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Cours du 21 septembre 2011

 

Création au sens absolu, Dieu et la prédestination

L'islam entend "création" au sens absolu: production d'une chose à partir du néant, passage du non-être à l'être. Le Coran, déjà, insiste que quand bien même nous pensons créer., c'est en fait Dieu qui crée à travers nous. Dans la pro-création précisément,  nous ne sommes créateurs que par procuration. Et c'est Dieu qui nous a donné procuration.

" C'est Dieu qui vous a créés, vous et ce que vous avez fait " (Coran 37.96).

Ce verset coranique a causé beaucoup de difficultés d'interprétation et pose en fait le problème de la prédestination. S'il est facile de comprendre pourquoi le Coran clame que Dieu nous a créés, il est moins facile de comprendre comment Dieu crée "ce que nous avons fait", donc nos actes.

Historiquement, trois interprétations ont été proposées par la dogmatique musulmane: le kalâm

1) Les mu'tazilites (le mu'tazilisme a été la doctrine officielle de l'empire musulmane de 827 à 847) professent que Dieu a créé directement le monde au début des temps. Mais pour les actes humains, c'est l'homme lui-même qui les crée directement. Il sont créés en quelque  sorte indirectement par Dieu, puisque c'est Dieu qui a doté l'homme du pouvoir créer ses propres actes.

2) Les maturidites font une distinction de type aristotélicien entre la substance et l'accident. Dieu crée la substance de tous les actes, y compris ceux de l'homme, mais c'est l'homme qui est responsable de l'accident, c-à-d de la qualification morale de l'acte, qui en fera un acte bon ou un acte mauvais. Dieu, par exemple, a créé en nous la faculté de parler (c'est la substance), mais n'est pas engagé dans l'utilisation que nous faisons de la parole (l'accident).

3) Les ach'arites affirment la création directe par Dieu à la fois de la substance et de l'accident. Dieu, dit al-Ach'arî (873-935), crée les actes bons comme les actes mauvais. Mais cela ne signifie pas que le Créateur soit injuste ou impie. "Dieu ne commande pas le mal, mais l'interdit. Il n'approuve pas le mal, alors même qu'Il le veut " (in Maqâlât). Par une telle formulation, al-Ach'arî tente évidemment de concilier l'inconciliable: la toute-puissance divine et la responsabilité morale de l'homme dans ses actes. 

Le Coran affirme concomitamment les deux, sans proposer de doctrine qui fasse le pont entre les ceux affirmations: " Dieu égare qui Il veut et dirige qui Il veut " (16.93, cf 76.29-30), "Le bien qui t'arrive vient de Dieu, le mal qu'il t'arrive vient de toi " (4.79). Cf. Esaïe 45.7: "C'est Moi qui suis le Seigneur, il n'y en pas d'autre. Je forme la lumière et Je crée les ténèbres. Je fais le bonheur et Je crée le malheur. C'est Moi le Seigneur qui fais tout cela"

Al-Ach'arî s'est sorti de ce dilemme par la doctrine de l'acquisition (iktisâb).  Certes, c'est bien Dieu, et Dieu seul,  qui crée tous les actes, y compris les nôtres,  les bons comme les mauvais. Mais d'un autre côté , les actes que nous commettons sont également bien les nôtres,  parce que nous nous les sommes acquis. Mais nous ne faisons précisément que les acquérir sans les avoir créés. Cette acquisition fait que ces actes nous seront imputés juridiquement et que nous répondrons d'eux devant la Loi  ici-bas et de manière ultime au Jugement Dernier


Dieu fait irruption dans nos affaires

Le Dieu créateur de toutes choses est un Dieu qui fait irruption dans nos affaires humaines, quand il ne les dirige pas de l'intérieur.

Un mode particulier de la présence de Dieu: sa sakîna.

Dieu peut aussi manifester sa présence particulière par sa sakîna. Il l'a fait notamment pour protéger le Prophète lors de l'hégire en 622, quand le Prophète s'était réfugié dans une caverne, pour se soustraire à ses poursuivants.

Nous ne sommes pas maîtres de notre destin:

L'homme
n’est pas maître de son destin : car , à bien y regarder, Dieu dirige secrètement nos vies.

Jean-Claude VADET, dans Les idées morales de l’Islam dit fort justement 

En fait, pour qui cherche le fond des choses et ne s'arrête pas à une vue superficielle des événements, il est fort possible qu'en certains cas du moins il n'y ait, sur la scène de ce monde, d'autre action que de Dieu et de la toute-puissance dont sa nature, si élevée au-dessus de celle des hommes, est la détentrice. Dieu peut intervenir à son gré dans les actions des hommes ou se substituer à eux, sans que ces derniers sachent seulement qu'ils sont mus et gouvernés jusque dans les mouvements apparents de leur libre arbitre. "

Dieu en tant que Mystère suprême (ghayb)

Même si Dieu a gravé ses signes dans la Création pour que nous puissions le reconnaître, Dieu reste un mystère suprême

Dans le Coran, Dieu ressortit du ghayb (le Caché, l'Inconnaissable). De ce ghayb, de la nature profonde de Dieu, nul n'est conscient ici-bas, même pas les prophètes qui ne déchiffrent que ce que le Seigneur veut bien leur laisser voir des signes de sa toute-puissance.

 

Les 99 noms de Dieu

La doctrine des plus beaux noms de Dieu (asmâ' Allâh al-husnà) a pour fondement coranique Coran 7.180, 17.110 et 20.8.

L'idée de base est que si Dieu est fondamentalement inconnaissable en Son mystère, on peut néanmoins connaître quelques modalités de Son être et de Son agir. Ces modalités sont traditionnellement au nombre de 99. Ce chiffre est fondé sur un hadith ("dit") d'Abû Hurayra: "Certes Dieu a 99 noms, cent moins un. Quiconque les énumère entrera dans le Paradis; Il est le singulier (witr) qui aime qu'on énumère Ses noms un à un ".
Les listes diffèrent quant au contenu exact. Souvent le premier nom est Allâh ou bien  l' Unique (al-Wâhid)(chez Bayhaqî). Classiquement, les commentateurs insistent sur le fait que l'unicité de Dieu s'entend au sens qualitatif (Dieu est unique en son genre) et quantitatif (il n'y en a pas deux) et qu'il faut comprendre qu'Il est le préexistant absolu, dans ce sens qu'il est la cause première du monde de manière absolue.

Dieu est aussi appelé " le seul indispensable " (al-kâfî) selon une prière du Prophète rapportée par la Tradition:

Gloire soit à Dieu qui m'a donné à manger et à boire. Il est le seul indispensable. Il nous a donné un abri. Combien n'ont rien ni personne qui leur suffise, combien n'ont point d'abri !

L'attitude qui consiste à vivre Dieu comme un dans sa vie est appelée tawhîd.

Les noms de Dieu sont récités dans la liturgie soufie du dhikr.

Les grands thèmes de ces 99 noms sont: Dieu est existant, éternel, unique, parfait, vivant, tout-puissant, omniscient, créateur douverain, maître des destinées, juste, sûr, guide, bienfaisant, généreux, indulgent, ami des croyants.

Voici une liste classique des 99 noms de Dieu (pour d'autres listes voir Djîlânî et l'ouvrage de Daniel GIMARET, Les noms divins en Islam, coll. Patrimoines Islam, Cerf, Paris, 1988 ):

1) Allâh

2) ar-Rahmân (le Bienfaiteur)

3) ar-Rahîm (le Miséricordieux)

4) al-Mâlik (le Roi)

5) al-Quddûs (le Très-saint)

6) as-Salâm (la Paix)

7) al-Mu'min (celui dont les croyants n'ont rien à redouter)

8) al-Muhaymin (le Vigilant)

9) al-'Azîz (le Tout-Puissant, le Précieux)

10) al-Djabbâr (l'Imposant)

11) al-Mutakabbir (le Superbe)

12) al-Khâliq (le Créateur)

13) al-Bâri' (le Créateur)

14) al-Musawwir (le Formateur)

15) al-Ghaffâr (le Pardonneur)

16) al-Qahhâr (le Dominateur)

17) al-Wahhâb (Celui qui donne généreusement)

18) ar-Razzâq (le Dispensateur de tout bien)

19) al-Fattâh (le Victorieux, le Révélateur)

20) al-'Alîm (l'Omniscient)

21) al-Qâbid (Celui qui resserre)

22) al-Bâsit (Celui qui dilate)

23) al-Khâfid (Celui qui abaisse)

24) ar-Râfi' (Celui qui élève)

25) al-Mu'izz (Celui qui donne honneur et force)

26) al-Mudhill (Celui qui humilie)

27) as-Samî' (l'Omni-audient)

28) al-Basîr (Celui qui voit tout)

29) al-Hakam (le Juge)

30) al-'Adl (L'Equité)

31) an-Natîq (le Bienveillant et subtil)

32) al-Khabîr (le Sagace)

33) al-Halîm (le Doué de mansuétude)

34) al-'Am (l'Immense)

35) al-Ghafûr (le Très-Pardonneur)

36) ach-Chakûr (le Très-Reconnaissant = celui qui donne beaucoup en échange de peu)

37) al-'Alî (le Haut)

38) al-Kabîr (le Grand)

39) al-Hafîz (le Gardien vigilant)

40) al-Muqît (le Nourricier)

41) al-Hasîb (celui qui comptabilise et demande des comptes)

42) al-Djalîl (le Majestueux)

43) al-Karîm (le Noble)

44) ar-Raqîb (le gardien jaloux)

45) al-Mudjîb (l'Exauceur)

46) al-Wâsi' (l'Omniprésent)

47) al-Hakîm (le Sage)

48) al-Wadûd ( le Très-Aimant)

49) al-Madjîd (le Glorieux)

50) al-Bâ'ith (le Résurrecteur)

51) ach-Chahîd (le Témoin)

52) al-Haqq (le Réel-Vrai)

53) al-Wakîl (le Gérant à qui tout est confié)

54) al-Qawwî (le Fort)

55) al-Manîn (l'Inébranlable)

56) al-Walî (l'Ami et Protecteur)

57) al-Hamîd (le Digne de louanges)

58) al-Muhsî (le Dénombrant)

59) al-Mubdi' (le Créateur absolu)

60) al-Mu'îd (Celui qui ramène à Lui l'humanité)

61) al-Muh (le Vivificateur, Créateur de Vie)

62) al-Mumît (celui qui donne la mort)

63) al-Hayy (le Vivant)

64) al-Qayyûm (le Subsistant)

65) al-Wâjid (l'Opulent)

66) al-Mâjid (le Noble)

67) al-Wâhid (l'Un)

68) as-Samad (l'Indivisible)

69) al-Qâdir (le Puissant)

70) al-Muqtadir (le Tout-puissant)

71) al-Muqaddim (Celui qui approche)

72) al-Mu'akhkhir (Celui qui éloigne)

73) al-Awwal (le Premier)

74) al-Âkhir (le Dernier)

75) az-Zâhir (le Manifeste)

76) al-Bâtin (le Caché)

77) al-Wâlî (le Régnant)

78) al-Muta'âlî (le Sublime)

79) al-Birr (Celui qui donne la piété)

80) at-Tawwâb (Celui qui revient constamment à Ses serviteurs)

81) al-Muntaqim (le Vengeur)

82) al-'Afuww (Celui qui efface les fautes)

83) ar-Ra'ûf (le Compatissant)

84) Mâlik al-Mulk (le Maître du Royaume)

85) Dhû l-Djalâl wa l-Akrâm ( Seigneur de Majesté et de Générosité)

86) al-Muqsit (l'Equitable)

87) al-Djâmi' (le Rassembleur)

88) al-Ghânî (le Riche)

89) al-Mughnî (l'Enrichissant)

90) al-Mâni' (le Défenseur tutélaire)

91) ad-Dârr (Celui qui afflige)

92) an-Nâfi' (Celui qui donne des faveurs)

93) an-Nûr (la Lumière)

94) al-Hâdî (le Guide)

95) al-Badî' (le Créateur-Inventeur)

96) al-Bâqî (le Pérenne)

97) al-Wârith (l'Héritier)

98) ar-Rachîd (Celui qui conduit sur le chemin du bien)

99) as-Sabûr (le Très-Patient)

 

A la recherche du nom "majeur" ou "suprême"

Selon certains ce nom n'est connu que de Dieu lui-même, selon d'autres il fait partie de la liste des noms connus, mais il est difficile de savoir lequel est le bon. Selon d'autres encore, la connaissance du nom suprême est réservée à quelques privilégiés: prophètes ou saints. Selon d'autres, ce nom est tout simplement Allâh, parce que

1) il est le premier de la liste

2) le premier mot de la prière et de l'appel à la prière (Allâhu akbar !)

3) Allâh est le nom propre de Dieu, alors que tous les autres  (qâdir, 'âlim, rahîm) peuvent se dire d'autres que Lui (à part ar-Rahmân).

4) le nom Allâh ( ألله) a une particularité: même si on en retranche successivement toutes ses lettres, ce qui en reste continue de désigner Dieu. Si on enlève le hamza initial, on lit li-llâh ( لله ) , ce qui signifie "pour Dieu". Si on en retranche encore il reste lahu (  له ) " à Lui" , comme dans lahu maqâlîdu s-samawâti wa l-ardi ( 42.12). Si on retranche en plus le second lâm il reste hu, (ه) c-à-d  هو (Lui) qui désigne Dieu dans la mystique musulmane, comme dans qul huwa Llâhu ahad  (112.1).

 

Les noms de Dieu chez Bayhaqî (994-1066)

Al-Bayhaqî est né en 994 à Nishâpûr. Il était chaféite et acharite.

Son oeuvre majeure est le Kitâb al-asmâ' wa s-sifât ("Le Livre des noms et des attributs de Dieu").

Il y donne une liste des noms de Dieu tels qu'il les trouve dans le Coran et la Sunna.

Il se fonde lui aussi sur le hadîth d'Abû Hurayra: "Certes Dieu a 99 noms, cent moins un; quiconque les énumère entrera dans le Paradis; il est le Singulier (witr), qui aime qu'on énumère ses noms un à un "

Bayhaqî poursuit: 

"Ces noms se trouvent dans le Livre de Dieu ou dans les hadiths de l'Envoyé de Dieu, textuellement ou implicitement" .

Dieu l'Unique (hid)

(...)  Dieu dit (Coran 38.65); "Dis je ne suis qu'un avertisseur. Il n'y a de divinité que Dieu l'Unique, le Tout-Puissant ".(....) Abû Nasr b. Qatâda nous a transmis de Muhammad 'Abd Allâh b. Ahmad b. Sa'd al-Bazzâz al-Hâfiz, d'Abû 'Abd Allâh Muhammad b. Ibrâhîm al-Bûshakhdjî, de Yûsuf ben 'Addî, de Ghannâm b. 'Alî, de Hishâm b. Urwa, de son père, de 'Â'icha: "Le Prophète (...) a dit: " Il n' y a de dieu que Dieu l'Unique, le Tout-Puissant, Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui se trouve entre eux. Il est l'Exalté, le Pardonneur"

(...) Al-Halîmî comprend ainsi la signification de  l'unité de Dieu:

Première hypothèse [sens quantitatif]: on peut comprendre qu'il n'y a rien d'éternel en dehors de Lui, ni aucune divinité en dehors de Lui, il s'ensuit qu'Il est unique parce qu'Il n'a pas de compagnon qui Lui confèrerait le statut de la pluralité et le priverait ainsi de Son caractère unique.

Deuxième hypothèse [sens qualitatif]: Il est unique que son essence n'admet pas la multiplicité [Il est unique en son genre ], ce qui indique qu'Il n'a pas de substance ni d'accident [au sens aristotélicien du terme]

Troisième hypothèse: être unique signifie qu'il est le pré-existant absolu (qadîm), en ce sens qu' Il est lié aux origines de manière absolue et antérieur à tout ce qui existe.

Dieu le Singulier (witr, l'impair, celui avec qui on ne peut pas former de paire) parce que s'il n'y a rien de pré-existant en dehors de Lui, Dieu ou non-Dieu, il ne convient à aucune des choses existantes de lui être conjointe et adorée conjointement avec lui, et de former avec lui unr paire. Bien au contraire, il est l'unique, le singulier (....)

Dieu le Seul Indispensable (al-kâfî): parce que, s'il n'a pas d'associé dans son caractère divin, il s'ensuit que tout ce qui est indispensable est en Lui, et donc qu'à Lui seul l'adoration est due, que vers Lui seul doit aller le désir, et que de Lui seul vient l'espoir. Le Livre y fait allusion : "Dieu ne suffit-Il point à son serviteur ?" (Coran 39.36). Nous en avons parlé dans la tradition des 99 noms. Abû 'Abd Allâh al-Hâfiz nous a transmis d'Anas:  " L'Envoyé de Dieu se couchait sur sa natte en disant: "Gloire à Dieu qui m'a donné à manger et à boire; il nous suffit et il nous a donné un abri. Combien n'ont rien ni personne qui leur suffise, combien n'ont point d'abri"

 

Voir aussi le Dhikr

Pour aller plus loin:

Daniel GIMARET, Les noms divins en Islam, coll. Patrimoines Islam, Cerf, Paris, 1988