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Ralph Stehly

Un traité d'éthique islamique: le Kitâb al-Kabâ'ir de Shams ad-dîn al-Dhahabî (1)

 

INTRODUCTION

 

L'éthique arabo-islamique

           L'éthique arabo-islamique est multiforme. On y distingue de nombreux courants.

 L'éthique d'origine persane,dans laquelle les allusions islamiques sont rares et purement formelles, a été illustrée surtout par l'oeuvre d' Ibn al-Muqaffa' comprenant le Kitâb Kalila wa Dimma, Al-adab al-kabîr  (2) et Al-adab as-saghîr (3).

 L'éthique philosophique est dominée par le nom d'Ibn Miskawayhî et son Tahdhîb al-akhlâq wa-tathir al-a'râq (4) , et le Fî l-akhlâq, traduction du  Peri êthôn de Galien.

L'Ihyâ 'ulûm ad-dîn d'al-Ghazâlî se situe au confluent de l'éthique ascétique et de l'éthique philosophique. Quant aux 'Uyûn al-akhbâr d'Ibn Qutayba (m. 276/889-90), ils constituent le premier manuel exhaustif d'éthique arabe et rassemblent des éléments provenant du Coran, du hadîth, de l'époque anté-islamique et de la Perse.

L'éthique islamique -stricto sensu- est l'éthique du hadîth, tout le corpus du hadîth constituant un imposant manuel d'éthique islamique. Or, dès le 3ème/9ème siècle, nombre de recueils spécialisés de hadîth éthiques ont été compilés. Citons, entre autres, les Makârim al-ahklâq d'Ibn Abî d-Dunyà (m. 281/ 894), les Makârim al-akhlâq wa-ma'âlîhâ de Kharâ'îtî (m. 327/938), les Makârim al-akhlâq, shî'ites,de Tabarsî (m. 518/1153), les Adhkâr de Nawawî (m. 676/127$, le Kitâb at-targhîb wa-t-tarhîb de Mundhirî (m. 656/1258), les Maqâsid al-hasana de Shams ad-dîn Abû 1-Khayr as-Sakhawî (m. 902/1497) et le Zawâgir 'ani qtirâf al-kabâ'ir d'Ibn Hadjar al-Haytamî (m. 97 3/1565). Le Kitâb al-kabâ'ir de Shams ad-dîn adh-Dhahabî est dans la lignée, une de ses originalités tenant à ce que les hadîth qui s'y trouvent compilés, sont classés selon une liste de soixante-dix kabâ'ir ou fautes graves.

A notre connaissance, il n'existe aucune traduction d'aucun traité de Makârim al-akhlâq en langues occidentales, ni aucune monographie ou étude (4)  précisément consacrée à cette question. On trouvera des éléments épars chez les pionniers de l'étude du fiqh et du hadît : Snouck Hurgronje, Juynboll, Sachau et chez des auteurs plus récents tels Wensinck, Donaldson, Bousquet, Santillana, Schacht et surtout H. Laoust.

En publiant donc aujourd'hui cette présentation analytique du Kitâb al-kabâ'ir de Dhahabî sous forme de monographie, nous avons pensé être utile à 1'islamologie, et en particulier aux études de fiqh et d'éthique islamique, qui souffrent à l'extrême du manque de monographies spécialisées. Notre espoir est qu'elle pourra être utilisée pour de futurs travaux de synthèse.

Deux axes de réflexion ont dirigé nos recherches. Nous avons, avant tout, tenté, en plus de l'analyse de la matière fournie par Dhahabî, de déterminer avec précision, chaque fois que faire se pouvait, le degré d'originalité des solutions légales, éthiques ou théologiques adoptées par Dhahabî, en nous servant des grands traités de fiqh et de 'ilm al-kalâm, en particulier le Kitâb al-Umm de Shâfi'î, le Kitâb al-Mughnî d'Ibn Qudâma ainsi que sa 'Umda, les Ahkâm as-sultâniyya de Mâwardî, le Zawâgir 'ani qtirâf al-kabâ'ir de Haytamî, ainsi que l'Ihyâ' 'ulûm ad-dîn de Ghazâlî. Les grands recueils de hadîths et les grands commentaires coraniques, en particulier celui de Tabarî, ont également été notre référence constante. 

Le charpente du Kitâb al-kabâ'ir est une liste de kabâ'ir. Nous nous sommes donc tout naturellement également efforcé de fournir à la recherche quelques points de repère sur l'élaboration de la doctrine des kabâ'ir dans le sunnisme, en la replaçant dans le cadre plus général des catalogues de vices bien connus des historiens des religions. Cela constitue la matière de notre deuxième chapitre. Cette question nous semble, en effet, d'une extrême importance, puisqu'elle constitue la ligne de partage entre le sunnisme et les hétérodoxies mu'tazilite et kharédjite et que l'ouvrage de Dhahabî constitue le point d'aboutissement d'une doctrine qui plonge ses racines dans l'islam le plus ancien. Enfin, dans le chapitre premier, nous avons rassemblé la matière fournie par les historiographes et biographes arabes sur Dhahabî.

La matière que nous traitons est très technique et souvent aride. Nous prions le lecteur de nous en excuser. Mais le sujet le commande. Qu'il considère ce travail comme ce qu'il voudrait être s une introduction générale par 1'intérieur non seulement à l'éthique islamique, mais aussi à la foi musulmane, dénuée de ce parti-pris et de cet esprit de jugement et de comparaison qui, par le passé, ont fait tant de mal aux études de fiqh et d'islamologie.    ------>

                                                                                                                               

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1) Cf. El art. akhlâq,

D.M. DONALDSON, Studies in Muslim Ethics. Londres, 1953.

(2) Trad. française par C.F. DESIREE, Bruxelles, 1902, sur le
texte hollandais de G. VAN VLOT ; trad. allemande par
0. RESCHER, M.S.O.S., 1917.

  1. Trad. allemande, 0. RESCHER, 1915.
  2. Trad. Mohammed ARKOUN, sous le titre de Traité d'Ethique, Damas, 1969