Les plus anciennes sourates du Coran
© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université de Strasbourg
Sourate 96. 1-5
Par le nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux !
Commentaire
Ce passage est le premier texte historiquement révélé du Coran. Il date donc de 610. Mohammed était alors âgé de 40 ans.
Par le nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux ! (ar. bi smi Llâhi r-rahmâni r-rahîm)
C'est la basmala, formule introductive de toutes les sourates du Coran sauf la sourate 9.
La traduction habituelle " au nom de Dieu " est fausse, car en français " au nom de Dieu " veut dire qu'on fait quelque chose à la place Dieu ou par son mandat. Ce n'est pas le sens ici. La formule en arabe est une invocation: " Par le nom de Dieu ! " c-à-d " Par Dieu ! ", " J'invoque le nom de Dieu ". " Le nom de Dieu " est une formule sémitique qui signifie: " Dieu ".
Le Clément, le Miséricordieux: ar. ar-rahmân ar-rahîm. Les deux adjectifs rahmân et rahîm proviennent de la même racine arabe RHM qui connote l'infinie miséricorde de Dieu, ou l'amour infini de Dieu à l'égard de l'humanité. Rahmân ne peut s'employer que pour désigner Dieu. Cela est compréhensible car en Arabie du sud Rahmân signifiait Dieu chez les juifs et les chrétiens . En accolant Allâh et Rahmân, le Coran veut signifier qu'Allah n'est pas le nom d'une divinité tribale, mais du Dieu universel. Au contraire de Rahmân, rahîm peut se dire d'un être humain
verset (1)
Récite !
Ar. iqra', impératif du verbe qara'a. Ce verbe signifie en arabe moderne " lire ", mais en arabe ancien il signifiait aussi réciter. C'est ce sens qu'il faut retenir ici. Dieu demande à Mohammed de procéder à une récitation liturgique, une récitation d'adoration.
Par le nom du Seigneur qui créa
Contrairement à ce que l'on pense d'habitude, le premier message du Coran concerne le Dieu créateur, et non le Dieu unique. Ce dernier thème ne surgira que dans un deuxième temps. Dieu est le créateur du monde et de l'être humain. Création est à entendre au sens de création continue. Dieu soutient par sa force de vie l'ensemble du cosmos. Il donne aussi force de vie à chacun d'entre nous à chaque instant. La mort est simplement l'arrêt du don de la force de vie .
Verset (2)
qui créa l'être humain d'une adhérence
adhérence = ar. 'alaq, du verbe 'aliqa " être attaché " au sens physique et au sens métaphorique. L'adhérence désigne l'embryon qui est attaché à la matrice maternelle. Ce verset signifie donc que dans la procréation c'est Dieu qui est à l'oeuvre. Comme le laisse aussi entendre le terme français de procréation, nous ne sommes que pro-créateurs, c-à-d créateurs par procuration, et c'est Dieu qui nous donne procuration. Dans la procréation, c'est Dieu qui est à l'oeuvre.
La racine 'aliqa laisse entendre aussi la présence d'un attachement, c-à-d d'une affection ou d'un amour.
Voir: Khaled Roumo, Le Coran déchiffré selon l'amour, Paris, 2009 et "Les facettes infinies de l'amour en islam".
Verset (4)
qui enseigna par le calame.
Ar. qalam désigne un instrument servant à écrire. Dieu est donc en quelque sorte un Dieu écrivain. Dans le Coran, il y a la conception d'un livre céleste qui est auprès de Dieu et dont sont extraites les révélations particulières: à Moïse, à Jésus et à Mohammed.
Coran 74.1-7
Par le nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux !
Ces versets constituent le deuxième texte historiquement révélé au Prophète en 612 ou 613. Après la révélation des premiers versets de la sourate 96, Mohammed est passé par une période de sècheresse mystique où il a douté de sa vocation . Au dires de la Tradition, il aurait même tenté de se jeter dans un ravin du haut d'une montagne. La période de sècheresse est désigné par le terme arabe de fatra.
Verset (1)
O toi couvert d'un manteau !,
Selon la tradition musulmane, le Prophète entrait dans un état de transe, quand il recevait la Révélation, il transpirait et tremblait de froid tout à la fois. C'est pourquoi ses proches le couvraient d'un manteau.
Verset (2)
lève- toi et avertis !
Ce verset marque le passage du ministère privé du Prophète à son ministère public. Jusque là il ne s'était ouvert du message qu'il avait qu'à son entourage proche. Ici il lui est demandé d'avertir, c-à-d d'annoncer publiquement, au su et au vu de tous, son message.
Verset (3)
Ton Seigneur, magnifie-le !
L'arabe kabbara signifie "proclamer la grandeur" ou" prononcer la formule Allâhu akbar (Dieu est plus grand !) ". On aurait donc tout aussi bien pu traduire "A l'égard de ton Seigneur prononce la formule Allâhu akbar" L'un des tous premiers messages de l'islam est la nécessité de la glorification de Dieu par l'être humain. C'est le réflexe normal de tout être humain qui a conscience qu'il est un être créé. Il s'agit donc de louer son créateur, Dieu. Cette adoration est due à Dieu seul. Le Sahîh de Bukhârî 97 stipule que le premier " droit de Dieu " est d'être adoré.
Versets (4) et (5)
Tes vêtements, purifie-les !.
La souillure, fuis-la
La souillure peut désigner soit la souillure par les idoles, soit la souillure physique.
Si on opte pour la deuxième interprétation, ce serait la première injonction du Coran concernant la purification . La prière étant un tête-à-tête avec Dieu, il s'agit de se présenter pur devant lui. La nécessité de la purification avant les rencontres quotidiennes de Dieu par la prière est matérialisé par le rituel des ablutions.
Verset (6)
Ne donne point croyant trop donner !
De manière très classique, l'adoration de Dieu est corrélée à la solidarité sociale. Le Coran et la Sunna insistent que les dons envers les plus démunis de la communauté doivent se faire sans hypocrisie et sans ostentation et qu'ils font partie du rituel.
Verset (7)
Envers ton Seigneur sois constant !
La constance envers Dieu (ar. sabr) est l'une des vertus cardinales prêchées par le Coran. Il s'agit d'être constant envers Dieu non seulement dans les moments de bonheurs, mais aussi aux temps du malheur, qui sont sont des épreuves envoyées par Dieu pour tester notre foi.
Coran 73.1-4
Par le nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux !
(1) Ô toi, enveloppé d'un manteau !
(2) reste en vigile seulement peu de temps,
(3) la moitié ou moins de la moitié de la nuit
(4) ou un peu plus , et psalmodie avec soin le Coran
Les premiers musulmans pratiquaient régulièrement la vigile nocturne, qui par la suite devint facultative. Sa durée sera codifiée par la Sunna: elle est d'un tiers de la nuit. Les musulmans pieux et les soufis la pratiquent encore aujourd'hui (voir ici)
Coran 112
Par le nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux !
(1) Dis " Il est Dieu, l'Unique
(2) Dieu l'infrangible (as-samad)
(3) Il n'a pas engendré et n'a pas été engendré
(4) Personne n'est égal à Lui".
Le terme arabe samad a de nombreux sens, en particulier "massif", "d'un seul tenant". D'où notre traduction "l'infrangible". On pourrait aussi traduire "l'indivisible".
Remarquer la formule: "il n'a pas engendré et n'a pas été engendré", proche de formulations chrétiennes.
Coran 53.1-10 et Sahîh de Bukhârî 1.1.3a : la vocation du Prophète
Ce sont deux textes qui témoignent de l'expérience initiale du Prophète, mais sous deux angles différents.
Coran 53.1-10
Par le nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux !
(1) Par l'étoile quand elle s'abîme !
(2) Votre compagnon n'est pas égaré. il n'erre point.
(3) Il ne parle pas par sa propre impulsion
(4) C'est seulement là une Révélation qui lui a été transmise,
(5) que lui a enseignée un [être] redoutable, fort
(6) et doué de sagacité. [ Cet être] se tint en majesté
(7) alors qu'il était à l'horizon supérieur.
(8) Puis il s'approcha et demeura suspendu
(9) et fut à deux jets d'arc ou moins.
(10) Il révéla alors à son serviteur ce qu'il révéla.
Sahîh de Bukhârî 1.1.3a
- Je ne réciterai pas, répondis-je
- Je ne réciterai pas ! répondis-je encore .
(9) II me saisit et me pressa une nouvelle fois jusqu'à
l'extrême limite de mes
forces, puis il me relâcha .
(10) Puis il me redit: - Récite !
- Je ne réciterai pas ! répondis-je une nouvelle fois .
" Récite au nom de ton Seigneur qui a créé,
Qui a créé l'homme d'une adhérence.
Récite, ton Seigneur étant le très généreux " (.Coran 96.1-3) .
17. Il raconta toute l'histoire à Khadîdja: - J'ai crains pour ma vie !
Une autre version de ce texte se trouve dans la Sîra (voir ici).
Coran 53 est un texte énigmatique; c'est le texte le plus ancien (1ère période mecquoise) et le plus archaïque qui parle de l'expérience initiale et initiatique du Prophète, son expérience théophanique (sur la notion de théophanie et sur d'autres théophanies, voir ici). Le Prophète parle en termes vagues de l'être qui lui est apparu. C'est un Redoutable, Fort et Doué de sagacité. Le terme "être" ne figure même pas dans le texte coranique. Ce n'est que plus tard qu'il l'identifiera à un ange et qu'il affirmera qu'il s'agit de l'ange Gabriel. Qui désigne le pronom "il" aux versets 7 et 8: le Prophète, l'Apparition, ou peut-être une fois l'un et une fois l'autre ?
L'expérience de la transcendance comme "redoutable" et "forte" est commune en histoire des religions. C'est le mysteriosum tremendum de Rudolf Otto (voir Rudolf OTTO, Le sacré, Payot, Paris, 1995).
Remarquer le caractère ironique du verset (1) (1) Par l'étoile quand elle s'abîme ! . Le Coran s'adresse ici à des astrolâtres qui adoraient les étoiles et notamment Sirius. Le Coran fait remarquer l'absurdité de cette adoration, puisque les étoiles déclinent et disparaissent
L'une des interprétations possibles des versets 7 et 9 est que le pronom "il" désigne la puissance mystérieuse apparue au Prophète, et que celle-ci plane en quelque sorte au-dessus du sol, et ne s'approche pas trop près (à deux jets d'arc) du Prophète, pour respecter sa transcendance et sa sacralité.
Le texte de Bukhârî est beaucoup plus tardif, et reflète les réflexions du Prophète sur l'événement inaugural de sa vocation. Il s'agit d'une lutte avec l'ange, dont Mohammed sort vaincu. C'est le schéma, que l'on trouve aussi dans la Bible, du refus initial de la prophétie, qui est ensuite imposée par Dieu. C'est le schème du refus (de la part du futur prophète) et de la contrainte divine:
Moïse (Exode 3.11): "Qui suis-je pour aller vers Pharaon et faire sortir d'Egypte les fils d'Israël ?"
Jérémie (Jérémie 1.6): "Je ne saurais parler, je suis trop jeune"
Mais ensuite Jérémie, lui aussi, se soumet (Jérémie 20.7):
"Tu m'as persuadé. Tu m'as vaincu".
La traduction par Luther est encore plus belle:
"Herr, Du hast mich überredet, und ich habe mich überreden lassen"
Le refus de Mohammed est le plus abrupt. Dieu s'impose véritablement à lui. Il ne sent aucune échappatoire possible:
Nul ne me protège contre Dieu !
Je ne trouverai pas de refuge en dehors de Lui,
Sauf en transmettant une communication et des messages de Dieu
(Coran 72.22-23)
Remarquer aussi que dans l'entourage proche de Mohammed il y avait un homme converti au christianisme, Waraqa ben Nawfal, qui donne un nom à l'apparition,c'est le Nâmûs (c-à-d le Nomos, la Loi) apparu également à Moïse, et qui le met ainsi dans la lignée biblique. Voir aussi ici.
Remarquer de même le rôle de Khadîdja bint Khuwaylid, qui fut la seule et unique épouse du Prophète jusqu'à sa mort en 619. Mohammed et Khadîdja s'étaient mariés vers 595.
Voir aussi ici