Ralph Stehly

Un traité d'éthique islamique: le Kitâb al-Kabâ'ir de Shams ad-dîn al-Dhahabî (3)

Chapitre premier

Shams ad-dîn al-Dhahabî: Quelques données sur sa vie et son oeuvre

 

Accueil de la section  Accueil du site "Islamica"  Accueil du site "Orient"

 

<---------

 

      Ibn al-Wardî (1)  et Abû 1-Fidâ font cependant entendre un autre son de cloche : atteint de cécité en 743/1342-43 et voyant sa fin approcher, il aurait composé des biographies de certains de ses contemporains encore en vie à partir d'informations tendancieuses, portant ainsi atteinte à leur honneur.

 Le spécialiste du hadith

On sait que c'est, dans une large mesure, grâce au génie de Shâfi'î (m. 204/820) que le hadith fut reconnu comme fondement (2) de l'islam après le Coran. Mais dès avant la composition des grands recueils reconnus, le corpus de la Tradition avait énormément grossi, avec tous les hadiths apocryphes qu'un développement si important pouvait susciter.

 Ainsi beaucoup de matériaux avait été habilement contrefaits pour authentifier telle ou telle doctrine post-muhammadienne. 

Pour tenter de trier le bon grain de l'ivraie, on essaya de tout d'abord d'établir la qualité de 1'isnâd par une sévère critique externe, puis on se mit à passer au crible la biographie des garants apparaissent dans les chaînes d'isnâd pour déceler les impostures flagrantes (personnes n'ayant pu se rencontrer matériellement ...) et juger de leur qualité. 

Ainsi apparurent au 3ème/9ème siècle des listes de personnes avec leur chronologie et des jugements sur le crédit à leur accorder. On trouve des notes sur les qualités des traditionnistes déjà dans les recueils canoniques de traditions et les Sunan de Dârimî. C'est ainsi que se constitua la branche de la science du hadith connue sous le nom de al-djarh wa-t-ta'dîl (récusation et agrément). 

La polémique sur le crédit à accorder à tel ou tel garant fut longue à s'éteindre, puisque Hâkim (4) (m. 405/1084) y a consacré son Mustadrak et qu'elle fut l'occasion pour Dhahabî d'écrire un de ses plus célèbres ouvrages le Kitâb mîzân al-i'tidâl fi naqd ar-ridjâl, qui est un dictionnaire alphabétique des traditionnistes apocryphes et des traditionnistes faibles. Sur cet ouvrage Subkî  (5) nous a conservé les commentaires de son maître:

"Parmi les propos de notre cheikh Abû 'Abd Allâh ce qui m'étonne le plus, c'est le chapitre qu'il écrivit après la composition du Kitab al-mîzân .J'en rapporte une partie:

J'ai cité dans mon ouvrage Al-mîzân un grand nombre de garants dignes de foi (thiqa) sur lesquels Bukhârî, Muslim etc.. se sont appuyés, parce que leur nom est inscrit dans les ouvrages de récusation (djarh). Je ne les ai pas cités parce que selon moi il y a une faiblesse en eux, mais pour qu'on sache la chose. Je ne cesse de tomber sur tel ou tel garant digne de foi, et je trouve à son- sujet des paroles indignes. Si nous ouvrions cette porte pour nous-mêmes, il rentrerait beaucoup de Compagnons, de Successeurs et d'imam " En effet, certains Compagnons en accusèrent d'autres d'impiété en se fondant sur telle ou telle interprétation (que Dieu soit satisfait d'eux et leur pardonne !). Ils ne sont point infaillibles. Ni leurs dissensions, ni leurs conflits ne sont de nature à les rabaisser (6) à nos yeux en aucune façon. Ce n'est pas à cause l'accusation d'impiété portée contre eux par les Kharédjites que leurs hadîth ont été amoindris ; bien au contraire, les propos des récusateurs (djârih) et des Chî'ites à leur sujet se retournent contre leurs accusateurs.

[...] Quant aux Successeurs, on y chercherait presque le traditionniste qui transmet des propos mensongers de façon délibérée. Toutefois, ils ont commis des erreurs et se sont trompés.

[...] Quant aux compagnons des Successeurs on en trouve à leur époque, qui rapportèrent délibérément des faits mensongers ou qui commirent de nombreuses erreurs ou se laissèrent aller à des divagations " Ainsi l'imam Malik an-Nadjm al-Hâdî. Aucun propos de lui n'est à conserver. Ainsi également Awzâ'î  ; souvent son témoignage est unique et erronée. Ses traditions en provenance de Zuhrî  sont sujettes à caution. Ahmad b. Hanbal ( a dit à son sujet:  "ses hadîth sont faibles ainsi que son libre jugement". On l'a chargé à cause de la signification de ces termes. Des gens dont on ne connaît rien ont émis des avis au sujet de Zuhrî parce qu'il se teignait les cheveux en noir, portait l'habit de soldat et.servait chez Hishâm b. 'Abd al-Mâlik .

[...] Puis il [Dhahabî] mentionne beaucoup de gens de cette espèce, c'est-à-dire des gens auxquels les paroles d'autrui à leur sujet ne portent aucun tort, bien au contraire c'est le locuteur qui subit le préjudice. Parmi eux, il y a Fudayl b. 'lyâd,  c'est un garant éminent, sans conteste possible. Pourtant Ahmad b. Haytama  a dit de lui:  j'ai entendu dire Qutba b. al-'Alâ' : "je ne prends plus en considération le hadîth de Fudayl b. 'Iyâd parce qu'il a rapporté des faits où il discrédite 'Alî     b. 'Uthmân b 'Affân (que Dieu soit satisfait de lui  ! )" En fait, il n'a pas entendu les propos de Qutba et qui est Qutba.

[... Parmi eux, il y a Muhammad b. Idrîs as-Shafi'î, 1 ' imam à cause de l'excellence duquel les voyageurs prennent la route, pour son savoir aussi , la confiance qu'on peut mettre en ses avis et les garanties qu'offrent ses  ---->

 

_________________

  1. II 349.
  2. El, 2ème édition, art. Djarh, II p. 25.
  3. C'est-à-dire la chaîne des garants.
  4. Dont Dhahabî a fait un mukhtasar .
     (5) V 213-221.

      (6) Ar. layyana, c'est-à-dire les déclarer"layyin al-hadîth", faibles en traditions. On sait que les quatre catégories <

de transmetteurs dont les traditions peuvent être acceptées sont :

    1. thiqa (digne de foi) ou mutqin (exact)
    2. sadîq (sincère)
    3. chaykh
    4. sâlih al-hadîth (bon en traditions)

Les quatre classes dont l'autorité est moindre sont:

    1. layyin al-hadît(faible)
    2. laysa bi-qawin (pas fort)
    3. matrûk al-hadith. (dont les traditions doivent être abandonnées)
    4. dhâhib al-hadîth ou kadhdhâb (menteur).