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1) Pudeur et voile: hidjâb, niqâb, burqa

2) Amour pour autrui et amour pour le Prophète

 

1) Hidjâb, niqâb, burqa .....

Le hidjâb désigne le voile qui couvre les cheveux, et quelquefois celui qui couvre les cheveux et en plus ne laisse apparaître que l'ovale du visage (à la saoudienne).

Le niqâb est un voile qui non seulement recouvre les cheveux mais qui comporte un masque qui cache le visage sauf les yeux, et qui donc peut laisser apparaître le maquillage des yeux.

La burqa est le voile intégral de l'ethnie pachtoune qui vit à l'est Afghanistan et l'ouest du Pakistan. La burqa couvre entièrement la tête et comporte un grillage au niveau des yeux. Les Pachtounes parlent pachtou (un iranien très archaïque), mais le terme de Pachtou désigne non seulement la langue de cette ethnie, mais aussi le code tribal complexe de celle-ci, dont le port obligatoire de la burqa pour les femmes fait partie intégrante. C'est clairement une coutume tribale pachtoune.

Le terme de burqa n'existe ni dans le Coran ni dans la Sunna. Le terme de niqâb est inconnu du Coran, et n'apparaît que 3 x dans la Sunna c-à-d sur plusieurs milliers de hadiths, dont 2 x dans le Musnad d'Ahmad b. Hanbal (sur 28.000 hadiths) qui n'est pas canonique ! Et encore est-ce pour signaler que ce vêtement est interdit pour la femme en état de sacralisation lors du pèlerinage.

J'avais il y a bien longtemps déjà présenté une thèse de doctorat ès sciences religieuses, qui portait sur le Kitâb al-kabâ'ir (" Le Livre des fautes graves ") de Shams ad-dîn al-Dhahabî (m. en 1358) . C'est une liste de 70 fautes graves, où l'on trouve un peu de tout (interdiction faite aux hommes de porter de la soie et des objets en or, le travestissement de l'homme ou de la femme cf. Dt. 22.5, la pratique de la magie et de l'astrologie, la maltraitance des animaux, les jeux de hasard, les lamentations funèbres, l'usure etc.)

Concernant la tenue vestimentaire masculine ou féminine, on n'y trouve absolument rien.

Concernant la tenue vestimentaire des femmes, on se serait attendu , selon nos mentalités d'Occidentaux, à y trouver un péché qui aurait pu se nommer " le non-voilement des femmes " . Or, on a beau lire et relire l'ouvrage de Dhahabî dans tous les sens, on n'y trouve absolument aucune allusion à un tel péché non plus d'ailleurs que dans d'autres ouvrages du même genre. Que conclure de cet étonnant silence, sinon qu'il était inconcevable à cette époque qu'une femme ne portât pas le voile. C'était du domaine de l'inconcevable et de l'impensable. Le voile faisait partie intégrante de la tenue vestimentaire féminine, et personne n'aurait oser le mettre en doute.

Historiquement le problème du voile commence à se poser en Egypte lors de l'expédition de Bonaparte (1798), quand les Egyptiens virent des Françaises déambuler dans les rues du Caire cheveux au vent. Mais les idées féministes mirent plus d'un siècle à éclore avec Houda Cha'raoui, laquelle déchira publiquement son voile en 1923 (elle était née en 1879, et mourut en 1947). Elle publiait une revue en arabe et en français L'Egyptienne.

La question du hidjâb est née avec l'occidentalisation de la société musulmane, en raison du caractère antagonique de la culture musulmane avec la culture occidentale du corps. En effet le hidjâb s'oppose de façon radicale au mode de gestion occidental du corps. Grosso modo, la tenue vestimentaire européenne tend à mettre en valeur les formes du corps, tandis que la tenue vestimentaire en islam tend à voiler les formes du corps.

L'intrusion occidentale massive dans le monde musulman par le colonialisme ( France, Royaume-Uni, Russie) provoque l'effondrement très rapide de la société musulmane traditionnelle et notamment l'effondrement de la claustration des femmes. Selon ce principe les femmes ne devaient sortir de chez elles qu'exceptionnellement, leur domaine propre, correspondant à leur nature, étant l'intérieur du domicile familial et son prolongement: les arrière-cours, le souk des femmes, le hammâm des femmes. Sortant peu dans un milieu mixte, elle avait en fait peu l'occasion de se voiler.

L'occidentalisation des sociétés musulmanes grâce à la scolarisation de masse, non seulement des garçons, mais aussi des filles, et le développement de l'emploi féminin ont alors posé avec acuité la question de la tenue vestimentaire féminine.

Sous quel chapitre faut-il chercher dans les ouvrages de la Sunna et les ouvrages de fiqh pour trouver des informations sur les règles vestimentaires ? A première vue on serait tenté de passer au crible le chapitre libâs (les vêtements) qui existe dans la plupart des recueils de la Sunna et des manuels de fiqh. Mais ces chapitres portent sur d'autres questions: les hommes ont-ils le droit de porter des vêtements en soie ? Des bagues en or ? L'expérience m'a montré qu'il faut aller chercher ailleurs. En général, la question de la tenue vestimentaire est traitée dans le chapitre de la prière liturgique, la salât. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de tenue liturgique en islam et que le vêtement de la vie quotidienne doit aussi pouvoir servir pour la prière liturgique, puisqu'on passe sans cesse de l'une l'autre dans la journée, en principe cinq fois par jour. Pour la question spécifique du voile, il y a aussi quelquefois des indications dans le chapitre du pèlerinage. Le raisonnement est le suivant: la tenue licite pour la prière est d'autant plus licite pour la vie quotidienne.

Mais que vient faire la tenue liturgique dans le problème de la tenue vestimentaire de la vie de tous les jours ?

C'est que pour l'islam il n'y a pas de différence entre la tenue liturgique et la tenue de la vie quotidienne. En effet, la fonction essentielle du vêtement de la vie quotidienne, c'est de permettre, et même de faciliter l'accomplissement de la prière:pour l'islam il y a un continuum entre la vie quotidienne et la vie liturgique; on passe de l'une l'autre, cinq fois par jour (la prière constitue en effet comme la colonne vertébrale de l'existence, son axe), et le vêtement doit faciliter ce passage.

Il n'y a donc pas de vêtement qui soit la fois musulman et profane. Le vêtement doit s'adapter à la prière: or cette prière n'est pas une prière purement mentale. Elle implique l'homme tout entier, corps et âme, elle engage le corps, puisqu'elle est enchaînement de mouvements et de postures (depuis la position debout jusqu'à la prosternation complète). Le vêtement doit donc pouvoir épouser les mouvements du corps. C'est pour cela que dans tous les pays musulmans, le costume traditionnel se distingue par son ampleur. Il doit aussi permettre les ablutions.

Le costume européen est sur bien des points l'opposé du costume musulman traditionnel: il rend difficile les ablutions prescrites par le Coran et empêche directement, par ses plis rigides, les gestes et les positions de la prière canonique.

En outre, le vêtement européen souligne la forme du corps. Le vêtement musulman, lui, voile les formes du corps, non pas pour les nier, mais pour les reléguer au rang des choses qui ne doivent se dévoiler que dans l'intimité et qui à cause de cela doivent demeurer cachées aux yeux de la foule.

En islam, la vie religieuse et la vie profane sont beaucoup plus imbriquées l'une dans l'autre: on passe constamment de l'une l'autre sans aucune transition autre que les ablutions (la transition n'est pas marquée par le changement de vêtements comme chez les prêtres chrétiens). Toutes ces observations doivent être gardées à l'esprit quand on aborde la problématique du voile féminin.

En Occident, après tout, il y a aussi des femmes voilées. Nul ne s'en offusque d'ailleurs, on les tient même en haute considération, ce sont les religieuses des divers ordres monastiques. Même les diaconesses protestantes portent le voile. Personne ne songerait d'ailleurs, ne serait-ce qu'un instant que ce serait le signe d'une oppression quelconque, voire d'une humiliation. Ce serait même plutôt un élément valorisant dans l'inconscient de l'homme occidental.

Par contre, quand l'Occidental se trouve en face d'une musulmane voilée, fonctionnent d'autres réflexes, des associations d'idées exactement inverses: on verra dans le voile, quand il est porté par une musulmane, comme le signe d'une oppression, d'une humiliation ou d'une condition inférieure.

Or les musulmanes ne se sentent pas plus opprimées quand elle porte le voile que les Européennes ne se sentent indécentes quand elles sont vêtues à l'Européenne.

Les Occidentaux supportent très bien le voile des religieuses chrétiennes, car il se situe l'intérieur d'une distinction entre le profane et le sacré qui leur est habituelle. Par contre, ils ne supportent pas le voile des musulmanes, car il brouille ou efface des frontières qui leur sont habituelles.

En islam, toute femme adulte peut être voilée, le voile n'est pas spécifique d'une catégorie de "religieuses", catégorie qui n'existe pas en islam, tout simplement parce que la distinction vie religieuse / vie profane qui justifie et valorise nos yeux le voile des religieuses chrétiennes, n'est pas pertinente dans l'islam: toute vie profane est religieuse, en particulier toute vie féminine, ou pour l'exprimer autrement par une formule qui fait un peu formule-choc: l'islam est un couvent laïc, un couvent, parce que, comme dans les monastères chrétiens, les femmes sont voilées, les sexes strictement séparés; "laïc", dans ce sens que les sexes se rencontrent cependant pour une vie sexuelle normale. L'islam déteste le célibat ou le réprouve.

Autre surprise:

Quand vous demandez une musulmane voilée pourquoi elle porte le voile, elle répondra invariablement que c'est par obéissance à une injonction du Coran. Et si vous insistez pour savoir où précisément dans le Coran se trouve cette injonction, on vous répondra tout aussi invariablement, " dans le verset du voile ", autrement dit l' âyat al-hidjâb, en Coran 33.53. Or ce verset parle bien du hidjâb, mais pas du hidjâb en tant que vêtement, mais en tant qu'ornement intérieur d'une demeure. Le terme français porte d'ailleurs aussi ces deux sens: voile peut signifier un rideau, ou le voile des religieuses.

En fait, il n'y a que deux versets coraniques qui font allusion au voilement des femmes, dont la traduction précise est controversée.

Coran 24. 30-31

qul li l-mu'minîn: yaghudda min absârihim wa yahfazû furudjahum, dhâlika azkâ la-hum, inna Llâha khabîrun bi mâ yasna'ûna

wa qul li l-mu'minâti : yaghdudna min absâri-hinna wa yahfazna furûdja-hinna, wa lâ yubdîna zînata-hunna illâ mâ zahara min-hâ wa l-yadribna bi khumuri-hinna 'alâ djuyûbi-hinna wa lâ yubdîna zînata-hunna li-bu'ûlati-hinna aw abâ'i-hinna ....

Ma traduction:

" (30) Dis aux croyants de baisser leurs regards, d'être chastes. Ce sera plus pur pour eux. Dieu est bien informé de ce qu'ils font.

(31) Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, d'être chastes, de ne montrer de leurs parures (leurs atours ?) que ce qui en paraît, de rabattre leur châle sur les échancrures (de leurs chemises), de ne montrer leurs parures qu'à leurs époux, ou à leurs pères..... "

Traduction de Denise Masson:

" (30) Dis aux croyants: de baisser leurs regards, d'être chastes. Ce sera plus pur pour eux. - Dieu est bien informé de ce qu'ils font –

(31) Dis aux croyantes: de baisser leurs regards, d'être chastes, de ne montrer que l'extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines, de ne montrer leurs atours qu'à leurs époux, ou à leurs pères....

Traduction de Régis Blachère:

(31) Dis aux Croyants qu'ils baissent leurs regards et soient chastes. Ce sera plus décent pour eux. Allah est bien informé de ce qu'ils font.

(32) Dis aux Croyantes de baisser leurs regards, d'être chastes, de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît. Qu'elles rabattent leurs voiles sur leurs gorges ! Qu'elles montrent seulement leurs atours à leurs époux, ou à leurs pères....

Traduction de Jacques Berque:

" (30) Dis aux croyants de baisser les yeux et de contenir leur sexe: ce sera de leur part plus net. Dieu est de leurs pratiques bien informé.

(31) Dis aux croyantes de baisser leurs yeux et de contenir leur sexe, de ne pas faire montre de leurs agréments, sauf ce qui en émerge, de rabattre leur fichu sur les échancrures de leur vêtement. Elles ne laisseront voir leurs agréments qu'à leur mari, à leurs enfants, à leurs pères ...

Ces deux versets établissent une distinction entre ce que

les femmes peuvent exhiber en public et ce qu'elles doivent cacher

et entre les personnes en présence desquelles elles peuvent se découvrir, et les autres.

Mais ces versets n'ont pas de sens obvie ou incontestable. De nombreux termes ou expressions sont obscurs ou ambigus, notamment:

- yahfuzna furûdja-hunna: "qu'elles restent chastes " ou " qu'elles contiennent leur sexe"

- zîna: ce terme signifie "parure(s)", mais beaucoup de traducteurs préfèrent le traduire par "atours", "agréments" ou "charmes".

- illâ mâ zahara min-hâ : " que ce qui en paraît " . Que veut dire précisément cette expression ? Elle est en tout cas très vague. Muhammad Asad, dans son édition commentée du Coran, tirera argument de ce fait pour dire que le caractère délibérément vague de ce membre de phrase est destiné à permettre tous les accommodements liés à l'époque et à l'évolution de l'humanité . L'expression "wa l-yadribna bi khumuri-hinna 'alâ djuyûbi-hinna" fait aussi problème . Faut-il comprendre: " rabattre leurs voiles sur leur poitrine" (D. Masson), " sur leurs gorges" (R. Blachère), " sur leurs échancrures"? (Jacques Berque) ?

En fait khimâr désigne un châle que les femmes portaient sur leur tête et qui descendait des deux côtés du corps.

Les femmes portaient souvent des chemises échancrées, le texte demanderait donc simplement aux femmes de rabattre leur voile, c-à-d le châle qu'elles portaient sur la tête et qui descendait des deux côtés de la tête et du corps assez bas jusqu'au niveau du ventre, de rabattre ce châle de façon à couvrir leur poitrine.

Tabarî cite des hadiths disant que cette expression signifie qu'il faut se couvrir les cheveux, le cou et la poitrine avec le khimâr

Il y a là assurément dans ces versets coraniques une police du regard: les hommes et les femmes sont invités baisser le regard devant l'objet interdit.

Les prescriptions sont mises en rapport avec la notion de pureté: azkà la hum = plus décent (ou plus pur) pour eux.

Qui suivra ces prescriptions pourra donc atteindre un certain degré de pureté

Coran 33.59

yâ ayyuhâ n-nabiyyu, qul li-azwâdji-ka wa banâti-ka wa nisâ'i l-mu'minîna yudnîna 'alay-hinna min djalâbibi-hinna, dhâlika adnâ an yu'rafna fa lâ yu'dhayna wa kâna Llâhu ghufûran rahîman

Ma traduction:

" Ô Prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants qu'elles se recouvrent de leurs djellabas. Cela sera plus convenable. Ainsi, elles seront reconnues. [Ainsi] il ne leur sera pas fait de tort. Dieu pardonne très généreusement et est très miséricordieux ".

Traduction de Denise Masson:

" O Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles: c'est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées. Dieu est celui qui pardonne et est miséricordieux ".

Traduction de Régis Blachère:

" O Prophète !, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des Croyants de serrer sure elles leurs voiles ! Cela sera le plus simple moyen d'être reconnues et qu'elles ne soient point offensées. Allah est absoluteur et miséricordieux ".

Traduction de Jacques Berque:

" Prophète, dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leurs mantes: sûr moyen d'être reconnues (pour des dames) et d'échapper à toute offense. Dieu est Tout indulgence, Miséricordieux ".

 

Il y a ici deux thèmes:

1er thème:

Ici aucune indication sur ce qui doit être caché et non plus en présence de qui. Il est seulement question d'offense c-à-d d'éviter de manquer de respect et d'insulte, c-à-d une souillure d'ordre verbal ou moral.

Les croyantes sont invitées s'envelopper dans leur voile pour éviter cela.

Le voile empêche l'offense (non comme un parapluie ou un manteau qui les protègeraient du vent) mais comme un signal du caractère tabou de la femme.

Dans ce cas le voile signifie que la femme qui s'en protège avec le voile prend statut d'objet interdit, donc sacré. Le voile est donc un discours l'adresse des autres hommes, des étrangers, des non-parents.

2ème thème

Le vêtement est un signe distinctif. Dans ce cas le voile ne doit pas seulement signifier l'interdit; mais il doit également distinguer les musulmanes des autres femmes.

Par ex. le groupe des femmes est ici divisé en deux:

il y a d'une part les femmes des croyants

et de l'autre qui ? Les esclaves ? Les juives ? Les chrétiennes ?

Selon des hadiths cités par Tabarî: les atours ou parures que l'on peut laisser voir sont les habits (thiyâb) ou le manteau (ridâ'), le koheul ; la bague (khâtam),le bracelet du poignet (qulb) le visage et la main jusqu'au poignet (kaff), les deux joues (khadd) et les atours qu'on ne peut laisser voir: les chaînettes que les femmes se mettent au bas des jambes (khalkhal), boucles d'oreilles (qurt) et des bracelets .

DANS LE FIQH.....

Les textes: le Kitâb al-Mughnî d'Ibn Qudâma (1146-1213) (abrégé en IQ par la suite)

Les manuels de fiqh (charia) ont beaucoup de mal justifier leurs conceptions vestimentaires ou leur conception de la décence par des textes sacrés explicites.

Nous allons maintenant résumer l'argumentation d'un ouvrage qui fait autorité en la matière, le Kitâb al-Mugnî d'Ibn Qudâma (né à Jérusalem en 1146, mort Damas en 1213). C'est aussi un ouvrage qui a l'avantage de donner un tableau quasi exhaustif des positions en présence (I p. 615 638).

Il y a dans ce genre d'ouvrage une définition légale de la nudité: la 'awra. Cette définition n'est évidemment pas la même pour les deux sexes.

Pour l'homme, la nudité légale, c'est la partie du corps comprise entre le nombril et les genoux. On nous dira donc qu'il convient que l'homme couvre cette partie du corps. Ibn Qudâma précise qu'il y a consensus ce sujet entre les fondateurs des quatre grandes écoles sunnites: Ahmad b. Hanbal, Mâlik, Châfi'î et Ahmad b. Hanbal.

Cette zone ainsi délimité, il convient de la couvrir avec quelque chose qui cache la couleur de l'épiderme, même si c'est léger.

Il faut normalement se couvrir les épaules. Ibn Qudâma cite ce propos une parole du Prophète (Bukhârî 8.5.1): "Aucun d'entre vous ne priera vêtu d'une simple tunique (thawb), s'il n'a pas quelque chose sur les épaules ".

Pour la femme, le voilement du corps est la règle.

Le chapitre est rédigé de telle manière que le voilement du corps de la femme n'est pas une brimade, mais un droit de la femme à la discrétion et au caractère privé de son corps, qui n'a pas à être offert au regard public: "La femme n'a pas à découvrir quoi que ce soit de son corps, à part le visage et les paumes de la main. La femme peut donc prier le visage découvert [ sous-entendu: cela n'entame pas la validité de la prière]".

Peut-elle aussi découvrir ses pieds ? Selon Ahmad b. Hanbal, oui, car les pieds ne font pas partie de la nudité légale Ils ont même statut que le visage.

Ces règles fondent un principe de droit musulman qui est le suivant: "la femme tout entière est nudité sauf son visage et les paumes de sa main" (principe énoncé par Mâlik, Awzâ'î et Châfi'î. En dehors de ces parties du corps, le corps doit être entièrement couvert.

Ibn Qudâma justifie ce principe principalement par deux considérations:

1) Il invoque un commentaire fait par un proche compagnon du Prophète, Ibn 'Abbâs, de Coran 24.3 " Dis aux croyantes de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît". "Ce qui en paraît", c'est selon Ibn 'Abbâs, le visage et les paumes de la main. (ligne 8, p. 637)

2) IQ invoque un ordre du Prophète. Le Prophète a interdit à la femme en état de sacralisation lors du pèlerinage de porter des gants et le voile sur le visage (niqâb). Si le visage et les paumes de la main, dit IQ, était compris dans la nudité légale, le Prophète n'aurait pas interdit de les couvrir. C'est notamment parce que les nécessités de la vie exigent un visage découvert et des paumes découvertes (par exemple dans les transactions commerciales, les paumes de la main sont nécessaires pour prendre et donner, pour la demande en mariage car le visage est le lieu où concentrent toutes les beautés (madjma' al-mahâsin)) et l'expression des sentiments.

Les théologiens modernes insistent sur la notion de pudeur, laquelle est ce en quoi s'enracine la tenue vestimentaire. La pudeur étant une branche de la foi selon un célèbre hadith de Bukhârî " La foi a soixante et quelques branches; la pudeur est une branche de la foi ". Ibn Hibbân la définit comme une contrition que chacun doit développer en soi au cours de son existence.

En conclusion, on peut dire que les ouvrages de l'époque classique parlent peu du voile, car cet aspect du vêtement féminin ne posait pas problème à l'époque. Le voile faisait partie de la garde-robe normale de toute femme. C'est l'intrusion massive d'un occident sûr de lui et de ses valeurs, y compris de ses normes vestimentaires, qui a incité les musulmans et les musulmanes à revisiter leurs sources scripturaires. 

2) L'amour pour autrui et l'amour pour le Prophète

Dans le Sahîh de Bukhârî, on trouve ces trois hadîth-s:

Aucun d'entre vous ne croira vraiment, à moins qu'il n'aime pour son frère ce qu'il aime pour lui-même (2.6.1)

Aucun de vous n 'a vraiment la foi, à moins qu 'il ne m'aime plus qu 'il n 'aime son père et ses enfants (2.7.1)

Aucun d'entre vous n 'a véritablement la foi, à moins qu 'il ne m'aime plus qu 'il n 'aime son père, ses enfants et tous les hommes (2.7.2)

Ces paroles de Mohammed rappellent évidemment celles de Jésus:

Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites le vous-mêmes pour eux . (Matthieu 7.12, avec parallèle en Luc 6.31, cf. ci dessus 2.6.1).

Qui aime son père ou sa mère plus que moi n 'est pas digne de moi  (Matthieu 10.37, avec parallèle en Luc 14.26-27, cf. ci-dessus 2.7.1 et 2.7.2)

A) Le hadith 2.6.1 :

" Aucun d'entre vous ne croira vraiment, à moins qu 'il n'aime pour son frère ce qu 'il aime pour lui-même "

Ce hadith existe en plusieurs versions. Les divergences portent sur l'environnement du terme akh (frère). Notre version  laisse toutes les options ouvertes, en particulier ne limite pas l'acception du terme " frère " à une confession particulière, ce que ne fait pas Ah 3.251 qui porte " frère de confession musulmane " ( akhihi l-muslim). Muslim  (1.71) et Ibn Mâdja  (Muqaddima 9.10) , par contre mentionnent l'acception large " pour son frère" ou selon d'autre versions " pour son voisin". ( akhihi aw qâla li djârihi).

Mais que signifie au juste le terme " frère" ?

Pour Qastallânî (15ème s.), il s'agit de tout musulman ou de toute musulmane, mais il concerne aussi les chrétiens et les juifs. Pour preuve il cite un hadith de Tirmidhî ( 34.2) : Fais acte de bienfaisance à l'égard de ton voisin, tu sera un vrai croyant; souhaite pour autrui ce que tu te souhaites à toi-même, tu seras un véritable musulman .

Certaines versions ( Ah 3.207, 251, 289, Na 47.19.5, Mu 1.72) ajoutent " ce qu 'il aime de bien pour lui même " (min al-khayr), donc: Aucun d'entre vous ne croira vraiment, à moins qu 'il n 'aime pour son frère ce qu 'il aime de bien pour lui-même.

Il convient, en effet, dit 'Asqalânî (15ème s.), de souhaiter pour son frère ce que l'on souhaite de mieux pour soi-même. Cela exclut donc notamment les choses illicites que bien entendu on ne saurait souhaiter pour autrui.

Mais qu'est-ce que l'amour de l'autre dont il est question dans ce hadith ?

 Selon 'Asqalânî, c'est le désir de réaliser ce que l'on pense être bon pour l'autre.

 Nawawî  (13ème s.) précise, l'amour pour l'autre, c'est tendre à réaliser ce qui est en harmonie avec l'être aimé. Cet amour n'est pas nécessairement à entendre au sens spirituel. On peut souhaiter, par exemple, à quelqu'un la beauté physique, oeuvrer pour lui procurer un gain matériel, lui éviter un dommage quelconque.

'Asqalâni et Qastallânî soulignent, en outre, que la signification de cette parole du Prophète est que l'on souhaite qu'il advienne à l'autre quelque chose de comparable (mithla mâ) à ce qui nous advient de bien, mais non pas évidemment la même chose, que ce soit dans le domaine des sens ou dans le domaine spirituel.

B) Les hadiths 2.7.1 et 2.7.2

Aucun de vous n 'a vraiment la foi, à moins qu 'il ne m'aime plus qu 'il n 'aime son père et ses enfants (2.7.1)

Aucun d'entre vous n 'a véritablement la foi, à moins qu 'il ne m'aime plus qu 'il n 'aime son père, ses enfants et tous les hommes (2.7.2)

Ecoutons les grands commentateurs.

Qastallânî s'interroge d'abord pourquoi le terme " père " (wâlid) est placé avant le terme" enfant " (walad). Il l'est parce que tout le monde a un père, mais tout un chacun n'a pas nécessairement d'enfants.

Quant à l'amour, le commentateur distingue plusieurs niveaux.

  1. l'amour qui vient du fond des entrailles comme l'amour-affection que l'on porte à ses enfants.
  2. l'amour-respect teinté de déférence, comme celui que l'on porte à ses parents.
  3. L'amour pour le Prophète, lequel est un amour qui s'exprime par la bonté et la bienfaisance envers autrui au-delà de son cercle familial. 

Qastallânî, ajoute-même : Celui qui a l'expérience de cet amour aimera aussi ses ennemis, parce qu 'il se rendra compte qu 'ils ressemblent en fait aux personnes de son entourage qu 'il aime naturellement.

Faut-il inclure sa propre personne dans l'expression " et tous les hommes " (" à moins qu 'il ne m'aime plus que son père, ses enfants et tous les hommes ".) Faut-il donc comprendre alors la parole prophétique: " à moins qu 'il ne m'aime plus que son père, ses enfants et soi-même " ? Qastallânî et ' Asqalânî répondent tous deux par l'affirmative. Le raisonnement de Qastallânî est le suivant:

L'amour dont il est question ici, c'est l'amour provenant de la foi, non l'amour purement instinctif. Ce que veut dire le Prophète ici, c'est que la réalité de la foi ne se parachève que si on atteint un amour d'une qualité différente de celui que l'on porte à ses père et mère, ses enfants ou soi-même.

L'amour  donne une autre dimension à la vie sociale

L'islam, c'est certes la pudeur envers soi-même et les autres, c'est ne pas nuire à autrui ni en parole ni en acte, donner à manger à autrui, le saluer, aimer pour autrui ce que l'on aimerait pour soi-même, mais c'est en même temps laisser se développer en soi un amour d'un autre niveau que celui qui nous lie à nos proches, celui pour le Prophète et pour Dieu, ou plutôt mettre ces deux amours en relation avec les autres, aimer autrui uniquement pour Dieu, c'est-à-dire non dans une perspective égoïste, mais dans une perspective qui toujours nous dépasse.       

Pour aller plus loin: Site islamica

 

 

 

 

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