<---- Les valeurs de l'islam (cours du 15,22 et 29 septembre et cours du 6 et 13 octobre)  ---->

 

Bibliographie             

 

Farid ESACK, Le Coran mode d'emploi, Paris 2002

Régis BLACHERE, Introduction au Coran, Paris

Jean-Claude VADET, Les idées morales de l'islam, PUF, 1995

M.H. BENKHEIRA, L'amour de la Loi: Essai sur la normalité en islam, 1997

Annemarie SCHIMMEL, L'islam au féminin, La femme dans la spiritualité musulmane, Albin Michel, 2000

Louis GARDET, Les hommes de l'islam, Hachette

Michel A. BOISARD, L'humanisme de l'islam, Albin Michel

Louis GARDET, M.-M. ANAWATI, Introduction à la théologie musulmane, Essai de théologie comparée, Paris, Librairie Philosophique J.Vrin

Louis GARDET, Dieu et la destinée de l'homme, Paris, Librairie Philosophie J.Vrin

Louis GARDET, La pensée religieuse d'Avicenne (Ibn Sînâ), Paris, Vrin, 1951

Louis GARDET, La cité musulmane, Vie sociale et politique, Librairie Philosophique J. Vrin

Henri LAOUST, La politique de Ghazâlî, Geuthner

Henri LAOUST, Les schismes dans l'islam, Paris Payot

Livres en allemand

H. STIEGLECKER, Die Glaubebslehre des Islam

Johan BOUMAN, Gott und Mensch im Koran

Annemarie SCHIMMEL, Und Muhammad ist Sein Prophet, Die Verehrung des Propheten in der islamischen Frömmigkeit, Diederichs Gelbe Reihe, Düsseldorf, Köln

Adel Theodor KHOURY, Toleranz im Islam

Peter ANTES, Der Islam : Religion, Ethik, Politik

Livres en anglais

A.J. WENSINCK, The Muslim Creed, Its Genesis And Historical Development, 304 p.

George HOURANI, Reason And Tradition in Islamic Ethics, 1989

Michael Allen COOK, Commanding Right And Forbidding Wrong in Islamic Thought, 2000

Hamilton GIBB, Studies in the Civilization of Islam

N.J. COULSON, A History of Islamic Law, Edinburgh Paperbacks

Ignaz GOLDZIHER, Introduction to Islamic Theology and Law, Princeton

Joseph SCHACHT, An Introduction to Islamic Law, Oxford

 

 

Le théocentrisme de l'islam

Dieu seul Créateur et seul Législateur, l'homme calife de Dieu

La foi est une praxis

                                                           

© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université de Strasbourg

LE THEOCENTRISME

Pour l'islam, Dieu est absolument transcendant: c'est le tawhîd, mot difficile à traduire, mais qui signifie" unifier Dieu"  c-à-dire non seulement  le considérer comme un et infrangible, mais le considérer comme seul axe de sa vie, construire sa vie et la société autour de Dieu seul: unité avec Dieu, avec la société, avec soi-même et la nature.

Cette conception est aux antipodes du modèle occidental où l'homme a perdu toute unité dans ses rapports avec la nature, la société et le divin. C'est le règne de l'individu, et de l'individualisme.

L'homme est séparé de la nature dont il s'est rendu maître et le propriétaire, l'a considéré comme un réservoir de matières premières et un dépotoir pour ses déchets. 

En Occident, l'homme moderne manipule sans vergogne  la nature à travers des techniques qui lui ont donné le pouvoir de détruire la terre et ceux qui l'habitent,  la nature n'a plus de signification pour l'homme occidental, alors qu'elle est, pour le Coran,  un réservoir de signes qui renvoient vers Dieu (sur la notion de signe, voir ici, sur la nature et les théophanies selon la phénoménologie religieuse, voir ici ).

D'où l'orientation eschatologique de l'éthique musulmane; il s'agit de créer une société qui permette au plus grand nombre d'accéder au Paradis. La société musulmane a donc un but qui la dépasse, un but sotériologique. Chaque musulman est impliqué dans ce but qui le dépasse,d'où l'un des commandements de base de l'éthique musulmane: chaque musulman doit veiller à "commander le bien et interdire le mal".

Dieu seul possède: l'homme calife de Dieu sur terre

En Occident, c'est le droit romain qui s'applique, qui définit la propriété comme étant le jus utendi et abutendi, le droit d'user et d'abuse. Le propriétaire a un pouvoir discrétionnaire sur ce qu'il possède.  

En droit français, l'entreprise étant considérée comme un prolongement du droit patrimonial, ses détenteurs peuvent en interrompre l'activité, la transmettre ou en licencier le personnel..

Selon la Loi islamique, la propriété n'est pas un droit de l'individu, ni d'ailleurs d'un groupe ou de l'Etat. Elle a une fonction sociale. Le propriétaire, quel qu'il soit, doit rendre compte de la gestion de sa propriété à la communauté et à Dieu: il n'en est que le gérant responsable (et l'homme est calife de Dieu sur terre), nos biens ne nous appartiennent pas, et la planète non plus, puisque c'est Dieu qui l'a créée.

Dieu seul législateur

De même que Dieu est le seul propriétaire, il est le seul Législateur. Tel est le principe de base de l'islam en sa vision de l'unité: le tawhîd

La communauté musulmane n'est pas fondée sur une déclaration des droits de l'homme, mais sur une révélation de ses devoirs. Les droits de Dieu sont prévalents sur les droits de l'homme. Le premier droit de Dieu est d'être adoré, parce qu'Il nous a créés et que nous sommes donc ses créatures.

Transcendance de la Loi

Le Coran ne considère jamais l'homme comme une réalité isolée, mais comme faisant partie d'un tout plus grand: la communauté, elle-même ordonnée à des fins plus hautes.

Le projet islamique n'est pas un projet de croissance et de puissance. La communauté islamique sert des buts qui la dépassent, des buts fixés par Dieu. Cette double transcendance de la communauté par rapport à l'homme, et de Dieu par rapport à la communauté, ne fonde donc pas une hiérarchie d'une oppression de l'homme par l'homme.  

LA NOTION DE CREATURE

Au centre de la réflexion de l'islam se trouve la notion de création et de créature. Dieu seul est créateur et il crée par sa parole le fiat divin.

Nous sommes donc des créatures, la preuve en est que nous sommes des mortels. Et donc si nous sommes des mortels, nous ne sommes que des créatures, et donc nous avons un créateur. Ce créateur a un nom: Dieu, et le Coran nous décrit les milles facettes de son activité créatrice. Il a créé l'univers, la terre, les plantes, les animaux, mais aussi les djinns et les anges. D'autres facettes sont suggérées par les 99 noms de Dieu.

Dieu par la parole "kun" (= sois !), sourate 36 à la fin, plus création de Jésus (Coran 3.37, 3.47).

Mais avant notre naissance, notre esprit la "rûh" (= hébreu ruach, grec pneuma) existait auprès de Dieu d'une manière non incarnée, la naissance marquant l'incarnation de l'esprit dans ce monde qu'on appelle la dunyâ  (= ici-bas).

Il existe un autre monde, celui de la résurrection, l'Âkhira (= l'Autre monde, l'Au-delà), auquel notre vie ici-bas doit nous préparer.

Entre la mort et la résurection, l'esprit retourne auprès de Dieu en attendant de recevoir un second corps, identique au premier corps, mais cette fois-ci incorruptible, c'est le corps de résurrection.

Quant notre esprit n'était pas encore incarné, il était auprès de Dieu, et il s'est soumis à son Seigneur, c'est l'a-lastu (Coran 7.172) et a donc reconnu la seigneurie de Dieu.

DIEU CREATEUR ABSOLU

 L'islam entend "création" au sens absolu: production d'une chose à partir du néant, passage du non-être à l'être. Le Coran, déjà, insiste que quand bien même nous pensons créer., c'est en fait Dieu qui crée à travers nous. Dans la pro-création précisément,  nous ne sommes créateurs que par procuration. Et c'est Dieu qui nous a donné procuration.

" C'est Dieu qui vous a créés, vous et ce que vous avez fait " (Coran 37.96).

Ce verset coranique a causé beaucoup de difficultés d'interprétation et pose en fait le problème de la prédestination. S'il est facile de comprendre pourquoi le Coran clame que Dieu nous a créés, il est moins facile de comprendre comment Dieu crée "ce que nous avons fait", donc nos actes.

Historiquement, trois interprétations ont été proposées.

1) Les mu'tazilites (le mu'tazilisme a été la doctrine officielle de l'empire musulmane de 827 à 847) professent que Dieu a créé directement le monde au début des temps. Mais pour les actes humains, c'est l'homme lui-même qui les crée directement. Il sont créés en quelque  sorte indirectement par Dieu, puisque c'est Dieu qui a doté l'homme du pouvoir créer ses propres actes.

2) Les maturidites font une distinction de type aristotélicien entre la substance et l'accident. Dieu crée la substance de tous les actes, y compris ceux de l'homme, mais c'est l'homme qui est responsable de l'accident, c-à-d de la qualification morale de l'acte, qui en fera un acte bon ou un acte mauvais. Dieu, par exemple, a créé en nous la faculté de parler (c'est la substance), mais n'est pas engagé dans l'utilisation que nous faisons de la parole (l'accident).

3) Les ach'arites affirment la création directe par Dieu à la fois de la substance et de l'accident. Dieu, dit al-Ach'arî (873-935), crée les actes bons comme les actes mauvais. Mais cela ne signifie pas que le Créateur soit injuste ou impie. "Dieu ne commande pas le mal, mais l'interdit. Il n'approuve pas le mal, alors même qu'Il le veut " (in Maqâlât). Par une telle formulation, al-Ach'arî tente évidemment de concilier l'inconciliable: la toute-puissance divine et la responsabilité morale de l'homme dans ses actes. 

Le Coran affirme concomitamment les deux, sans proposer de doctrine qui fasse le pont entre les ceux affirmations: " Dieu égare qui Il veut et dirige qui Il veut " (16.93, cf 76.29-30), "Le bien qui t'arrive vient de Dieu, le mal qu'il t'arrive vient de toi " (4.79). Cf. Esaïe 45.7: "C'est Moi qui suis le Seigneur, il n'y en pas d'autre. Je forme la lumière et Je crée les ténèbres. Je fais le bonheur et Je crée le malheur. C'est Moi le Seigneur qui fais tout cela"

Al-Ach'arî s'est sorti de ce dilemme par la doctrine de l'acquisition (iktisâb).  Certes, c'est bien Dieu, et Dieu seul,  qui crée tous les actes, y compris les nôtres,  les bons comme les mauvais. Mais d'un autre côté , les actes que nous commettons sont également bien les nôtres,  parce que nous nous les sommes acquis. Mais nous ne faisons précisément que les acquérir sans les avoir créés. Cette acquisition fait que ces actes nous seront imputés juridiquement et que nous répondrons d'eux devant la Loi  ici-bas et de manière ultime au Jugement Dernier

DIEU CREATEUR DE L'ÊTRE HUMAIN, DES CIEUX ET DE LA TERRE

Devant Dieu l’homme est donc avant tout créature ; Dieu est créateur des cieux et de la terre, mais il est aussi notre propre créateur, car c’est Dieu qui a donné procuration à nos parents pour nous engendrer, et qui nous donne souffle de vie à chaque instant de notre existence. C’est Lui aussi qui nous retirera ce souffle, quand Il le voudra bien , mettant ainsi fin à notre séjour ici-bas.

Dieu a créé les cieux et la terre, et l’homme ne peut qu’être stupéfait devant la beauté de l’ouvrage : admirer la magnifique régularité du ballet des astres, du soleil et de la lune, du retour de la pluie après la sécheresse, des plantes qui reprennent vie au printemps après avoir été brûlée par les rayons ardents du soleil de l’été.

Devant tant de bonté et de beauté, l’homme ne peut que dire Allahu akbar (" Dieu est plus grand "), se mettre à genoux et se prosterner, cinq fois par jour ou plus. Mieux, chaque instant de sa vie sera adoration de Dieu, même dans les détails les plus intimes de la vie quotidienne. Son vêtement, l’ample djellaba, lui permettra de passer sans changer de tenue de ses activités quotidiennes à la purification de soi-même et à la louange de Dieu, la prière étant un tête-à-tête avec Dieu où la créature et le Créateur se retrouvent dans leur intimité.

On dit alors en arabe aslama wajhahu " il a incliné sa tête en signe de soumission ".

TOUTE CREATURE ADORE DIEU DANS SA PROPRE LANGUE

Le Coran enseigne, du reste, que toute créature adore Dieu, chacune dans sa propre langue, que ce soit le bourdonnement d'une abeille, le parfum d'une fleur ou simplement par le lisân al-hâl, "le fait qu'elle soit ainsi et pas autrement".

Le grand soufi Dhû n-Nûn al-Mis (m. en 860) ne s’y est pas mépris, puisqu’il dit dans l’une de ses prières :

Ô Dieu, je n'écoute jamais la voix d'un animal ou le bruissement d'un arbre, le murmure d'une source, ou le chant d'un oiseau, le souffle du vent, ou le grondement du tonnerre sans trouver qu'ils témoignent de Ton unicité et signalent qu'il n'y a personne d'autre comme Toi, Toi qui est Celui qui embrasse tout, l'Omniscient

LES DROITS DE DIEU

D’être adoré par sa créature est le premier droit de Dieu sur l’homme, selon le célèbre texte de la Sunna (Sahîh de Bukhârî, livre 97). Dans ce texte, il est dit que les droits de Dieu prévalent sur les droits de l'homme, et que le premier droit de Dieu sur l’homme est précisément d’être adoré par lui.

Dans l’œuvre divine, c’est bien Dieu qu’il convient d’adorer, et non son œuvre, ce qui serait le premier pas vers l’idôlatrie.

Le Coran (38.32) blâme Salomon qui aimait tellement ses juments qu’il avait oublié qu’elles n’étaient que de simples créatures de Dieu.

Les soufis de leur côté louent le célèbre geste de Rabî’a al-‘Adawiyya (morte en 801) qui fermait ses volets au printemps, sans contempler les fleurs de son jardin, et préférait se perdre dans la contemplation de Celui qui avait créé les fleurs et les pétales, de peur de s’éprendre de la beauté des fleurs plutôt que d’être éprise de leur Créateur.

L'HOMME CALIFE ET MANDATAIRE DE DIEU SUR TERRE

L’homme, dit le Coran, est calife de Dieu sur terre. Donc, l’homme n’est pas Dieu, et il convient qu’il reste à sa place modeste de calife, c’est à dire étymologiquement de lieu-tenant de Dieu sur terre.

D’abord sa vie ne lui appartient pas. Elle appartient à Dieu. Ses biens ne lui appartiennent pas non plus, ils lui sont prêtés par son Créateur pour la durée de la vie et il devra rendre compte de l’usage qu’il en aura fait au Jugement Dernier. Faut-il le dire ? La planète ne lui appartient pas non plus, et l’homme devra rendre compte de sa gestion à son mandant, donc à Dieu.

Dieu est notre créateur et nous sommes sa créature.

En tant que notre créateur, Il nous suffit, et Il est notre seul indispensable. Dieu ne suffit-Il point à son serviteur ?" (Coran 39.36).

C’est ce que dit aussi un hadîth rapporté dans la Sunna, selon lequel le Prophète, invoquait ainsi Dieu dans la prière qu’il Lui adressait à chaque soir avant de se coucher : Gloire soit à Dieu qui m'a donné à manger et à boire. Il est le seul indispensable. Il nous a donné un abri. Combien n'ont rien ni personne qui leur suffise, combien n'ont point d'abri !

Tout ce qui est indispensable est en Lui, renchérit Bayhaqî (mort en 1066) , à Lui seul l'adoration est due, vers Lui seul doit aller le désir, de Lui seul vient l'espoir.

Notre vie ne nous appartient pas, mais appartient à Dieu.

L’homme n’est maître d’aucun des biens auquel il doit la vie. Il n’est même pas maître de son destin : car , à bien y regarder, Dieu dirige secrètement nos vies.

Jean-Claude VADET, dans Les idées morales de l’Islam dit fort justement 

En fait, pour qui cherche le fond des choses et ne s'arrête pas à une vue superficielle des événements, il est fort possible qu'en certains cas du moins il n'y ait, sur la scène de ce monde, d'autre action que de Dieu et la toute-puissance dont sa nature, si élevée au-dessus de celle des hommes, est la détentrice. Dieu peut intervenir à son gré dans les actions des hommes ou se substituer à eux, sans que ces derniers sachent seulement qu'ils sont mus et gouvernés jusque dans les mouvements apparents de leur libre arbitre. "

LOUER DIEU

Se reconnaître comme créature devant Dieu, c’est louer Dieu….

Mais louer Dieu, ce n’est pas seulement lui rendre un culte, mais se tourner vers autrui :

La piété ne consiste pas à tourner vos visages vers l'Orient ou l'Occident. Mais la véritable piété, c'est celle de celui qui croit en Dieu, au Jour Dernier, aux anges, au Livre et aux prophètes, c'est celle de celui qui, pour l'amour de Dieu, donne de son bien à ses proches, aux orphelins, aux malheureux, aux voyageurs et aux mendiants, ou l'emploie pour racheter les captifs; c'est celle de celui qui accomplit la prière et s'acquitte de l'aumône; c'est celle de celui qui tient les engagements qu'il a contractés, de ceux qui sont constants dans l'adversité la souffrance et aux jours de détresse. Voilà les croyants sincères, voilà ceux qui craignent Dieu (Coran 2.177)

Pour l'islam, la relation à Dieu ne peut être purement abstraite, elle a besoin de s'exprimer dans le vécu, dans le tissu de la vie quotidienne individuelle et de la cité, sinon elle risquerait d'être vidée de toute substance. La foi est un vécu individuel et social (voir ci-dessous, la foi comme praxis).

LES DEUX SORTES DE VERSETS DU CORAN

Il y a dans le Coran deux sortes de versets:

1) des versets de type parénétique (exhortations, récits sur les Prophètes, sur la Création, sur la fin des temps et le jugement dernier).

2) des versets éthico-juridiques, surtout présents dans les sourates médinoises (révélées entre 622 et 632, l'ensemble des sourates médinoises forme un peu plus du tiers, exactement 35 % du Coran). Ces versets sont peu nombreux (3 à 5 % sur 6234 versets), mais sont d'une extrême importance pour l'élaboration de la charia. Ce sont des versets d'une vigueur et d'une concision extrêmes: c'est pour cette raison qu'ils ont donné lieu à de multiples interprétation par les docteurs de l'islam (par exemple dans la sourate 4, ébauche du droit successoral).

Les docteurs de l'islam professent  que le Coran apparaît sous deux aspects:

1) hukm: prescription légale en tant qu'il fixe ou abroge d'une manière cursive les règles qui conditionnent le devenir commun des humains

2) hikma: c-à-d "sagesse" avec son accompagnement d'"incitation à l'espoir du Paradis" (targhîb) et "de mise en garde par la crainte de l'Enfer" (tarhîb).

La sourate 3 fait une autre distinction:

1) entre sourates d'une certitude limpide (muhkamât) établies une fois pour toutes

2) et les autres sourates (mutashâbihât) propices à inpirer des doutes, et qui font l'objet de discussions diverses.

Le peuple de Dieu

Les théologiens musulmans considèrent que les deux parties du Coran (parénétique et éthique) se renforcent l'une l'autre. Les prescriptions légales sont renforcées par la sagesse des versets parénétiques qui développent en nous  le désir de paradis et la crainte de l'enfer .

Le but de la Loi est de rendre parfaite la société humaine et donc de faire de la communauté à laquelle s'adresse le Coran véritablement le peuple de Dieu sur terre,  celui qui  " ordonne le bien et interdit le mal ".

Dieu en tant que Mystère suprême (ghayb)

Dans le Coran, Dieu ressortit du ghayb (le Caché, l'Inconnaissable). De ce ghayb, de la nature profonde de Dieu, nul n'est conscient ici-bas, même pas les prophètes qui ne déchiffrent que ce que le Seigneur veut bien leur laisser voir des signes de sa toute-puissance.

Dieu et ses signes

Dieu, bien que ses desseins soient cachés et qu'ils tendent à une fin que l'homme ne peut connaître est présent dans la nature où il a gravé ses signes.

Dieu est le créateur suprême: Coran 2.164 30.20-21 et 23-24.

Et l'homme, en tant que créature, ne peut que s'agenouiller et prier.

Le Dieu créateur de toutes choses est un Dieu qui fait irruption dans nos affaires humaines, quand il ne les dirige pas de l'intérieur. Dieu peut manifester sa présence particulière par sa sakîna. Il l'a fait notamment pour protéger le Prophète lors de l'hégire en 622, quand le Prophète s'était réfugié dans une caverne, pour se soustraire à ses poursuivants.

Les Prophètes demandent l'obéissance et jouent le rôle d'intermédiaire entre la communauté et Dieu.

Outre Dieu, le Prophète est le fondateur de la communauté musulmane. Le Prophète, comme le tous les Prophètes, notamment Jésus en Coran 3.50, exige l'obéissance. Mais pour ce faire, il n'a que deux moyens à sa dispositions: promettre des récompenses éternelles au Paradis et des châtiments éternels en Enfer. Il est donc à la fois bashîr "celui qui annonce une bonne nouvelle" et nadhîr ("celui qui met en garde").

Le Prophète sert, dans ses prières et dans tout le côté surnaturel dont les fidèles n'ont pas forcément conscience, d'intermédiaire entre Dieu et les hommes, pour les mener, si possible, au Paradis (Coran 4.69).

L'obéissance au Prophète a une grande importance sociale. C'est grâce à cette obéissance, en tant que principe d'unité et de cohérence diffuse dans les coeurs, que les litiges s'apaisent et que la paix règne entre les hommes.

La walâya

La solidarité entre les hommes, provoquée par leur commune obéissance au Prophète, est exprimé par le terme arabe de walâya, qui provient d'une racine signifiant "être proche, être ami". C'est en quelque sorte l'Amitié qui lie Dieu à l'homme et l'homme à Dieu et qui aboutit au pacte de solidarité entre tous les membres de la Communauté.

Naturellement cette relation d'amitié peut demander de grands sacrifices. Dieu peut nous demander jusqu'à l'offrande de notre vie.

Voici un hadith rapporté dans le Qût al-qulûb de Makkî, qui exprime très bien cette idée: 

"On rapporte qu’un homme a dit:

 - O Envoyé de Dieu, je t’aime

- Prépare- toi à la pauvreté ! répondit-il

 - J’aime Dieu ! reprit-il

  Dans ce cas, prépare-toi aux épreuves ! rétorqua le Prophète"

 

LA FOI EST UNE PRAXIS

 

La foi introduit dans le réseau de la solidarité sociale:

" Un homme demanda au Prophète: Quelle attitude dans le don de soi à Dieu (islâm) est la meilleure ?

C'est donner à manger, répondit le Prophète, [à ceux qui ont faim] et saluer ceux que l'on connaît comme ceux que l'on ne connaît pas ". ( Bu 2.5.1) 

Elle touche à la racine même de l'acte, en le spiritualisant, en l'intériorisant:

"Aucun d'entre vous n 'aura vraiment la foi, à moins qu 'il ne désire pour son frère ce qui 'il désire pour lui-même"  ( Bu 2.6.1) .

La notion de musulman se spiritualise:

" Le véritable musulman, c 'est celui dont les musulmans n 'ont à craindre ni la langue, ni la main . Le véritable émigrant, c 'est celui qui fuit ce que Dieu a prohibé " (Bu 2.3.1) .

Le véritable muhâdjir ("émigrant"), c'est celui qui respecte l'intégrité de son frère dans la foi, non forcément celui qui a simplement émigré géographiquement de La Mecque à Médine. La véritable émigration est une émigration intérieure, fuir le péché pour le perfectionnement intérieur.

Il y a ici une tentative de dépassement de l'horizon borné et une tension vers une formulation plus générale et plus sociale de ce qu'est le don de soi-même à Dieu (islâm).

La pudeur est une branche de la foi:

C'est ce qu'exprime un célèbre hadîth de Bukhârî (2.2.1)

" La foi, c'est soixante et quelques branches.  Et la pudeur est une branche de la foi "

Ce hadith dit deux choses: A.  la foi s'incarne dans de nombreuses branches,  B. et elle s'incarne tout particulièrement dans la pudeur.

A.   Le dénombrement des branches de la foi

Voici le dénombrement des oeuvres de la foi proposé par Ibn Hibbân (m. 354/965) . Les branches de la foi, selon lui, se subdivisent en oeuvres du coeur, de la langue et du corps.

Les oeuvres du coeur (comme la foi et l'intention) peuvent être présentées en vingt-quatre articles:

  1. foi en Dieu; entrent dans ce chapitre la foi en son essence et ses attributs, en son unicité, la croyance qu'il n' y a pas d'autre comme lui et la croyance au caractère contingent de ce qui est autre que Lui,
  2. foi dans les anges,
  3. dans les Livres révélés,
  4. dans les Envoyés,
  5. dans le Décret pour le bien et le mal,
  6. dans le Jugement Dernier: interrogatoire dans le tombeau, résurrection, rassemblement de toute l'humanité, reddition des comptes, Balance eschatologique, pont Sirât, Paradis et Enfer.
  7. Amour de Dieu
  8. Aimer et détester à cause de Lui
  9. Aimer le Prophète et croire en sa grandeur
  1. suivre sa Sunna
  2. absolue sincérité et pureté dans l'adoration (ikhlâs): abandonner toute ostentation et hypocrisie
  3. revenir à Dieu
  4. craindre Dieu
  5. espérer en Dieu
  6. gratitude envers Dieu
  7. loyauté
  8. constance dans l'épreuve
  9. se satisfaire de ce qui a été prédéterminé pour nous par Dieu
  10. s'abandonner entièrement à Dieu
  11. miséricorde et compassion
  12. humilité
  13. abandonner tout orgueil
  14. abandonner toute idée de vengeance
  15. abandonner toute colère.

Les oeuvres de la langue: au nombre de sept:

  1. confesser l'unicité et l'unité absolues de Dieu
  2. réciter le Coran
  3. apprendre la Science sacrée
  4. l'enseigner
  5. l'invocation du nom de Dieu
  6. faire mémoire du nom de Dieu
  7. éviter les paroles inutiles.

Les oeuvres du corps (au nombre de trente-huit)

a) concernant les individus (quinze):

  1. pureté et purifications
  2. s'habiller décemment et couvrir la nudité
  3. prières obligatoires et surérogatoires
  4. aumône légale
  5. affranchissement des esclaves
  6. générosité (y compris donner à manger aux hôtes et les honorer)
  7. jeûnes obligatoires et surérogatoires
  8. pèlerinage majeur et pèlerinage mineur
  9. circumambulation autour de la Ka'ba
  1. retraite pieuse
  2. célébrer la Nuit du Destin
  3. émigrer à cause de la religion
  4. tenir ses voeux
  5. examiner scrupuleusement sa foi
  6. s'acquitter des expiations

b) observances familiales (six):

  1. être chaste par le mariage
  2. subvenir aux besoins de sa famille
  3. piété envers les parents y compris éviter de désobéir aux parents
  4. bien éduquer les enfants
  5. respecter les liens familiaux
  6. obéissance aux maîtres pour les esclaves et bon traitement des esclaves pour les maîtres

c)  devoirs sociaux (dix-sept):

1) user de l'autorité avec justice

  1. s'occuper de la collectivité
  2. obéir à ceux qui détiennent l'autorité
  3. réconcilier les gens (y compris combattre les Kharédjites et tous les extrémistes)
  4. aider à la piété 'y compris commander le bien et interdire le mal)
  5. faire respecter les peines de droit qui limitent l'action humaine (hudùd)
  6. la militance par le djihâd ( y compris stationner dans un couvent-forteresse, ribât).
  7. s'acquitter du quint
  8. prêter et respecter les prêts
  1. honorer les voisins
  2. avoir de bonnes relations sociales (gagner de l'argent de manière licite)
  3. dépenser son argent de manière licite sans gaspillage
  4. rendre le salut à autrui
  5. ne pas éternuer en public
  6. ne pas nuire à autrui
  7. éviter les paroles inutiles
  8. enlever les embûches du chemin d'autrui.

B. La pudeur 

 

Pour aller plus loin: Site islamica

 

 

 

<

 

<