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Ralph Stehly

Un traité d'éthique islamique: le Kitâb al-Kabâ'ir de Shams ad-dîn al-Dhahabî (9)

Chapitre deuxième:

Quelques points de repère sur l'élaboration de la doctrine  des fautes graves dans le sunnisme

(nombre et définition)

 

"Toute faute (dhanb) que Dieu a mise en relation avec le Feu fait partie des fautes graves" (1) 

"Tous les actes mauvais (mûgibât)".(2)

"Les fautes graves sont tout acte mauvais au sujet duquel Dieu a prescrit impérieusement (awjaba) le Feu ; toute action passible de la peine hadd fait partie des fautes graves" (3)

"Tout ce au sujet de quoi Dieu a prescrit le Feu dans l'Autre monde et les peines hadd ici-bas " (4)

"Toute faute (dhanb) à propos de laquelle Dieu a menacé [son auteur ] du Feu " (5)

Une conclusion s'impose s'il n'y a guère de correspondance entre ces définitions et les listes de fautes spécifiques. Cette hétérogénéité si patente amènera divers essais de systématisation de la notion de faute grave qui tenteront soit de couler les kabâ' ir déterminés s par la Sunna dans une définition adéquate soit inversement de cerner l'ensemble des fautes graves à partir d'une définition générale"

2. - Les essais de systématisation

Cette multiplicité de listes divergentes ne pouvait que laisser sceptiques certains esprits épris de classement logique. Le premier essai de systématisation est celui d'Abû Tâlib al-Makkî (6).

 A. Al-Makkî (m. 386/996)

Makkî commence par citer les principaux hadîth-s qui donnent des nombres allant de quatre à soixante-dix fautes graves. Mais ajoute-t-il, il est aussi permis de penser qu' " elles [les fautes graves] sont inconnues (mabham) ; on ne connaît pas la réalité de leur nombre, à l'instar du mystère (ibhâm) de la Nuit du Destin, de l'heure de la prière du vendredi, et de la Prière Médiane ( salât al-wustà), ceci pour que les gens demeurent dans un état de crainte,  et d'espoir, de peur d'être empêchés d'atteindre telle chose ou de se complaire dans te!le autre... " (7) â la suite de quoi Makkî livre une liste qui n'est autre qu'une synthèse, des listes préexistantes. Ce qui est nouveau par contre c'est le principe de classement. Makkî distribue les fautes en quatre catégories salon qu'elles concernent le coeur, la langue, le ventre, les parties sexuelles, les mains, les jambes ou tout le corps. Il aboutit ainsi à seize fautes dont voici le détail  (8) .

Quatre fautes concernent le coeur :

associationnisme, 

persévérance dans la désobéissance à Dieu (al-isrâr 'alà ma'siyati Llâh),

désespérance de la miséricorde de Dieu,

se sentir à l'abri de la ruse de Dieu.

Quatre concernent la langue:

- faux témoignage,

- imputation calomnieuse de fornication concernant un muhsan libre et adulte,

- faux serment,

- magie.

Trois concernent le ventre:

la consommation de boissons enivrantes,

détournement des biens de 1'.orphelin,

pratique de l'usure,

Deux concernent les parties sexuelles (fardj): fornication, sodomie ( liwât)

Deux concernent les mains:

homicide, vol qualifié

Une concerne les jambes : la fuite au combat:

Une concerne le corps tout entier:  l'impiété envers ses père et mère

 

B. La position d’Ibn Hazm (m. 456/1064)

Dans son ouvrage Ar-radd 'alà  bni n- Nighrilla al-Yahûdî, Ibn Hazm a consacré quelques pages  à la question des kabâ'ir. Voici la traduction des passages qui nous intéressent :

"Il reste la question des fautes graves. Il nous faut l'examiner, car nous avons trouvé que les opinions à ce sujet divergeaient. Certains disent qu'elles sont au nombre de sept" Ils invoquent le hadîth du Prophète  "Evitez les sept mûbiqât" A la suite de quoi, il  mentionne 1'associationnisme, la magie, l'homicide, le prélèvement sur les biens de l'orphelin, l'usure, la fuite au combat, l'imputation calomnieuse de fornication à l'égard des femmes muhsan et croyantes qui ne pensent point à mal. On rapporte également d'Ibn 'Abbâs qu'il a dit:  "Leur nombre est plus proche de soixante-dix que de sept". Il nous faut examiner ce en quoi les opinions divergent et renvoyer au Coran et au hadît^ sain provenant du Prophète selon l'ordre du Seigneur:  "Si vous vous disputez au sujet de quelque chose, renvoyez cela devant Dieu et l'Apôtre, si vous vous trouvez croire en Dieu et au Dernier Jour" (3) Ce faisant, nous trouvons le hadith sus-mentionné qu'invoquent ceux qui soutiennent que les fautes graves sont sept et pas davantage. Il n'y a pas de texte qui dise qu'il n'y a de mûbiqât que ce qu'il y a de cité. II n'y a pas dans le hadîth, quoi que ce soit qui interdise l'existence d'autres mûbiqât , si toutefois un autre texte en fait état.  Mais si nous ne trouvons pas d'autre texte disant qu'il n'y a pas de fautes graves hormis les sept mentionnées, alors il nous faudra nous restreindre au contenu de ce hadîth. Par contre, si nous trouvons un autre texte établissant l'existence de fautes graves non mentionnées dans ce hadîth, alors il nous faudra compléter les mûbiqât sus-mentionnées, parce qu'il n'y a pas de parole du Prophète  qui soit plus recevable qu'une antre ; toute parole de lui doit être prise en considération. On ne saurait y trouver de contradictions , puisque tour parole v vient de Dieu. Dieu Très-Haut a dit "Il ne parle pas par  sa propre impulsion". Il n ' y a aucune matière à divergence dans ce qui vient de Dieu, car Dieu a dit:  " Si celle-ci venait d'un autre que Dieu, ils y trouveraient des contradictions nombreuses" (2).

Il convient donc, d'après ce que nous venons de dire, de mettre ensemble tout ce qui existe dans les textes, de ne rien en rejeter et d'en ajouter les éléments les uns aux autres. Après avoir examiné le problème, nous avons trouvé qu'il (la paix soit sur lui ! ) a mis au nombre des fautes graves dans des textes de sa bouche des fautes autres que celles mentionnées dans le hadîth cité en premier lieu. Il s'agit des paroles mensongères (qawl az-zûr), du faux témoignage, de l'impiété à l'égard de ses père et mère, du mensonge contre l'Envoyé de Dieu et de l'injure à l'égard de ses père et mère. Le Prophète  a menacé violemment du Feu quiconque se rend coupable, des actes suivants s impiété (kufr) impiété envers Celui qui l'a gratifié de la Vérité (kufr ni'mat al-muhsin bi-1-haqq) lamentation lors des funérailles, se raser la tête, déchirer les djuyûb, (3) calomnie, ne pas se garder de l'urine, rompre les liens du sang, consommer des produits enivrants, maltraiter les animaux en ne les égorgeant pas pour manger d'eux ce qu'il est licite ou permis de manger, laisser traîner par terre son izâr (4) refuser le surplus de l'eau, tromperie (ghulûl) , faire acte d'allégeance aux imam pour des raisons mondaines (s'y conformer s'ils répondent à l'attente et ne pas s'y conformer, s'ils n'y répondent pas). De même, il a menacé quiconque lèse par un serment les droits d'un musulman, l'imâm qui trompe ses sujets, quiconque revendique un autre père que le père réel, l'esclave fugitif, quiconque commet des abus de confiance (ghalla), quiconque revendique ce qui n'est pas à lui, quiconque maudit ce qui ne mérite pas d'être maudit, quiconque déteste les Ansâr, quiconque néglige la prière, quiconque néglige l'aumône, quiconque déteste 'Alî.

[...] Sachez que Dieu  a pris l'initiative de nous faire cinq dons gracieux de grande importance (N'est perdu auprès de Dieu après cela que celui qui de toute façon est perdu ! ):

1) Il efface les fautes légères à condition qu'on évite les fautes graves. Même si un individu aborde le Champ de la  résurrection avec tant de fautes légères qu'elles rempliraient la terre, à condition qu'il n'ait pas commis de fautes graves ou qu'il se soit repenti après en avoir commis, Dieu ne lui demandera pas de comptes à leur sujet. Dieu Très-Haut a dit:  "Si vous évites celles des fautes graves qui vous ont été interdites, Nous effacerons pour vous vos mauvaises actions et nous vous ferons entrer {dans des Jardins], avec honneur". (1)

  1. Quiconque multiplie les fautes graves, si Dieu lui accorde la grâce d'un pardon plein et entier avant sa mort, celles-ci tombent en totalité et son Seigneur ne le châtiera pas. C'est là le consensus de la Communauté.
  2. Quiconque commet des fautes graves, pour autant que Dieu le veuille, puis meurt, alors qu'il persistait à les commettre, si ses bonnes actions et ses mauvaises actions sont équivalentes, de telle façon qu'aucune mauvaise action ne fasse pencher la balance, il lui sera pardonné et il ne sera pas châtié pour ses actes. Dieu a dit:  "Les bonnes oeuvres dissipent les mauvaises" (2) et "Celui dont lourdes sont les oeuvres ..." (3)
  3. Le Très-Haut compte pour une les mauvaises actions et pour dix les bonnes. Dieu Très-Haut donne le double à qui Il veut.
  4. Le.Très-Haut a établi que la rétribution commencera par le châtiment de celui chez qui les manquements (khatî'a) sont légion et chez qui le mal l'emporte sur le bien. Puis il l'en éloignera à la suite de l'Intercession (shafâ'a) et le fera pénétrer dans le Jardin où Il  lui fera don de l'éternité. Il ne commencera pas par la rétribution des bonnes actions dans le Jardin, à la suite de quoi Il le transférerait au Feu. Pourrait-il, en effet, y avoir après cette grâce un autre lieu de séjour ? Nous demandons à Dieu de ne pas nous mettre au nombre de ceux qu'il châtiera.       --------------------->

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(^ Tafs£r9 ibxd. (5a*îd b. Gubayr). v

<2) Tafsîr, ibid. (Mugâhid). Mugâhid b. Gabr, traditionniste et commentateur du Coran, de la Mecque" Mort en 104/722.

  1. Tafsîr, ibido (Dahhâk). Ad-Dahhâk b. Sufyân b* *Awf b. Ka*b, compagnon du prophète, mort en 11/632.
  2. Zâd 11 62s (Ibn "Abbâs).
  3. Ibid. (Hasan, Sa'îd b. Subayr, Mugâhid, Daljhâk, Zaggâg).
  4. QÛt II 147s.

 

7. Ibid.

8. Classement cité par de nombreux auteurs postérieurs dont Ghazâlî, Ihyâ', IV 14 s, Ibn Qudâma, Minhâdj p. 271-272, et Djîlânî,  Ghunya I 130-136.

(9) On remarque qu'il s'agit, là d'une reprise textuelle des
listes 'théologiques".

(1) Ibn Hazm al-Àndalusî, A;--radd QalabnL n-Nigrilla .al-Yahûdl. tahqîq ad-Doktôr IhsIn~TAbbâs, Le Caire, 1380/1960.

  1. P. 141 s*
  2. Coran 4/59"

 

  1. Coran 53, 3C
  2. Coran 4, 84/82o
  3. Ouverture dans la chemise qui sert de poche pour ceux qui portent une ceinturée
  4. Manteau ou pagne qui couvre la moitié inférieure du corps©

 

  1. Coran 4, 35/31 (traduction personnelle).
  2. Coran 11, 117/114.
  3. Coran 101, 5/6. La phrase se termine ainsi au verset 5/7 "... connaîtra une vie agréable".