<---- Cours du 24 novembre 2010  ------>

Le traitement légal des juifs et des chrétiens

 

1) Le verset princeps: Coran 9.29

 La directive qui orientera, en esprit et dans la lettre, le traitement réservé aux juifs et aux chrétiens est le célèbre verset 29 de la sourate 9.

Elle avait pour objet de résilier les engagements pris envers les polythéistes mecquois lors du Traité de Hudaybiyya. Elle équivalait en fait à une déclaration de guerre aux arabes polythéistes, à qui elle n'offrait d'autre alternative que la mort ou la conversion, après un délai de grâce de 4 mois.

Cet édit, qui est devenu la norme du djihâd, apporte cependant une dérogation décisive au profit des Gens du Livre (juifs, chrétiens et sabéens), à qui la liberté de religion et de culte est reconnue, à condition de se montrer soumis et d'acquitter l'impôt de la capitation.

"Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu ni au jour dernier et ne s'interdisent pas ce que Dieu et son envoyé ont prohibé;

combattez également ceux parmi les Gens du livre, qui ne professent pas la religion de la vérité, à moins qu'ils ne versent la capitation directement et en toute humilité"

Le combat vise donc deux sortes d'adversaires:

  1. Il y a d'abord "ceux qui ne croient pas en Dieu ni au Jour Dernier et ne prohibent pas ce que Dieu et son envoyé ont prohibé", allusion évidente aux polythéistes (mushrikûn). Pas de quartier pour eux. Et de fait, Mohammed a fini par les extirper du sol de la péninsule arabique.
  2. La seconde partie des adversaires à combattre est formée des Gens du Livre qui ne sauraient leur être assimilés; ils croient en effet en Dieu et au Jour Dernier, leurs religions procèdent de la même révélation que celle apportée par les Prophètes. Elles édictent dans la sphère morale des impératifs fondés sur une conception identique su bien et du mal. Ainsi la paix leur est consentie, la sécurité de leurs personnes et de leurs biens assurée, et concession extraordinaire, la liberté de croyance et de culte leur est garantie, en contrepartie de l'obéissance et de l'impôts auxquels ils sont assujettis.

 

Il est incontestable qu'en un temps où l'idée était impensable que des sujets puissent adorer Dieu autrement que leurs maîtres, la reconnaissance de ce droit fondamental de l'homme représentait un progrès immense par rapport aux mœurs du siècle.

 

2) La mubâhala (janvier 631)

 La mubâhala (ordalie) eut lieu après la mise hors la loi des polythéistes  en l'an 9 de l'hégire (631 de l'ère chrétienne). On assiste à une conversion en masse des tribus arabes, qui envoient de nombreuses ambassades au Prophète (sanat al-wufûd).

Parmi ces délégations, il y avait une ambassade envoyée par les chrétiens de la tribu des Balhârith venue du Nadjrân au Yémen. Elle arrive au mois de shawwâl de l'an 10 (janvier 631). Son arrivée à Médine fait sensation. Elle était composée de 70 cavaliers, à la tête desquels se trouvait le triumvirat formé du syndic des métiers ('âqib), du chef des caravanes (sayyid), et de l'évêque du lieu. Il frayent avec la population musulmane et échangent avec elle des propos amicaux. Le prophète les autorise même à célébrer le culte chrétien à l'intérieur de la mosquée, en s'orientant vers Jérusalem.

A l'audience qu'il leur accorde le lendemain, la discussion s'élève au plan théologique. Le Prophète reproche aux chrétiens de croire en la divinité du Christ. Il faut dire que les chrétiens du Yémen étaient monophysites et donc croyaient en la seule nature du Christ. Les Nadjranites défendent leurs croyances avec énergie.
Pour mettre fin à la controverse, le Prophète propose la mubâhala, sorte d'ordale, au cours de laquelle un serment d'attestation est prêté des deux côtés: " Si je suis menteur, que Dieu me punisse"

Le Coran fait allusion à cette proposition d'ordalie en 3.54. Cela se passait le 3 shawwâl 10 (14 janvier 631). Chaque partie en cause devait se présenter au moment et au lieu convenus, accompagné des êtres qui lui étaient particulièrement chers et invoquer la divinité comme arbitre, pour qu'elle frappe de sa foudre le menteur, dans sa personne et dans ses proches présents à cette démonstration organisée publiquement.

Le Prophète vint avec ses "fils" (en fait ses petits-fills Hasan et Hussayn), ses "femmes" (en fait, avec sa fille Fâtima), et 'Ali. Il était vêtu d'une tunique noire en poil de chèvre, galonnée de soie.

Le Prophète met donc au défi la délégation chrétienne de se soumettre à cette procédure. Il lui en fixe le moment pour le jour suivant. Les chrétiens passent la nuit à délibérer. Un coup de théâtre se produit le lendemain, 4 shawwâl 10 (15 janvier 621). A l'heure convenue, les Najranites déclarent renoncer à la mubâhala. Ils sollicitent un traité de capitulation.

Une négociation en règle se déroule alors. En vertu du traité, les chrétiens s'engagent à livrer, tous les six mois, à l'Etat de Médine, mille vêtements onciaux. En cas d'expédition, Nadjrân s'engageait à fournir aux musulmans trente cuirasses et autant de lances, de chameaux et de chevaux. Et si le Prophète envoyait chez eux ses représentants, il incombait aux chrétiens de les héberger pendant un mois au maximum. En échange, le Prophète s'engageait à les couvrir de sa protection (dhimmat ar-rasûl). En même temps, l'Etat musulman garantit aux chrétiens la sécurité des personnes, la sauvegarde des propriétés, la liberté de religion et de culte, le respect des évêques, des prêtres et des moines, l'immutabilité des fondations religieuses. Il les exemptait de la dîme (zakât), du service militaire et de l'entretien, des troupes. Contrairement aux stipulations de Coran 9.29 aucune humiliation  ne pèsera sur eux:

"Aucune humiliation ne pèsera sur eux, ni le sang d'aucune vengeance antérieure à la soumission. Aucune troupe ne foulera leur sol….Ils ne seront ni oppresseurs, ni opprimés."

Ce traité servira de prototype aux capitulations qui ont assuré pendant treize cents ans la survie, moyennant tribut, des communautés chrétiennes assujettis à l'Etat musulman.

3) Les Juifs et les débuts de l'islam

Dans la constitution de l'an 1, le Prophète avait cherché à constituer une communauté unique comprenant aussi bien les Emigrés que les musulmans de Médine, et les clans juifs de Médine. C'est l'époque où le Prophète croyait encore possible de réunir en un même œcuménisme les juifs, les chrétiens et les musulmans. D'où le très beau verset 2.62, qui pose clairement le principe de l'égalité religieuse de l'islam avec le judaïsme et le christianisme, et même le sabéisme.

Puis vient le temps des reproches. Les juifs auraient mal transmis les Ecritures (2.75), auraient fait de la pseudépigraphie (2.79). les juifs se sont régulièrement élevés contre les prophètes (2.87). Juifs et chrétiens ne font que se quereller (2.113); ils sont exclusivistes, prétendant être tous deux le seul peuple élu de Dieu: 5.18, et 2.140: "Ou direz-vous: Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus étaient-ils juifs ou chrétiens ?".

La rupture avec les juifs est consommée à la mi-février 624. Elle est marquée par le changement d'orientation de la prière, qui se fera désormais vers La Mecque, et non plus vers Jérusalem. De même le jeûne de Achoura (identique à celui du Yom Kippour) est remplacé par le jeûne du mois de Ramadan.

L'islam est de plus en plus conscient de son identité: "La religion, pour Dieu, est l'islam" (Coran 3.19). Ce verset est le premier passage coranique où le terme "islam" est le terme technique qui désigne la nouvelle religion.

Mais le problème n'était pas que religieux. Il se situait aussi sur les plans économique et politique. Il mettait en cause l'indépendance des clans juifs, leur personnalité ethnique, et bien sûr leurs intérêts économiques. Le choc était inévitable. Les Banû Qaynuqâ' sont expulsés en l'an 2 (624), les Banû Nadîr en l'an 3 (625). Les membres masculins de la tribu des Banû Qurayza sont liquidés physiquement en l'an 5 (627).

Cependant, par la suite dans l'empire musulman, les juifs jouiront d'un statut d'autonomie interne, en parfaite égalité avec les chrétiens.

Bien plus, au cours de l'histoire, leur situation ne fera que gagner en sécurité, en comparaison avec les chrétiens, périodiquement accusés d'intelligence avec Byzance, et plus tard, à partir des croisades surtout, de recevoir aide et assistance de leurs coreligionnaires d'Europe.

4) Les dhimmî-s ou les religions protégées par l'islam

Droits et obligations des dhimmî-s

Deux cas se présentèrent lors de l'invasion de la Syrie-Palestine:

Les garanties offertes par l'Etat musulman portent sur les points suivants:

  1. La sauvegarde de la vie biologique des dhimmis, qui s'étend à chacun d'eux individuellement et par la suite à tous les membres de leurs familles. Elle entraîne, de ce fait, le devoir imposé aux musulmans de ne leur faire subir aucun dommage ou mauvais traitement.
  2. Le respect de leurs biens, meubles et immeubles, auxquels nulle atteinte ne saurait être portés en dehors des charges fiscales déterminées par la Loi.
  3. La liberté de conserver leurs croyances religieuses et d'en pratiquer le culte, liberté entraînant le maintien en leur possession de leurs églises, monastères ou synagogues, le respect de ces édifices, avec la possibilité de pourvoir à leur entretien, mais non d'en construire de nouveaux.

Ces droits appellent, en retour, des obligations:

  1. Une soumission absolue à l'autorité musulmane, incarnée dans la personne du calife à Médine, que représente dans chaque province un gouverneur ('âmil). Cette soumission est assortie du devoir de respect envers les musulmans et les choses de l'islam (notamment respect envers le Prophète, et non-immixtion dans les querelles théologiques de l'islam).
  2. Loyauté absolue envers l'Etat musulman, abstention de tout contact avec l'ennemi, et nécessité de dénoncer tout mouvement suspect de l'ennemi.
  3. Obligation pour les dhimmis d'accorder l'hospitalité aux troupes musulmanes en mouvement, durant trois jours au maximum. Mais les dhimmis sont exemptés du service militaire: ils n'avaient pas besoin de verser leur sang pour la défense de l'Etat musulman.
  4. Paiement de la capitation (djizya), en compensation du sang qui n'a pas été versé. Cet impôt est appelé capitation, parce qu'il a pour assiette la personne (latin caput) du dhimmi

5) Le djihâd

Les premiers versets relatifs au djihâd apparaissent lors de la période médinoise du Prophète (donc à partir de 622): Coran 2.190-191, 2.216, 61.4.

Il s'agissait pour les musulmans de se doter d'une base géographique minimale.

Le djihâd était mené avec les armes de l'époque: arc, lance, sabre, à pied ou à cheval (le dromadaire ne servant qu'aux transports à longue distance) et était soumis aux règles très strictes de l'éthique de la guerre héritées de l'Arabie pré-islamique.

La règle essentielle consistait à adresser à l'ennemi une sommation préalable, l'invitant à se convertir ou à s'apprêter au combat. Pour l'idolâtre, c'est la mort en cas de défaite, à moins que, réduit en captivité, il ne consente à embrasser l'islam pour échapper à l'exécution, tandis qu'aux Gens du Livre  (juifs, chrétiens, zoroastriens) l'alternative est laissée entre la capitulation et la capitation d'une part, ou le combat jusqu'à ce que mort s'ensuive. S'ils acceptent la capitulation et la capitation, ils ont droit à la tolérance de l'islam, qui était une sorte d'autonomie interne pour les communautés juives et chrétiennes notamment . Rappelons que dans les siècles qui suivirent les musulmans en Europe ne bénéficièrent jamais d' un statut équivalent .

 Exemple de la conquête de l'Iran

L'armée musulmane de Sa'd ben Abî Waqqâs (30.000 hommes) affronta l'armée iranienne ,dirigée par le chah Yezdegerd III à al-Qâdisiyya, en 636.

Le calife donna l'ordre à Sa'd d'envoyer au chah d'Iran une délégation ayant pour mission de l'appeler à l'islam. Cet appel devait devait être transmis directement au chah lui-même. Une délégation de 14 personnes est formée. Voici les termes de l'ultimatum, tels que les rapporte l' historien musulman Tabarî (9ème s.):

"Dieu s'est montré compatissant envers nous. Il nous a envoyé un Messager qui nous a indiqué la voie du bien et nous a ordonné de le pratiquer; il nous a fait connaître le mal et nous a fait défense de le commettre. Il nous a annoncé que si nous suivons son enseignement, nous en recevrons la récompense, en cette vie comme dans l'autre. Chacune des tribus à qui il a adressé cet appel s'est divisée en deux fractions, l'une qui l'a écouté et l'autre qui s'est éloignée de lui. Ne fit, au début, profession de sa religion qu'une minorité. Le Prophète s'est mis ainsi dans un état d'attente pendant tout le temps que Dieu a voulu. Puis, il a donné l'ordre d'attaquer tous ceux des Arabes qui s'étaient détournés de lui. Il a commencé avec eux; ils ont tous fini par se ranger à ses côtés, les uns sous l'empire de la contrainte et ils en furent heureux, et les autres par conviction, et leur bonheur n'en fut que plus profond. Nous avons de la sorte tous reconnu la supériorité du message qu'il a apporté, par rapport à notre état antérieur, fait d'inimitiés et de pauvreté (..).

Il (notre Prophète) nous a ensuite ordonné de commencer par appeler à la vérité les nations voisines. C'est pourquoi, nous vous pressons d'embrasser notre religion; c'est une religion qui a rendu le bien meilleur que ce qu'il était et stigmatisé le mal en sa plénitude. Si vous refusez, vous avez le choix entre deux maux dont le moindre est le paiement d'un tribut, et le pire, en cas de refus, la guerre. Si vous consentez à adhérer à notre religion, nous vous remettrons le Livre de Dieu [=le Coran] et vous confierons la mission d'en être les dépositaires, d'en appliquer les préceptes. Nous reculerons dès lors et vous laisserons libres dans votre pays. Et si pour éviter que nous vous attaquions, vous choisissez de nous payer tribut, nous acceptons et vous protégerons. Sinon, c'est la guerre."

Mais le djihâd s'arrêta bien vite et la notion devint caduque dès le 9ème s. (voir ici ). Les soufis intérioriseront cette notion en parlant de djihâd intérieur, le djihâd mené en soi-même contre ses propres passions. C'est le djihâd al-akbar (le djihâd majeur) par opposition au djihâd al-asghar  (le djihâd mineur). Même à l'époque coloniale le calife n'appela jamais au djihâd contre l'Europe.

Attention: "djihâd" ne signifie pas "guerre sainte", mais tout simplement "militance".

 

 

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