à moi avec un bassin rempli de neige. Ils se saisirent de moi et m'ouvrirent le corps, nuis ils procédèrent à l'extraction de mon coeur, l'ouvrirent et en retirèrent un caillot noir qu'ils jetèrent. Puis ils ne lavèrent le coeur et le ventre avec de la neige de façon à les purifier" .

b) ... collective

Mieux, l'islam, compris dans sa totalité, se présente comme un retour collectif aux sources et aux temps originaux. Dans son Sermon d'adieu, le Prophète qualifie ainsi la conclusion de son apostolat:
"
le temps a terminé son cycle et est comme le jour où Dieu a créé les cieux et la terre"

Quelque temps auparavant, le Prophète avait en. un geste symbolique désacralisé les idoles de la Ka'ba, symboles mêmes de l'impureté (Coran 22.30), dont le Prophète a purifié les Arabes (Coran 3. 164)

"Le jour de la prise de La Mecque, le Prophète entra dans la ville, 360 idoles étaient rangées autour du Temple. Il les toucha successivement avec une baguette qu'il tenait à la main en disant:

           La Vérité est venue, le Mensonge a péri. La Vérité est venue, et maintenant le mensonge ne pourra plus rien commencer, ni recommencer" (.

 

La niyya ou la pureté de l'intention

 Texte du Sahîh de Bukhârî (Sunna) 1.1.1:

 Selon 'Alqama b. Waqqâs al-Laythî  : "  J'ai entendu 'Umar b. al-Khattâb dire alors qu’il était en chaire " : " J'ai entendu l'Envoyé de Dieu prononcer ces paroles ":

 " (1) Les actes ne [valent] que par les intentions
(2) A chacun seulement selon ses intentions .

        (3) Quiconque aura émigré pour un profit matériel quelconque ou en vue d'épouser une femme, son émigration ne [vaudra] que pour ce en vertu de quoi il aura émigré ".


Ce hadith, l'un des plus célèbres de l'islam, est inscrit sur la Porte des Barbiers d'Al-Azhar au Cairee l'exemple de l'émigration.

               Tous les commentateurs conviennent du caractère absolument fondamental et sublime de ce hadith. Il constitue le pivot ou l'axe de l'islam (madâr al-islâm Q 1.56 1.). Il représente un tiers de l'islam (Shâfi'î in Nawâwî 13.53 ad Muslim 13.155 ). Un tiers de la Science aux dires de Shâfi'î et d'Ahmad b. Hanbal (Q 1.56), ou même la moitié s’y trouverait ( ibid.). C'est pour cette raison que Bukhârî l'a placé en tête de son recueil (13.54) et que, selon Shâfi'î, il entre dans pas moins de 70 chapitres de fiqh. Abû Dâ’ûd (1.56) considère ce hadith comme l'une des quatre traditions fondamentales de l'islam les trois autres étant:

 

"C'est pour le fidèle l'expression la plus parfaite du don de soi-même à Dieu (islâm) que de laisser de côté ce qui ne le regarde pas".

          "Un croyant n'est véritablement croyant que pour autant qu'il souhaite pour son frère ce qu'il souhaite pour lui-même"

" Ce qui est licite l'est de toute évidence; ce qui est illicite l'est aussi."

 

Interprétation:

Le point de vue est ici eschatologique: la rétribution de l'acte par Dieu (au Jugement dernier) est fonction de l'intention.

L'idée principale est qu'il convient d'être pleinement conscient des actes que l'on accomplit, surtout les actes rituels, qui ne doivent pas être accomplis mécaniquement. Le but aussi est de combattre toute attitude ostentatoire (voir ci-dessous § Le culte pur).

Selon les commentateurs:

le lieu de l'intention est le coeur. Il convient donc d'articuler  une formule marquant l'intention d'accomplir telle ou telle action rituelle, mais pas à l'improviste et sans concentration.  Il vaut de toute façon mieux articuler explicitement oralement l'intention, parce que " la langue aide le coeur ", en disant par exemple "maintenant j'ai l'intention d'accomplir les ablutions mineures" ou "maintenant j'ai l'intention d'accomplir la prière de l'aurore".

Le but recherché, c'est de "discriminer l'action cultuelle de l'habitude( îastallâni 1.53).

Le moment où l'on formule l'intention: le début de l'acte, par exemple au début des ablutions.

La source de l'intention est unique: c'est le culte pur et sincère voué à Dieu {ikhlâs) Q L52).

L'intention est requise pour tous les actes cultuels (prière, aumône, jeûne, pèlerinage, retraite pieuse ...), ainsi que dans la répudiation, l'affranchissement des  esclaves et dans l'établissement du délit de calomnie {qadhf, Naw 13.54).

Verset 2: "A chacun seulement selon ses intentions"

Cette parole signifie que la rétribution eschatologique est individualisée. Chacun devra rendre compte personnellement de ses actes et de ses intentions au Jugement Dernier

Verset 3: "Quiconque aura émigré pour un profit matériel quelconque ou en vue d'épouser une femme, son émigration ne [vaudra] que pour ce en vertu de quoi il aura émigré "

Ce membre de phrase concernait, selon Qastallânï, 'Asqalânî et Nawawî, un homme qui émigra de La Mecque à Médine (voir le paragraphe sur l'hégire ici ) pour épouser une femme nommée Umm Qays,  quelqu'un donc qui avait l'intention, tout à la fois, de fuir la "maison de l'impiété" (La Mecque) et d'épouser une femme. Un tel agissement n'est pas mauvais en soi, et n'est pas non dépourvu de validité. Simplement, souligne Nawawî, il n'a pas la même valeur  que l'acte d'un muhâdjir dont l'émigration était pure de toute raison adventice (Nawâwî), qui n'a donc émigré que pour le visage de Dieu (Q).

Cela ne veut pas dire non plus que l'acte d'un émigré qui a lié son émigration à des recherches matrimoniales soit sans valeur aux yeux de Dieu, simplement son émigration se situe à un degré inférieur par rapport à quelqu'un qui a recherché l'émigration pour elle-même (Q).

Ce qui est blâmé ici indirectement, ce n'est pas le fait de chercher femme, mais de l'avoir fait sous couvert d'une émigration "pure".

'Asqalânî (1.22) ajoute d'autres considérations encore: ce hadith ferait allusion à la coutume suivante. Les Arabes ne se mariaient pas à des affranchis et prenaient en compte l'égalité de lignée. Quand vint l'islam, tous les musulmans ont été mis sur un pied d'égalité en ce qui concerne le mariage. Beaucoup de musulmans émigrèrent donc à Médine pour épouser celles qu'ils n'auraient pas pu épouser auparavant. Le muhâdjir en question était un affranchi et Umm Qays arabe.


Le culte pur (ikhlâs)

 L'ikhlâs est le contraire d'une attitude ostentatoire (riyâ'), c'est le culte pur et sincère. Son summum est de ne pas aimer la louange des gens, selon un hadîth d'Abû Ya'qûb al-Makfûf. Quand au mukhlis (celui qui s'adonne au culte pur), c'est, selon Dhahabî quiconque cèle les bonnes actions de la même manière qu'il cèle les mauvaises

On trouve  des hadîth-s qui définissent l'ikhlâs comme une intimité exclusive avec Dieu. Ainsi Dieu, dit-il, de l 'ikhlâs dans un hadîth cité par Hasan al-Bas :

"C'est un Mien secret que Je confie au coeur de celles de Mes créatures que J'aime".

C'est dans cette voie que Ghazâlî s'est engagée.

L'ikhlâs c'est, pour lui, dépouiller le désir de se rapprocher de Dieu de tous les éléments adventices qui pourraient l'entacher (shâ'iba). Par exemple: jeûner en vue de Dieu seul, et non par hygiène, affranchir un esclave en vue de Dieu seul et non à cause de son mauvais caractère. C'est: "suivre la Voie Droite selon ce qui t'a été ordonné, ne pas adorer ni tes passions, ni ta personne (nafs), n'adorer que ton Seigneur, suivre la Voie Droite dans son Culte, comme il t'a été ordonné. C'est couper de la trajectoire du regard tout ce qui n'est pas Dieu".

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La pureté dans tous les actes


Dans son Discours d'Adieu (selon la Sîra d'Ibn Hichâm) le Prophète parle successivement de l'interdiction du ribâ (c-à-d du prêt à intérêts et de l'usure), de la nécessité de rendre un culte à Dieu jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne, inaugurant par là-même un nouveau cycle pour l'humanité, un retour à la pureté des origines:

Celui qui a chez lui un dépôt, qu'il le rende à celui qui le lui a confié ! Tout gain usuraire est aboli, mais vous jouirez du capital de vos biens.

Vous ne commettrez pas d'injustice et on n'en commettra pas à votre égard. Dieu a décidé qu'il n'y a pas de gain usuraire…

Ensuite, ô hommes, Satan désespère d'être jamais adoré dans ce pays, mais sera bien content, si vous lui obéissez dans des actes que vous croyez sans importance. Alors prenez garde à lui dans votre vie religieuse… Le temps a terminé son cycle et est comme le jour où Dieu a créé les cieux et la terre. [ وإن الزمان قد استداركهيئته يوم خلق اللّه السموات والأرض ].


La pureté est une notion capitale en islam. N'oublions pas que la religion prêchée par le Prophète s'appelait d'abord tazakkî ( pureté peut-être au sens de droiture morale, voir Coran 79.18 et l'explication qu'en donne W.M. Watt, à travers Ibn Zayd cité dans le Tafsîr de Tabarî) ( 6 ), avant de s'appeler islâm (Coran 5.3) et que la zakât est précisément l'un des cinq piliers de l'islam.


Les grandes règles de l'éthique musulmane:


La grande règle c'est la commanderie du bien et l'interdiction du mal

C'est un rôle important que les individus doivent assumer " Vous formez la meilleure Communauté suscitée pour les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable, vous croyez en Dieu " (Coran 3 : 110).

Il incombe à l'individu de combattre le mal, le Prophète a dit : " Que celui parmi vous qui voit une chose répréhensible, la combatte par l'action, si cela ne lui pas possible, que ce soit par la langue, et si cela ne lui est pas possible, que ce soit avec son cœur, c 'est là le minimum imposé par la foi ".

Combattre les abus

L'iniquité dans l'exercice du pouvoir: elle s'entend comme un abus de la part de ceux que Dieu a pourvu d'une parcelle d'autorité. Dhahabi donne les exemples suivants:

La punition divine peut survenir déjà sur terre C 11.104/102: « Ainsi est le coup de Dieu quand Il frappe les cités alors qu'elles sont injustes. Son coup est cruel et violent.

Les docteurs de la Loi sont tenus dans ce cadre-là de dénoncer aux autorités et aux princes leur manquement à la Loi, tout en respectant le devoir d'obéissance à l'Etat. La limite de cette dénonciation est donc la loyauté des oulémas envers l'Etat. Les textes classiques du sunnisme condamnent tout appel à la sédition: c'est ce que l'on appelle le quiétisme du sunnisme.

Un seul mouvement, le kharédjisme, proclamait le droit à la révolte contre des autorités injustes.