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Ralph Stehly

Un traité d'éthique islamique: le Kitâb al-Kabâ'ir de Shams ad-dîn al-Dhahabî (7)

Chapitre deuxième:

Quelques points de repère sur l'élaboration de la doctrine  des fautes graves dans le sunnisme

(nombre et définition)

 

 

 

1. - Les fautes graves dans les recueils de hadith-s et les Commentaires coraniques

Le terme de kabîra (pl. kabâ'ir) n'apparaît qu'incidemment dans le Coran en 4, 35/31, 42, 35/37, 53, 33/32, 18, 47/49 et 2, 138/143. C'est un terme général qui ne qualifie aucune faute particulière. Dans les anciens recueils de hadîth, il occupe également une place des plus tenues, bien qu'on y perçoive l'écho des premières querelles doctrinales de l'Islam.

Wensinck (1)  signale onze entrées totalisant en tout et pour tout cinquante-cinq occurrences, dont un nombre considérable de versions diverses d'un même hadîth. Le terme est même absent du Muwatta' de Mâlik b. Anas. Par contre, les commentateurs coraniques, outre les hadît déjà classiques signalent des versions nouvelles, qui montrent l'extension Je cette notion dans le fiqh à leur époque.

Les hadith-s_ les plus anciens ne s'arrêtent guère à la question de la définition des kabâ'ir. Cette préoccupation ne surgira que plus tard. Par contre, le problème de leur nombre leur est familier.

A. - Combien de kabâ'ir ?

Les hadîth-s qui avancent un nombre précis de fautes graves ne manquent guère. On n'a que l'embarras du choix.

 Makkî (2)  n'a pas manqué de le remarquer ;

"Les Docteurs divergent, autant les Compagnons que les Successeurs, au sujet des fautes graves : quatre à sept, à neuf, à onze et au-dessus".

En fait les chiffres vont de trois à sept cents.

a) Dans les recueils on rencontre deux catégories de listes, des listes restreintes incluant trois ou quatre fautes graves, et des listes élargies incluant sept fautes avec un visible souci de systématisation à sept. La moins élaborée des listes quadripartites est celle de Bu 52.10.1. D'après Anas (3), le Prophète, questionné sur les fautes graves répondit:

"Ce sont  l'associationnisme (shirk), l'impiété envers ses père et mère (uqûq al-wâlidayn), (4) l'homicide (qatl an-nafs) et le faux témoignage (shahâdat az-zûr)."

Mais la liste la plus courante est une liste dégressive de fautes (dhanb) (5)

"'Abd Allâh (6)  dit : "Comme je demandai au Prophète quelle était la faute (dhanb) la plus grave, il me répondit : "De Lui donner un associé alors qu'Il t'a créé - Certes, reprit-il, cela est grave. Et quelle est la faute qui vient ensuite ? - C'est, répliqua-t-il, de tuer ton enfant de peur qu'il ne partage ta nourriture" - Et ensuite ? - De forniquer avec la femme de ton voisin" (7)

Ce noyau de trois- ou quatre fautes se retrouve considérablement amplifié dans les hadîth-s septipartites comprenant la formule: yadjtanibû l-kabâ'ir as-sab' ou yadjtanibû as-sab' al-mubîqât : ainsi Bu 55.23.1 (Abû Hurayra) (8);

"-Evitez les sept fautes graves (kabâ'ir) !

-Lesquelles, ô Envoyé de Dieu ?

-Ce sont, répondit-il, l'associationnisme (shirk), la magie (shihr),  l'homicide (qatl an-nafs) à moins qu'il ne soit légitime, l'usure (ribâ), détourner les biens de l'orphelin (akl mal al-yatîm), fuir le combat (tawallà mina z-zahf), calomnier (qadhf) les femmes muhsan qui ne songent point à mal". (9)

Dans le hadîth suivant, mentionné dans le recueil de Nasâ'î, la doctrine des sept fautes graves est bien établie:

"Il n'y a pas de créature priant les cinq prières, jeûnant au mois de Ramadan, faisant don de l'aumône et évitant les sept fautes graves qui ne se verra ouvrir les portes du Jardin. On lui dira : entre en paix !"(10)  --------->

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  1. Concordances/et indices de la tradition islamique, 7 vol., Leyde, 1936-1969.
  2. Qût  II 148. Cf. Ghunya I 130-136.
  3. Anas b. Mâlik, le "serviteur" (khâdim) du Prophète, sahâbî, fut présent à Badr, mais ne participa à la bataille. Traditionniste très prolifique , il mourut à Basra à l'âge de 97 ou 107 ans en 91/709 ou 93/711. Abu Hanîfâ refusa de reconnaître son autorité en matière de traditions.

    4. Un hadîth, unique, réduit même les fautes graves à l'injure envers ses père et mère (Sahîh  Muslim 1 .168).

    5. Versions similaires en Bu 78.6.1. (Abû Bakra) , 83, 16. 1 ('Abd Allah, b. 'Amr), Tayâlisî n0 2075, p. 276 (Ibn Mas'ûd). Bu 52. 10.1 (Ibn Mas'ûd) et Zâd II 66 ss remplacent le faux témoignage par l'homicide placé en deuxième position  Abû Bakra (Nufay' b. al-Hârith), compagnon du Prophète, originaire de Tâ'if et mort à Basra en 52/672j 'Abd Allâh
    b. 'Amr b. al~'Âs, mort en 65/684-5, lors du siège de Fustât par Marwân b. al-Hakam, au moment de la révolte d'Ibn Zubayr. Ibn Mas'ûd, compagnon du Prophète, l'un des premiers convertis, mort à Médine en 32/652 ou 33/653. Il est considéré comme l'un des premiers grands muftis et lecteurs du Coran. Il fut envoyé par 'Umar à Kûfa pour y prêcher l'Islam. Version légèrement différente du même hadîth en Bu 52.10.2 (Abû Bakra), Kanz n# 3755 ('Umar b. Husâyn), Mu 1,168, Ti II 12. Voici le texte de Muslim:

    "Ne Vous ai-je point annoncé les trois plus graves fautes ? L'associationnisme, l'impiété envers ses père et mère, le faux témoignage, et les paroles mensongères. L'Envoyé de Dieu était accoudé, il s'assit alors et ne cessa de les répéter jusqu'à ce que nous disions: pourvu qu'il se taise! "

    Bû 79.35.1 mentionne uniquement l'impiété envers ses père et mère, 79.35.2 rajoute 1es paroles mensongères.

     

    6. 'Abd Allâh b. Mas'ûd.

    7. Bu 65 sur. 2 (texte cité), 65 sur. 25 b. 2, 78.20.1, 87.1.1, 86.20.4, Mu 1.167, Zâd 2. 62 s, Tayâlisî n° 264.

    8.  Mu 1.. 168, Zâd 2. 66 s ,  Nâ 2.131 remplace sihr par shihh (avarice). Abû Hurayra, le célèbre compagnon du Prophète, mort en 58 ou 59/67 8-9 . L'un des plus célèbres muftis de Médine.

    9. Autre liste : le kharédjite Asfar (Shahr I 185) énumère 4 péchés d'obéissance à Satan, comme signe d'infidélité secondaire (par opposition à l'infidélité principale) :

    "fornication, calomnie, vol, homicide". Les Zâhirites (Ibn Hazm IV 224) donnent la liste suivante: trois fautes légères et cinq fautes graves : impiété, fornication, sodomie, rébellion, vol (in Massignon, Passion II 676).

    (5) Na I 332 (Abû Hurayra et Abû Sa'îd) et Tafsîr V 24.