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Cours du 28 septembre 2011


Le monothéisme comme cheminement intérieur

Le hanbalisme propose le cheminement suivant. Le point de départ du tawhîd, c'est le tasdîq, acte de foi dans le message divin transmis par le Prophète. Puis, c'est le tafwîd, acte de confiance en Dieu: on s'en remet uniquement à Lui pour l'intelligence du ghayb, le Mystère de touches choses. De là, en usûl al-fiqh, le taqlîd ou esprit de fidélité à la Tradition, et en éthique, le taslîm, l'abandon total à la volonté de Dieu. Le but final est le tawhîd, non seulement reconnaissance de l'unité de Dieu, mais effort de tout l'être pour réaliser l'unité de son propre moi autour de Dieu, dans chacun de des actes, comme dans chacune de ses pensées, et porter ainsi un témoignage de l'unicité divine.

    Ghazâlî (m. en 1111) définit ainsi le tawhîd, (Ihyâ, livre 4, ch.5 , p. 2494):

Le tawhîd, comporte quatre degrés. Le premier degré , c'est que l'homme dise par la langue "il n'y a pas de divinité si ce n'est Dieu"...  Le deuxième degré, c'est que le coeur ajoute foi à la formule proférée oralement... Le troisième degré, c'est de contempler par le moyen du dévoilement mystique, par l'intermédiaire de la lumière de la Vérité.. .Le quatrième degré, c'est de ne voir dans l'existence rien d'autre que le Dieu unique. L'on ne voit plus que l'Unique, on ne voit plus son propre moi."

Ce qui menace le tawhîd, c'est le chirk c-à-d,  selon la définition unanime de la théologie islamique, le fait d'associer à Dieu quelque chose ou quelqu'un d'autre que Lui: "L'associationisme, c'est de mettre sur le même pied d'égalité que Dieu et d'adorer avec Lui quelque chose ou quelqu'un d'autre que Lui: une pierre, un arbre, un soleil, une lune, un prophète, un cheikh, une étoile, un ange..." (Dhahabî, Kitâb al-kabâ'ir, 14ème s.). C'est ce que Dhahabî et d'autres appellent ach-chirk al-akbar, l'associationnisme majeur, par opposition, à l'associationnisme mineur (ach-chirk al-asghar), et  au riyâ' (agir par pure ostentation) et : "accomplir un acte prescrit par Dieu et son Envoyé en désirant autre chose que le visage de Dieu " (selon un hadîth rapporté par Abû Hurayra), autrement dit, ne pas diriger son flux mental entièrement sur Dieu, non seulement dans la prière, mais dans tout acte prescrit par Dieu.

Dans le cas contraire il n'y a pas rétribution de l'acte de la part de Dieu (thawâb), ou plus exactement Dieu annule (abtala) la rétribution des actes qui, extérieurement destinés à Lui, sont en fait accomplis dans un autre dessein. Cf ce hadith d'Abû Hurayra: "Plus d'un jeûneur n'a rien de son jeûne, sinon la faim et la soif...".


Le plus grand péché de l'homme, l'associationnisme (shirk)

Un exemple de définition: la parabole du mauvais jardinier (v. 32-44) de la sourate 18

Parabole se dit en arabe mathal, ce qui correspond à l'hébreu mashal.

La parabole des jardins (encore appelée parabole du mauvais jardinier) dont le propriétaire est fier et qui ensuite sont détruits est présente dès la première période mecquoise: 68.17-32.

Il y a de nombreuses paraboles dans le Coran dont la plupart sont très brèves.

En 43.56: parabole des Egyptiens et du Pharaon qui se noient en poursuivant les juifs. Au verset suivant (43.57) il est dit que Jésus est un exemple (mathal).

2.264: l'Homme est à la ressemblance d'un rocher couvert de terre

16.112-113: parabole de la Cité Perverse

36.13-32: parabole des citadins impies

16.75-76: parabole du serviteur

22.73: parabole des mouches

29.41: parabole de l'araignée

36.78-82: parabole des ossements

 

Texte de la parabole du mauvais jardinier (trad. Denise Masson)

32  Propose leur la parabole de deux hommes: nous avions donné, à l'un d'entre eux, deux jardins de vignes que nous avions ensuite entourés de palmier et séparés par des champs cultivés. 

33. Les deux jardins donnaient leur récolte, sans que rien n'y manquât et nous avions fait jaillir un ruisseau entre les deux jardins

34. Un des hommes récolta des fruits; il dit à son compagnon avec lequel il conversait: « Je suis plus riche que toi et plus puissant aussi, grâce à mon clan ».

35. Coupable envers lui-même, il entra dans son jardin et il dit: « Je ne pense pas que ceci périsse jamais;

36. je ne pense pas que l'Heure se dresse; et si je suis ramené vers mon Seigneur, je ne trouverai rien en échange, qui soit préférable à ce jardin »

37. Son compagnon avec qui il conversait lui dit: « Serais-tu ingrat envers celui qui t'a créé de poussière, puis d'une goutte de sperme, et qui, ensuite, t'a donné forme humaine ?

 38. Mais lui, il est Dieu, mon Seigneur ! Je n'associe personne à mon Seigneur.

 39. Si tu avais dit en entrant dans ton jardin: « Telle est la volonté de Dieu ! Il n'y a de puissance qu'en Dieu !... ». Si tu me vois moins pourvu que toi en biens et en enfants,

40. mon Seigneur me donnera peut-être bientôt quelque chose de meilleur que ton jardin contre lequel il enverra les foudres du ciel. Ton jardin deviendra alors un sol dénudé,

 41. ou bien encore, l'eau qui l'arrose disparaîtra dans la terre et tu ne pourras plus la retrouver ». 

42. Sa récolte fut ravagée et le lendemain matin, il se tordait les mains en songeant aux dépenses qu'il avait faites: les treillis qui soutenaient les vignes étaient détruits. Il dit: « Malheur à moi ! Je n'aurais jamais dû associer personne à mon Seigneur ! » . 

43. Aucun parti ne le secourut contre Dieu et il ne fut pas secouru.

 44. La protection, en pareil cas, ne dépend que de Dieu, la Vérité: c'est lui qui est le meilleur pour récompenser et pour donner une fin à toute chose.

 

Dans cette parabole , la pensée avance  par une série d'oppositions, certaines assez subtiles.

A. Il s'agit de deux hommes dont l'un a deux vignes.

B. L'un des hommes (v. 34-36) tient un discours où il se vante de sa richesse et où il NIE la doctrine de la résurrection et de la sanction dernière des actes par Dieu, et le caractère périssable des choses de ce monde.

A ce discours s'oppose en un crescendo fort subtil celui de son interlocuteur.

a) discours au degré 2: c'est la pure confession de foi du verset 38

b) discours au degré 1: c'est aussi une confession de foi (cette fois envers le Dieu créateur), mais teinté d'un reproche (v. 37)

     c) discours au degré 0: c'est la confession de foi négative des versets 39 et 40 où le bon jardinier suggère à son vis-à-vis ce qu'il aurait fallu dire.

Le châtiment immédiat en ce monde est décrit aux v. 41 à 44. L'opposé, la récompense immédiate du jardinier reconnaissant, reste IMPLICITE. De même que le corollaire, le châtiment différé de l'ingrat (qui est suggéré brièvement dans le passage précédent et qui sera abondamment décrit dans la parabole suivante).

La parabole du mauvais jardinier est l'une des plus longues du Coran. Elle traite du thème du châtiment immédiat de l'impie, défini comme celui qui ne réfère pas l'origine de sa richesse à Dieu (" qui est ingrat ", v. 34), celui qui ne voit pas la deuxième dimension de son existence, celle de la transcendance.

Ce qui est vilipendé ici, c'est l'aplatissement de l'existence au seul horizon humain. L'enjeu symbolique dans le Coran, c'est le dépassement d'un horizon borné, vers un dépassement perpétuel de tout ce qu'offre la Vie immédiate (arabe dunyâ " la vie de ce bas-monde ").

L'incroyance, c'est aussi mettre l'homme (" le clan ", v. 34), là où il faudrait mettre Dieu, c'est refuser de voir la dimension transcendante de l'existence humaine.

v. 35 " coupable envers lui-même " ou " injuste envers lui-même ", dans la mesure où le mauvais jardinier attire sur lui le châtiment divin, ici le châtiment immédiat, donc il se fait du tort à lui-même.

V. 36  " je ne pense pas que …. " est le discours que le Coran met dans la bouche des incroyants et des polythéistes confondus. Ils pensent en effet que les biens terrestres sont éternels. C'est un discours ambigu, puisqu'il admet l'existence d'un Seigneur, mais non celui de la dimension eschatologique de l'existence. 

   v. 37: la polémique porte comme souvent sur la procréation et sur le lien que le Coran établit entre la première création et la résurrection à la fin des temps. Cf. 32.7-9, 23.12-14, 22.5, 40.67, 35.11, 75.35-40, 55.45, 86.5-7, 82.7, 87.2. C'est Dieu qui nous a créés à travers la procréation, nous ne sommes que des instruments entre les mains de Dieu. C'est Dieu qui est créateur y compris dans la procréation. La procréation est une création par procuration, et c'est Dieu qui nous donne cette procuration.

 v. 38: confession de foi qui insiste sur l'unité de Dieu. Associer quelqu'un à Dieu dans le processus créateur, ne pas croire en la résurrection, ne pas voir Dieu à l'oeuvre dans la vie est donc considéré implicitement comme de l'associationnisme, shirk, c-à-d du polythéisme. La foi a contrario, c'est donc ne voir personne d'autre à l'oeuvre dans la création que Dieu (sur la notion de Dieu créateur dans l'islam voir ici et ici). 

v. 40  " Quelque chose de meilleur " en ce monde ou dans l'autre monde, est probablement une allusion au Jardin par excellence, c-à-d le Paradis. Il y a donc opposition entre le Jardin pérenne et le jardin de ce monde qui peut être, de par la volonté de Dieu, un bien éphémère. 

v. 42: " Je n'aurai dû associer personne à mon Seigneur ". L'attitude du mauvais jardinier est donc considérée comme de l'associationnisme. Associer mentalement l'oeuvre de l'homme à l'oeuvre de Dieu là où il ne convient de voir que l'oeuvre de Dieu, telle est donc la définition implicite du polythéisme dans le Coran. Être monothéiste, c'est par voie de conséquence voir Dieu et Dieu seul à l'oeuvre dans la vie et dans l'histoire.  


L'Homme, lieu-tenant de Dieu sur terre: ni notre vie, ni nos biens, ni notre destin, ni notre planète ne nous appartiennent

Il y a un verset coranique d'une très haute portée éthique pour notre époque. Il s'agit de Coran 2.30 où Dieu institue Adam, c'est-à-dire l'Homme comme son lieutenant (khalîfa) sur terre. Ce verset a d'énormes implications pour nous.

L’homme, dit le Coran, est calife de Dieu sur terre. Donc, l’homme n’est pas Dieu, et il convient qu’il reste à sa place modeste de calife, c’est à dire étymologiquement de lieu-tenant de Dieu sur terre.

D’abord sa vie ne lui appartient pas. Elle appartient à Dieu. Ses biens ne lui appartiennent pas non plus, ils lui sont prêtés par son Créateur pour la durée de la vie et il devra rendre compte de l’usage qu’il en aura fait au Jugement Dernier. Ses biens veut dire tous ses biens, y compris les biens financiers.

Faut-il le préciser ? La planète ne lui appartient pas non plus, et l’homme devra rendre compte de sa gestion à son mandant, donc à Dieu.

Dieu est notre créateur et nous sommes sa créature.

En tant que notre créateur, Il nous suffit, et Il est notre seul indispensable. Dieu ne suffit-Il point à son serviteur ?" (Coran 39.36).

C’est ce que dit aussi un hadîth rapporté dans la Sunna ( 3 ), selon lequel le Prophète, invoquait ainsi Dieu dans la prière qu’il lui adressait à chaque soir avant de se coucher : Gloire soit à Dieu qui m'a donné à manger et à boire. Il est le seul indispensable. Il nous a donné un abri. Combien n'ont rien ni personne qui leur suffise, combien n'ont point d'abri !

Tout ce qui est indispensable est en lui, renchérit Bayhaqî (mort en 1066) (4) , à lui seul l'adoration est due, vers lui seul doit aller le désir, de lui seul vient l'espoir.

Notre vie ne nous appartient donc pas, mais appartient à Dieu.


L'HOMME AUSSI EST UN: LA PHILOSOPHIE DE LA MEDECINE D'AVICENNE (980-1037)

Si la médecine est l'un des plus beaux fleurons de la science islamique, c'est qu'elle s'enracine dans une vision spécifique des rapports de l'homme et de l'univers, la vision islamique du monde.

D'après le Coran (2.30), Dieu a fait de l'homme son calife, c'est-à-dire son mandataire ou son gérant sur terre. Ni la nature, ni son propre corps ne lui appartiennent. Ils appartiennent à Dieu, et nous n'en sommes pour ainsi dire que les gestionnaires. Nous aurons à rendre compte de cette gestion devant Dieu au jour du Jugement Dernier. L'homme est donc responsable des équilibres naturels, dans le cosmos et en lui-même, qu'il doit rendre plus dignes de leur Créateur. Que l'on pense un instant aux merveilleux jardins arabes d'Andalousie, aux canaux d'irrigation que les architectes construisirent partout dans le monde musulman, à l'architecture islamique si harmonieusement insérée dans son cadre naturel. Il y a peu d'aménagements dans le monde qui soient aussi respectueux du milieu et de l'environnement.

La création tout entière, le ciel étoile, la terre des hommes et le corps humain constituent une image symbolique ou un signe de Dieu, une théophanie, c'est-à-dire la manifestation pour nous d'un Dieu que nul ne peut voir tel qu'il est en soi, mais dont l'homme ne peut précisément se faire une idée qu'à travers les signes et les traces de son oeuvre dans le cosmo

La clé de voûte de la pensée islamique est l'idée d'Unification (tawhîd) (17). Non seus. Et le Coran est une invitation constante à cette méditation.lement elle proclame inlassablement l'unité et l'unicité de Dieu, mais aussi celle de tout organisme vivant par interdépendance des parties et du tout, unité de l'être vivant avec son milieu et l'ensemble du flux cosmique, unité de l'âme et du corps. La médecine arabo-islamique est donc psychosomatique par définition. On saisira mieux ainsi l'attention portée au climat, aux régimes alimentaires, à la manière de vivre et à l'environnement dans la préservation de la santé, et ceci d'autant plus que la religion islamique impose déjà à ses fidèles une certaine hygiène de vie: ressourcement quotidien en Dieu par la prière, qui est aussi une invitation à "déconnecter" par rapport à la pression du quotidien, ablutions quotidiennes, jeûnes réguliers, encouragement à l'expression de la sexualité, mais à l'intérieur de liens matrimoniaux licites.

L'homme est un microcosme en qui la création retourne à sa source. La médecine n'est donc pas une science en soi, isolée, elle n'est pour Avicenne que le dernier maillon dans le cycle de la cosmologie, qu'étudie la philosophie. La philosophie (18) étudie en effet les diverses émanations par lesquelles Dieu a créé l'univers visible et invisible, avec l'homme dont la constitution résume pour ainsi dire le cosmos, puisqu'il contient en lui-même la nature des minéraux, des plantes et des animaux, mais aussi potentiellement la nature des Anges.

C'est aussi dans l'homme que les éléments de la nature (feu, air, eau, terre) (19) sont le plus harmonieusement mélangés et que toutes les potentialités de l'Ame sont réunies.

L'être humain est un : "Le corps et l'âme forment un seul ensemble, un seul être' (Canon, livre 1).

Etudier l'homme en médecine, c'est donc étudier l'expression de la Vie, voulue par Dieu dans le monde matériel. Ce n'est pas étudier une matière inerte, à laquelle la vie aurait été surajoutée. Car tout l'homme est la manifestation d'un principe de vie agissant dans l'univers entier. Ce principe de vie s'origine ultimement dans la volonté créatrice de Dieu qui agit par la médiation des formes. "La vie, toute perfection et tout bien auxquels les créatures sont destinées, ne viennent de rien d'autre que de la Première et Sublime Vérité, la source de tout bien et de l'impétueux désir qui en émane" (Canon, livre 1).

Le corps humain est avant tout force vitale. Cette force vitale s'exprime dans la modulation des humeurs qui donnent naissance aux divers tempéraments. Le Canon accorde une grande place théorique et pratique à cette question, puisque l'évolution de toute maladie dépend aussi du tempérament, qui est pour ainsi dire à la jonction de la psyché et du corps.

Et quand Ibn Sînâ parle de psyché, il n'entend pas seulement par là l'expression de l'esprit au niveau intellectuel et cognitif, mais bien l'expression des émotions au niveau du corps, l'incarnation des émotions et des désirs au niveau du corps et des organes.

De même qu'il y a quatre éléments dans la nature, il y a quatre tempéraments (mizâj) fondamentaux (20) : tempérament chaud, tempérament froid, tempérament humide, tempérament sec, lesquels se combinant entre eux donnent naissance à quatre types supplémentaires : tempérament chaud et sec, tempérament chaud et humide, tempérament froid et sec, tempérament froid et humide.

Chez l'homme en bonne santé, le tempérament est dit équilibré, c'est-à-dire que les contraires sont en équilibre. Ibn Sînâ, comme les autres médecins musulmans, les médecins grecs de l'Antiquité tels Alcméon de Crotone (-Vlème siècle) et les médecins ayurvédiques considèrent toute maladie comme étant due à la destruction de cet équilibre, à cause de l'excès de l'une ou l'autre qualité, pour une raison ou pour une autre. Le traitement de la maladie est en conséquence une tentative de rééquilibrer l'harmonie entre les contraires.

Les organes expriment la force vitale de l'homme. Mais il ne s'agit pas de considérer chaque organe isolément. De même que chaque homme est au centre d'un système relationnel qui le lie aux autres et au cosmos, de même chaque organe se projette dans le corps entier.

Ainsi le coeur n'est pas seulement pour Ibn Sînâ l'organe circonscrit et décrit par l'anatomie. Mais il fait partie de cette force vitale installée dans le corps, avec tout son système : les vaisseaux, le sang, le système nerveux autonome avec l'hypothalamus dont le fonctionnement s'étend au corps tout entier. Le coeur se projette donc dans le corps tout entier et il n'est lui-même rien d'autre que la projection de la force vitale dans le corps.

Dans la médecine d'ibn Sînâ, le souffle (arabe : rûh ; grec : pneuma) joue également un rôle central, car il est le lien entre le monde physique, psychique et spirituel. En principe, il n'y a qu'un seul souffle, tout comme à l'origine il n'y avait qu'une seule "cellule" (littéralement"membre" qui anticipe ici l'idée de "cellule") du corps, à partir duquel les autres "cellules" ont été formés. "Il n'y a qu'un seul souffle qui rend compte de l'origine des autres ; et ce souffle, selon les plus grands philosophes naît dans le coeur, passe de là dans les principaux centres du corps, restant en eux assez longtemps pour leur permettre de lui communiquer leurs principales propriétés en matière de tempérament" (Canon, livre 1).

C'est ce souffle principal associé au coeur qui est identifié avec la force de vie elle-même et qui est comme un lien entre les aspects corporels, subtils et spirituels de l'homme. C'est le souffle de l'homme qui rend possible l'équilibre parfait des éléments dans l'homme, condition nécessaire pour l'épanouissement de l'homme, cet épanouissement de l'homme dans ses multiples dimensions et potentialités qui est pour Ibn Sînâ le but ultime de la médecine comme sagesse et art de vivre.

 

APPENDICE: LA MEDECINE ARABO-ISLAMIQUE  -   LA VIE D'AVICENNE

La civilisation islamique classique a été - c'est un cas rare dans l'histoire de l'humanité - en contact avec toutes les grandes civilisations de l'époque : Europe et Afrique (à l'ouest et au sud-ouest), la civilisation indienne (dans ses variantes hindoue et bouddhiste) et la civilisation chinoise (à l'est).

Son centre de gravité s'est établi dans une aire, le croissant fertile du Proche-Orient, dont la culture est l'une des plus anciennes du monde. Il ne faut donc point s'étonner que la civilisation islamique ait été le creuset où se sont fondus en une synthèse créative, novatrice et dynamique les acquis du savoir gréco-latin, hellénistique, égyptien, sabéen, hébraïque, babylonien, iranien, indien et chinois. Il ne saurait être question, dans ce bref article, de retracer l'histoire de ces cheminements souvent fort complexes. Un seul exemple nous suffira à illustrer ce fait : c'est l'exemple de l'Inde.(1)

On commença à traduire des livres de médecine indiens à l'époque de Hârûn al-Rashîd (fin du VHIème siècle de l'ère chrétienne). L'encyclopédiste Ibn an-Nadîm (mort en 987) nous livre même le nom de trois traducteurs : Mankah, Ibn Dahn et 'Abdallah ibn 'AIî. Ainsi nous est parvenue la traduction, par Mankah, d'un texte, fort remanié il est vrai, du médecin indien Cânakya. Ce livre est appelé en arabe Kitâb as-sumûm wa t-tiryâq ("Livre des poisons et des antidotes") et comporte des interpolations en provenance du Kautilîya-arthaçâstra. Le Firdaws al-hikma ("Paradis de la Sagesse") de 'AIî ibn Rabbân at-Tabarî (première moitié du IXème siècle) comporte des citations de la Ashtângahridayasamhitâ de Vâgbhata (+VIIème siècle) et du Nidâna de Madhava (+VIIème siècle), mais aussi de recueils d'auteurs plus anciens, notamment de Suçruta (-Vlème siècle) et Caraka (+IIème siècle). (2)

Il y a même un ouvrage de yoga, le Siddhayoga de  Vrinda qui est cité à trente-six (!) reprises dans l'immense encyclopédie médicale de Râzî (860-923) le Kitâb al-hâwî qui a fait autorité en Europe depuis le Moyen-Age jusqu'au XIXème siècle sous le titre de Continens de Rhazès. Cet de de ouvrage est cité sous le titre arabisé de Sindhisâr. Mais il est EJ°1E traduit correctement par les encyclopédistes Ibn an-Nadîm et Ibn Abî Uçaybî'a (mort en 1270) par Safwat an-nujh ("Le decine succès parfait'). La connaissance de cet ouvrage de la littérature yoguique de l'Inde s'explique par l'intérêt que portaient les médecins arabes aux mécanismes physiques subtils, aux relations entre le microcosme et le macrocosme et aux questions d'hygiène corporelle.

Enfin il est maintenant établi que des livres de la médecine ayur-védique étaient accessibles en arabe au XVIIème siècle.

 

LA MEDECINE ARABO-ISLAMIQUE

La médecine qui s'est développée dans les pays de culture islamique a été à la pointe du progrès de cette discipline durant de nombreux siècles. Comme on le verra plus loin, le décalage chronologique entre les découvertes des médecins arabo-musulmans et les (re)découvertes occidentales est considérable : il n'est pas rare qu'il atteigne cinq à huit siècles ! De ce fait, la médecine des pays de culture islamique a formé la base du savoir médical en Europe jusqu'aux découvertes de Pasteur.

Cette médecine nous l'appellerons par commodité médecine islamique, ou arabo-islamique, bien que nombre de médecins non-musulmans, chrétiens, juifs ou zoroastriens, y aient aussi apporté leur contribution et que beaucoup n'étaient pas de souche arabe, mais iranienne (notamment Râzî et Ibn Sînâ / Avicenne). Néanmoins tous exerçaient leur art dans une atmosphère marquée par les grands principes de l'islam (réflexions sur les fins dernières de toute science et prise en considération de l'homme dans sa dimension incarnée psychosomatique) et tous, quelle que soit leur langue maternelle, s'exprimaient en arabe qui était le latin de l'Orient.

Nul ne dispute plus aux médecins arabo-musulmans nombre d'avancées majeures en médecine :

Ibn Rushd (ou Averroès, Cordoue 1126 - Marrakech 1198) remarqua que certaines maladies infectieuses conféraient l'immunité à vie. D'ailleurs la vaccination antivariolique par une incision permettant l'absorption d'un peu de pus d'une pustule faiblement virulente était pratiquée par lesArabes dix siècles avant l'Anglais Edward Jenner (1749-1823).

Le chirurgien andalou Abu 1-Qâsim (mort en 1013) fut le premier à décrire l'hémophilie et sept cents ans avant Percival Pott (1714-1788) poursuivit des recherches sur la tuberculose des vertèbres, connue actuellement sous le nom de mal de Pott.

L'ophtalmologie arabo-islamique avec Hunayn ibn Ishâq (mort vers 877), 'Ali ibn 'Isa et Abu I-Qâsim 'Ammâr ibn 'Alî al-Mawçilî (qui exerçait au Caire au début du llème siècle) fut insurpassée dans le monde jusqu'au 18ème siècle. Pour ne citer qu'un seul exemple, al-Mawçilî réussissait à Bagdad en l'an 1000 à guérir une cataracte par succion avec une aiguille creuse. L'opération ne sera réussie en Occident qu'en 1846 par Blanchet.

Ibn an-Nafîs (1210-1288) découvrit la petite circulation du sang 300 ans avant Michel Servet (1509-1553) et quatre cents ans avant William Harvey (1578-1657).

Mentionnons aussi que l'anesthésie était utilisée pour les opérations chirurgicales. On se servait de la mandragore. Et à part la mandragore, et sous l'influence indienne, on utilisa le banj, qui équivaut au haschisch (cannabis sativa), bien que certains auteurs l'aient identifié à la jusquiame. On l'administrait en infusion ou en imbibant des éponges qu'on introduisait dans la bouche ou dans les narines des patients. Le sommeil était provoqué par imprégnation directe de la muqueuse à travers laquelle les alcaloïdes passaient directement dans le sang. (3)

Les Arabes avaient aussi une connaissance empirique de l'effet antibiotique de certaines substances : ils prélevaient des moisissures de pénicilline et d'aspergille sur les harnachements de leurs ânes et de leurs buffles et en faisaient une pommade qu'ils appliquaient sur la plaie infectée. Et pour soigner une laryngite rebelle, ils soufflaient dans la gorge du malade de la poussière verdâtre de pain moisi.

Il faut aussi porter au crédit de la médecine arabo-islamique l'attention fort scrupuleuse portée aux symptômes du patient et à son cadre de vie, et l'importance acordée par les médecins à toutes les questions de climat, d'environnement, d'hygiène de vie, de diététique et de régime alimentaire. Ainsi les plus hautes sommités médicales ne dédaignaient-elles pas d'écrire des ouvrages de cuisine : "Chaque fois que tu peux soigner grâce à un simple régime alimentaire, ne prescris pas de médicament. Et chaque fois qu'un remède banal peut suffire, n'en prescrit pas de complexe" (Râzî).

L'examen pré-opératoire était mené avec beaucoup de minutie (examen du teint, de l'état de la peau, des cheveux, de la qualité de la respiration) pour se faire une idée de la personnalité du malade, de sa constitution et de son tempérament. Il était complété par un interrogatoire non moins rigoureux :

"Informe-toi de la disposition d'esprit du patient. Pose lui un certain nombre de question et efforce-toi de découvrir si ses réponses sont raisonnables ou non. Ordonne-lui de faire un certain nombre de choses pour contrôler ses facultés intellectuelles et sa docilité (ainsi sauras-tu si tu peux compter sur une exacte observation de tes prescriptions). Efforce-toi de connaître la nature de son caractère, de savoir ce qui le stimule et ce qui le déprime...

Parle-lui à voix basse d'une certaine distance pour vérifier la qualité de son audition ; demande lui de regarder successivement des objets proches et éloignés afin de vérifier l'état de sa vision ; examine sa langue. Contrôle sa force en lui faisant soulever des poids, saisir des objets et les comprimer. Fais-le aller et venir pour observer ses mouvements. Etudie soigneusement son pouls pour connaître l'état de son coeur. Demande-lui de s'allonger sur le dos, bras et jambes raidis, pour vérifier l'état de ses muscles. Palpe le foie, et les reins et procède à un examen rigoureux de l'urine et des selles" ('Alî ibn Ridwân, du Caire, mort vers 1067). (4)

LA VIE D'AVICENNE

Abu 'Alî al-Husayn ibn 'Abdallah ibn Sînâ, connu en Occident sous le nom d'Avicenne, est l'une des étoiles les plus brillantes qui ait resplendi au firmament pourtant richement constellé de la science du Moyen-Age musulman, avec Kindî (796-873), Fârâbî (872-950), Râzî (860-923), Bîrûnî (973-1048) et Ibn Rushd (ou Averroès, 1126-1198).

Homme au savoir encyclopédique et à la puissance créatrice titanesque, Ibn Sînâ fut tout à la fois un éminent médecin, théoricien, clinicien et praticien, un philosophe, tenant de la "philosophie orientale" (5), au rayonnement sans pareil, et un savant qui a illustré la chimie, la physique, l'astronomie et les mathématiques. Il est l'auteur d'une oeuvre

monumentale, quatre cent cinquante-six ouvrages en arabe, vingt-trois en persan, dont environ deux cent soixante-quatre nous sont parvenus. La liste qu'en donne M. M. Anawati (6) est impressionante. Elle touche à tous les domaines du savoir : philosophie générale (vingt-deux ouvrages), logique (vingt-et-un), linguistique (trois), poésie (un), physique (vingt-six), psychologie (dix-neuf), médecine (quarante-trois), chimie-magie-onirocritique (cinq), mathématiques-musique-astronomie (quinze), métaphysique (trente-deux), exégèse coranique (six), mystique (trente), morale-économie domestique-politique (onze), lettres personnelles (quatorze), divers (six).

Ibn Sînâ (7) naquit en 980 de l'ère chrétienne à Afshana, localité située actuellement en Ouzbékistan soviétique, près de Boukhârâ. Cette ville était la capitale intellectuelle de la dynastie sâmânide, qui régnait sur tout l'Est de l'Iran au Khorâsân et en Transoxiane. Sa mère, Sitora, d'extraction fort modeste, était fille d'un simple paysan de la région. Son père, 'Abdallah, était fonctionnaire, préfet de Kharmaythân, chef-lieu d'un district de la région de Boukhârâ. Il était chiite ismaëlien et sympathisant de la dynastie chiite des Fâtimides. Il prit grand soin de l'éducation de son fils.

C'est ainsi que le jeune Husayn (tel était le prénom d'Ibn Sînâ) apprit le fiqh, cette discipline qui scrute les profondeurs insondables de la Sainte Loi de l'islam, d'Ismâ'îl al-Zâhid. En mathématiques, il fut l'élève du célèbre Abu 'Abdallah an-Nâtilî, sous la direction de qui il apprit l'Almageste et les Eléments d'Euclide. Puis il se prit de passion pour la physique, la métaphysique et surtout la médecine qu'il étudia avec Abu Sahl ibn Yahyà al-Masîhî al-Jurjânî et peut-être Abu Mançûr Hasan ibn Nûh al-Qanarî.

Ce fut un enfant à l'intelligence étonnamment précoce. A dix ans, il connaissait déjà le Coran par coeur. A seize ans, il avait maîtrisé toutes les sciences de l'époque et exerçait déjà son activité de médecin, qu'il ne cessera d'exercer jusqu'à sa mort à l'âge de cinquante-sept ans, le vendredi 18 juin 1037, dans le désert près de Hamadân. Seule la Métaphysique d'Aristote lui résista : il la lut quarante fois avant de trouver la lumière grâce au commentaire de Fârâbi Intention de la Métaphysique d'Aristote qui lui était tombé entre les mains par un heureux et curieux hasard : un homme dans le besoin l'avait supplié de le lui acheter pour trois dirhams.

Ibn Sînâ mena une vie errante, passionnante et passionnée. Ce fut une vie de voyages et de déplacements incessants

au sein de l'empire iranien, qu'il ne quitta jamais, au service des divers princes de l'époque. Sa langue maternelle était l'iranien, mais il composa la quasi-totalité (95%) de ses ouvrages en arabe, la langue scientifique de l'époque. Une vie aussi tout entière tournée vers la création : Ibn Sînâ avait le don d'écrire en toutes circonstances y compris à cheval, et en tout lieu. Ainsi composa-t-il la logique du Shifâ, son immense encyclopédie philosophique, au rythme de cinquante pages par jour.

Il eut de nettes tendances mystiques. Il passa ainsi trois jours en retraite spirituelle avec le soufi Abu Sa'îd et rencontra de nombreux maîtres soufis dont le célèbre Abu 1-Hasan al-Kharraqânî et beaucoup de pages de son oeuvre sont pénétrées du souffle de la Voie. Mais il ne fut lui-même jamais un ascète et mena une vie sentimentale tumultueuse.

Le grand tournant de sa vie se situe en 997. Il était alors âgé de 17 ans, quand le prince Nûh ibn al-Mançûr tomba gravement malade. Ibn Sînâ fut appelé à son chevet. En signe de gratitude pour les soins prodigués avec tant de compétence et de réussite, le prince lui ouvrit les portes de sa bibliothèque. Il put dès lors assouvir sa passion de la lecture et de la recherche.

Puis il fut successivement au service du vizir Abu 1-Hasan Ahmad ibn Muhammad al-Suhaylî à Jurjâniyya, du prince Abu Muhammad ash-Shirâzî à Jurjân, de la princesse Sayyida et de son fils Majd ad-Dawla, dont il devint vizir, c'est-à-dire ministre à Rayy, près de Téhéran. Cette période dura de 1014 à 1021. Mais son vizirat lui attira beaucoup d'ennemis politiques et il fut jeté en prison, en 1021, par Tâj al-Mulk. Il mit à profit cette retraite forcée de quatre mois pour composer trois livres : un livre de philosophie générale (le Kitâb al-hidâya), un traité sur les diarrhées (le Kitâb al-qûlanj) ainsi qu'un très beau récit mystique la Risâla Hayy ibn Yaqzân ("Epître de Hayy, fils de Yaqzân").

Il s'évada dans des circonstances rocambolesques. Déguisé en derviche, il échappa à ses poursuivants et, accompagné de son fidèle compagnon et biographe Jawzajânî, atteignit Ispahân en toute sécurité. Il trouva dans cette ville un havre de paix et d'étude. Il y resta quinze ans. C'est là qu'il rédigea la majeure partie de sa monumentale encyclopédie médicale le Canon de la médecine et quelques-uns de ses ouvrages les plus célèbres : le Najât (sur le salut de l'âme) et le Dânisnâma-i 'alâ'î (en persan). Il commença aussi la construction d'un observatoire astronomique qu'il n'achèvera jamais. Puis ce fut la catastrophe. Mas'ûd, le fils du sultan Mahmûd de Ghazna (le célèbre conquérant de l'Inde) attaque Ispahân et beaucoup d'écrits du Shaykh al-ra'îs furent

perdus, notamment le prodigieux Kitâb al-inçâf, "Livre de l'arbitrage entre la philosophie orientale et occidentale", en vingt-deux volumes. Affaibli par une virulente crise de diarrhée, Ibn Sînâ retourna à Hamadân, où il mourut dans le désert en juin ou août 1037.

L'APPORT SCIENTIFIQUE

L'apport d'Ibn Sînâ en matière scientifique est considérable. Nous ne pouvons en donner ici qu'un bref aperçu.

Dans sa correspondance avec Bîrûnî (8), il a émis des idées qui anticipent la théorie de l'évolution mise au point par Charles Darwin (1809-1882) : l'origine de l'homme est à rechercher dans une espèce animale. Une idée semblable avait été avancée à la même époque par 'Alî ibn al-'Abbâs, médecin du sultan 'Adud ad-Dawla, qui parle de l'origine des espèces par voie de sélection naturelle.

En minéralogie, Ibn Sînâ est l'auteur d'un classement des minéraux en quatre groupes qui s'est maintenu jusqu'au 19ème siècle : les pierres, les minerais, les combustibles et les sels.

En physique, il fut le premier à énoncer le principe de l'inertie, qui sera formulé par la suite en Europe par Galilée (1564-1642). Antériorité chronologique : six siècles !

En astronomie, le 24 mai 1032 Ibn Sînâ a observé à l'oeil nu et décrit pour la première fois un phénomène rare : le passage de Vénus devant le soleil, bien avant l'astronome anglais Jeremiah Harrocks (1617-1641) qui l'observa en 1639. Là l'écart chronologique est aussi de six cents ans.

Il découvrit enfin une méthode radicalement nouvelle pour déterminer la différence entre les longitudes de deux localités. Ce procédé sera redécouvert en Europe cinq siècles plus tard, en 1514, par Johannes Werner (1468-1528).

En médecine, les découvertes d'Ibn Sînâ ne sont pas moins nombreuses :

- Ibn Sînâ a été le premier à décrire correctement l'anatomie de l'oeil humain, à exposer avec précision le système des ventricules et des valvules du coeur, à décrire, avec Râzî, avec précision la petite vérole et la rougeole, maladies que ne connaissaient pas les médecins de la Grèce antique.

 

 

LE CANON DE LA MEDECINE

C'est au début de son ouvrage majeur le Canon de la médecine (Al-qânûn fî t-tibb) qu'Ibn Sînâ définit ainsi la médecine : " La médecine est une science par laquelle on connaît les manières dont le corps humain se comporte et évolue, du point de vue de ce qui est en bonne santé ou de ce qui altère sa santé, en vue de préserver intégralement la santé et de la restaurer, le cas échéant, lorsqu'elle est déficiente." (Canon, 1.1.1.1) (13). Ibn Sînâ poursuit en insistant que la médecine est tout à la fois théorie et praxis, et non pas seulement théorie. Cette remarque constitue une rupture avec les conceptions médicales héritées de la Grèce, qui s'intéressaient plus aux théories qu'aux faits. Une autre définition de la médecine se trouve dans la Urjûzat fî t-tibb ("Poème sur la médecine") -. " La médecine est l'art de conserver la santé et éventuellement de guérir les maladies survenues dans le corps".

Le Canon est un ouvrage monumental comportant un million de mots. L'édition courante de Bulaq au Caire est en trois volumes, totalisant mille cinq cent cinquante pages. L'édition de Rome (datant de 1593) comporte neuf cent soixante-trois pages in 4°. Il fut traduit en latin au XNème siècle par Gérard de Crémone (14) et eut un succès extraordinaire : il fut édité seize fois dans les trente dernières années du 15ème siècle et plus de vingt fois au cours du XVIème siècle. Seule la Bible compta plus d'éditions. Il s'agit d'une encyclopédie médicale, dont la matière est non seulement soigneusement ordonnée (15), mais qui est traversée, du point de vue de l'écriture, par un souffle et une unité de vue et d'inspiration, auxquels l'éclatement de la science contemporaine nous a rendu étrangers.

Le Canon comporte cinq livres (16) :

  1. Le premier traite des principes généraux : il définit d'abord la médecine et son champ d'action, puis aborde la constitution de l'homme, la nature des organes, la nature, la diversité et l'origine des humeurs, les maladies des organes, les muscles, les nerfs, les artères et les veines, les facultés et les fonctions ; les maladies et leur étiologie ; les signes et les symptômes ; le pouls ; l'urine ; les régimes à suivre aux différents âges ; la médecine préventive ; les troubles du caractère et leur soin ; les effets du climat et le traitement.
  2. Le second livre présente deux parties :

- la première traite de la manière de déterminer la nature des remèdes par l'expérimentation et les effets,

- la deuxième partie est une liste de sept cent soixante médicaments simples (essentiellement des plantes), classés selon l'ordre alphabétique hébraïque.

3) Le troisième livre concerne l'étiologie, les symptômes, le diagnostic, le pronostic et le traitement systématique des maladies. Selon l'usage de l'époque, la présentationcommence par les affections de la tête et se termine par celledes extrémités. Sont ainsi passées systématiquement en revue
les maladies de la tête, comme les conformations anormalesdu cerveau, la migraine, l'épilepsie, etc. ; les maladies des yeux, du nez, des oreilles et de la gorge ; les maladies del'appareil digestif, de l'appareil génital et urinaire, les maladies des muscles, des articulations et des pieds, ainsi que les
maladies de la peau.

4) Le quatrième livre est consacré aux maladies "générales", c'est-à-dire qui affectent le corps tout entier.

5) Le cinquième livre est une pharmacopée. Il décrit les méthodes pour préparer des médicaments composés :pilules, pessaires, suppositoires, poudres, sirops, décoctions, mélanges, élixirs, etc.

Notes et bibliographie:

12   Le Canon de la Médecine,  Edition du Caire, 1294, vol. 1 page 3.

13. Edition imprimée à Venise en 1608 sous le titre Auicennae arabum medicorum principis canonis Libri V Ex Gerardi Cremonensis versione et Andreae Alpagi Belunensis castigatione...

15 - En livres (kitâb). sections(fann), chapitres (ta'lîm), paragraphes (façl).

16 - Cf. Hakim Mohammed Saîd,"Le Canon de la médecine, Un monument du savoir', Counierde l'Unesco, octobre 1980

15. Article paru dans la Revue française de yoga, 1991/3, pp.91-104

  1. - Voir à ce sujet les belles pages de Roger GARAUDY, L'islam habite notre avenir, ch. 4 Science et foi, pages 107-140, Paris, 1981.
  2. - Voir Louis GARDET, La pensée religieuse d'Avicenne (Ibn Slnâ), Paris, 1951 ; et Anne-Marie GOICHON, La philosophie d'Avicenne et son influence en Europe médiévale, Paris, 1944.

 

 

 

 

 

 

 



 



 



 



 



 



 



 



 



 



 

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