<---- Cours du 1er décembre 2010 ------>

  La tolérance en islam



Comment étaient traités les Gens du Livre ?


Sur le traitement légal des chrétiens et des juifs au début de l'islam, voir page précédente

En gros à l'extérieur de l'empire musulman, ils étaient considérés comme des ennemis , comme les Byzantins, dont l'islam ne réduisit la résistance qu'en 1453.

Mais à l'intérieur de l'Etat musulman, ils étaient tolérés. Mieux encore, ils bénéficiaient de droits bien définis, que l'on déduisait en grande partie des pactes que la Prophète lui-même avait conclu avec les juifs et les chrétiens (pour le détail voir page précédente) .

Droits et devoirs des Gens du Livre (juifs, chrétiens et zoroastriens)

La charia leur garantissait une sorte de statut d'autonomie interne, à condition qu'ils reconnaissent le primat de l'islam.

Les autorités musulmanes s'engageaient non seulement à empêcher tout acte de nuisance ou d'hostilité vis-à-vis des gens du Livre, garantissaient non seulement leurs vies et leurs biens, mais elles leur accordaient en plus leur propre juridiction en matière de statut personnel et d'héritage.

Tout cela était parfaitement organisé. Le dignitaire de plus haut rang de chaque communauté représentait sa communauté auprès des autorités musulmanes: chez les chrétiens le patriarche ou le catholicos, chez les juifs l'exilarque ou les gaonim, chez les zoroastriens le grand Mobad.

Autonomie ne signifiait pas non plus ségrégation. Jusqu'à l'heure actuelle, il n'y a jamais eu de ghettos dans le monde musulman, malgré la tendance naturelle des membres d'une même communauté à se regrouper par quartiers.

Et surtout, ils n'étaient pas impurs: on pouvait les inviter à déjeuner. Les chrétiens et les juifs n'étaient pas traités en étrangers dans le monde musulman, également pour une autre raison toute pratique, c'est qu'ils représentaient la population autochtone, et pendant très longtemps dans certaines régions (jusqu'au 12ème s. au Proche-Orient, jusqu'au 10ème s. en Egypte) la majorité de la population.

De plus, à l'époque classique, les possibilités de promotion sociale n'étaient pas fermées; elles n'étaient pas négligeables. On rencontre des chrétiens et des juifs comme vizirs (premier ministre). Au Moyen-Âge, tout l'appareil administratif de l'Egypte était dominé par les Coptes. Longtemps, les médecins étaient pour la plupart chrétiens ou juifs. Chrétiens et juifs trouvaient également des emplois là où les contacts avec les non-musulmans jouaient un rôle essentiel: le commerce international, le système bancaire, l'espionnage.

Tel est le système que les musulmans d'aujourd'hui désignent non sans légitime fierté: la tolérance de l'islam. 

De fait, les chrétiens et les juifs pouvaient dans le monde de l'islam classique exercer leur religion beaucoup plus librement qu'en maints Etats totalitaires du 20ème s.

Les différences avec l'Occident médiéval

La différence avec le monde chrétien médiéval est éclatante: les pogromes étaient très rares. De plus, ils étaient non seulement condamnables moralement, mais également condamnables du point de vue du droit musulman, donc constituait une atteinte à la Législation divine.

On sait que les Européens de l'époque médiévale et leurs souverains témoignaient d'une intolérance farouche à l'égard de tout ce qui était non chrétien. On connaît le destin tragique des juifs dans l'Europe médiévale. A l'égard des musulmans, l'intolérance des Européens n'était pas moindre: dans toutes les contrées qui avaient été reconquises sur l'islam, aucune communauté musulmane n'a pu se maintenir (sauf brièvement en Sicile sous Frédéric II de Hohenstaufen; partout le christianisme a été réintroduit par la force, les musulmans devant choisir entre la conversion, l'exil ou la mort.

Le contraste est encore plus éclatant quand on songe que très tôt en pays d'islam il y eut des communautés d'Européens résidant sur place, mais que l'inverse n'était nullement vrai: jusqu'à l'époque moderne il n'y avait pas de communauté musulmane résidant en Europe (pour le détail de l'époque actuelle voir ici ), ce qui à son tour rendait difficile la situation des voyageurs musulmans en Europe dont la sécurité n'était pas assurée, dont les besoins spécifiques n'étaient pas satisfaits: pas de mosquées, pas de bains publics, pas de boucheries halâl, alors que la sécurité des chrétiens en terre d'islam était garantie, et qu'ils bénéficiaient de l'infrastructure de leurs coréligionnaires.

Tolérance et liberté religieuse

Mais attention: tolérance ne signifie pas "liberté religieuse" au sens moderne du terme.

1) Car cette tolérance n'était accordée qu'aux détenteurs de l'Ecriture. Elle ne concernait pas les manichéens, les bouddhistes, les hindous, ni surtout les religions nouvelles qui se sont développées à partir de l'islam, surtout les Bahâ'i-s et dans une moindre mesure les Ahmadiyya.

2) Elle n'incluait pas les droits civils que nous associons à ce concept. En Occident, la notion de tolérance a des racines séculières, tandis qu'en islam il s'agit d'un droit dessence religieuse accordé aux devanciers de l'islam (les chrétiens, les juifs, les zoroastriens), qui en tout état de cause ne devait pas entacher le primat de l'islam et la primauté des musulmans.

Les non-musulmans bénéficiaient d'une espèce de droit d'hospitalité à l'intérieur de l'Etat musulman, bien qu'ils fussent en fait sur leur propre sol.

Mais ils ne jouissaient pas pour autant de l'égalité des droits (tout comme d'ailleurs d'autres catégories de la population: esclaves, femmes).

La liberté religieuse était incomplète, car il n'y avait de liberté de conversion que dans un seul sens (vers l'islam) et pas de liberté se mariage, ou plutôt elle était là aussi à sens unique: un homme musulman pouvait épouser une chrétienne ou une juive, mais une musulmane ne pouvait (ne peut) épouser un chrétien ou un juif.

En résumé, l'islam était plus égalitaire et plus libéral que d'autres religions. Mais comme toute religion révélée, il est persuadé de posséder la vérité absolue, et quand on est persuadé de posséder la vérité, on n'a plus aucune raison d'être tolérant. Malgré cela, la situation des adeptes d'autres religions était plus favorable qu'en chrétienté.

La tolérance musulmane a eu la mérite d'éviter les persécutions, mais elle n'a pu évité à la longue les discriminations et de faire des chrétiens et des juifs des citoyens de seconde classe, envers lesquels on n'hésitait pas quelquefois à afficher un certain mépris. Mais là encore, il convient d'être nuancé: pas toujours non plus, car pendant de longs siècles dans certaines régions les chrétiens sont restés majoritaires.   

Sources: oeuvre de Bernard Lewis

J. Van Ess et al., Christentum und Weltreligionen


2) Annonces de la venue de Mohammed dans la Bible selon les théologiens musulmans

 

l y a une interprétation musulmane de la Bible.

Il existe tout une littérature dans l'islam classique qui interprète dans un sens mohammadien des textes de la Tora ou du Nouveau Testament que le christianisme interprète dans un sens chistologique.

Parmi les grands théologiens musulmans classiques qui ont traité des textes de la Bible annonçant la venue du Prophète Mohammed, on peut citer:

Tabarî (m. 240/855), Al-radd 'alà n-Nasârà ["En réponse aux Chrétiens"],

Qarafî (m. 683/1285), Al-adjwiba al-fâkhira

Ibn Taymiyya, Al-Djawâb as-sahîli man baddala dîn al-Masî["Réponse authentique à ceux qui ont altéré la religion du Christ"].

Ces ouvrages traitent notamment du problème de la Trinité, de la crucifixion de Jésus, de la trahison de Judas, du concept du péché originel, du baptême de Jésus et des textes bibliques annonçant la venue de Jésus.

Signalons aussi Sayyid Ahmad Khân (1817-1898), directeur de l'école d'Aligarh, qui a écrit un commentaire sur la Bible.

Textes de l'Ancien Testament

Genèse 16.10

" L'ange du Seigneur lui [= à Agar] dit: " Je multiplierai tellement ta descendance qu'on ne pourra la compter"

C'est la promesse faite à Agar (femme d'Abraham selon le Coran, concubine d'Abraham selon la Bible): la postérité nombreuse est une allusion à la communauté musulmane.

Deutéronome 18.18-20

" C'est un prophète comme toi  [ = Moïse] que Je leur susciterai du milieu de leurs frères; Je mettrai Mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que Je lui ordonnerai. Et si quelqu'un n'écoute pas Mes paroles, celles que le prophète aura dites en Mon nom, alors Moi-même Je lui en demanderai compte".

Interprétation musulmane

Le prophète dont il est question doit sortir du milieu des frères des enfants d'Israël, donc pas d'Israël lui-même. Or les enfants d'Ismaël sont bien les frères des enfants d'Israël.  "Prophète semblable à Moïse", c-à-d d'un rang égal. Mohammed de par sa stature et la dimension de son message compte parmi les plus grands prophètes. "Je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que Je lui commanderai": s'il est un prophète auquel cette instruction s'applique, c'est bien Mohammed. Dieu a parlé aux hommes par sa bouche. Il n'est aucune phrase, aucun mot du texte coranique qui n'appartienne strictement à Dieu et n'émane directement de lui.  Cette prédiction pourrait-elle s'appliquer à un autre prophète que Mohammed, Jésus par exemple ? Non, car Jésus appartient à la lignée des enfants d'Israël et non à celle des frères des enfants d'Israël.

Esaïe 9.5:

"Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. La souveraineté est sur ses épaules".

Interprétation musulmane:

La dernière phrase de ce verset est une allusion qu sceau de la Prophétie que, selon Ibn Ishâq, le Prophète portait entre ses deux omoplates.

Esaïe 21. 7 + 9:

S'il voit un char attelé de deux chevaux, un cavalier sur un âne, un cavalier sur un chameau.... Elle est tombée, elle est tombée Babylone, et toutes les statues de ses dieux sont par terre, brisées"

Interprétation musulmane:

Un cavalier sur un âne, c'est Jésus, un cavalier sur un chameau c'est Mohammed.

Babylone, c'est l'Arabieterre des idoles. Le Prophète a mis fin pour toujours à l'idolâtrie dans ce pays (Tabari, Qarafî, Ibn Taymiyya).

Esaïe 42.1-4:

Voici Mon serviteur que Je soutiens, Mon élu que j'ai moi-même en faveur; J'ai mis Mon esprit sur lui. Pour les nations il fera paraître le jugement,

Il ne criera pas, il n'élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur;

il ne brisera pas le roseau ployé, il n'éteindra pas la mèche qui s'étiole; à coup sûr il fera paraître le jugement.

Lui ne s'étiolera pas, il ne ploiera pas, jusqu'à ce qu'il ait imposé sur terre le jugement "

Interprétation musulmane

C'est là le portrait de Mohammed. On retrouve ses traits, ses qualités. Mohammed n'a jamais élevé la voix, ne s'est jamais emporté. Il ignorait la colère. Mohammed a fait régner la justice sur terre (Tabari, Qarafî, Ibn Taymiyya).

Ce texte s'applique à Jésus pour le christianisme.

Esaïe 46.9-11:

Je suis Dieu, et nul n'est semblable à moi. J'annonce dès le commencement ce qui doit arriver. Et longtemps d'avance ce qui n'est pas encore accompli..... Et J'exécuterai toute Ma volonté. C'est Moi qui appelle de l'Orient un oiseau de proie, d'une terre lointaine un homme pour accomplir Mes desseins "

L'exégèse chrétienne voit dans cet homme "venant d'une terre lointaine" la venue de Cyrus ( Cyrus , 551-529, prend Babylone en 539 et en 538 fait paraître un édit permettant aux Juifs de Babylonie de retourner à Jérusalem sous la conduite de Sheshbasar).

Pour l'islam, ce passage s'applique à la vocation de Mohammed. C'est lui qui a rétabli le monothéisme dans toute son intégrité et sa rigueur (Tabarî, Qarafî).

Esaïe 49.2+ 5:

" (2) Il a disposé ma bouche comme une épée pointue  ......  (5) ....Dès lors je suis honoré au yeux du Seigneur

Interprétation musulmane:

Le verset (2) évoque la facilité et l'élégance de la parole de Mohammed. Bien que les Arabes fussent passés maîtres dans cet art, aucun d'eux n'a pu égaler l'éloquence de Mohammed.

Le verset 5 s'énonce ainsi en hébreu: " we ékabbèd be-'énê YHWH", ce que les traducteurs arabes ont traduit en arabe: "wa sirtu muhammadan".Muhammad signifiant "loué" en arabe. c'est aussi le nom du Prophète.

Jérémie 1.4-5:

Avant de te façonner dans le sein de ta mère, Je te connaissais; et avant que tu ne sortes de son ventre, Je t'ai consacré, Je fais de toi un prophète des nations"

Interprétation musulmane:

Ce passage, écrit Ibn Qayyim al-Djawziyya,  ne peut que concerner deux personnes: soit Jésus, soit Mohammed. Il ne peut pas s'appliquer à Jésus, parce que celui-ci a été envoyé directement aux enfants d'Israël. D'ailleurs Jésus lui-même a recommandé à ses disciples de ne pas aller vers les païens, mais  " plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël" (Matthieu 10.5). En revanche, le message de Mohammed s'adresse à tous les hommes: il a un caractère universel. Dieu a recommandé à Mohammed de dire: " Ô hommes: vers vous tous, je suis le messager de Dieu " (Coran7.158: "ayyuhâ n-nâsu, innî rasûlu Llâhi ilaykum").

Textes du Nouveau testament: le Paraclet

 

Source:  Ali Bouamama,  La littérature polémique musulmane contre le christianisme depuis ses origines jusqu'au XIIIe siècle , Alger, 1988.