Cours du 2 mai 2013



Deux grands maîtres spirituels du 20ème s.: Śrî Aurobindo et Krishnamurti



I Śrî Aurobindo (1872-1950)

 

    

 

Sri Aurobindo        La Mère - Mirra Alfassa   1878 - 1973

       Shrî Aurobindo            Mira Richard, "La Mère"

Les débuts

Shrî Aurobindo (la forme sanskrite de son nom est "Aravinda" = "lotus") naquit le 15 août 1872 à Calcutta (Kâlîkâta = "ville consacrée à Kâlî"), capitale du Bengale. Il était de la caste des kshatriya-s (la deuxième caste de l'Inde après les brahmanes). Il fit ses études primaires, secondaires et supérieures en Angleterre. 

Son premier poste fut un poste de lecteur de français dans un collège universitaire de Baruda. En 1901, à l'âge 29  ans, il se maria avec Mrinalini Bose, âgée de 14 ans

Le yoga et l'action politique

A partir de 1904, il s'intéressa au yoga et à l'agitation nationaliste. Il professait déjà l'idéal d'un yoga dynamique conciliable avec l'action dans le monde, capable d'une transformation complète de la nature humaine. Il attribua très tôt à l'Inde la mission de promouvoir l'avènement d'une religion universelle synthétique.

Il est arrêté pour agitation nationaliste le 4 mai 1908 et resta en prison jusqu'en mai 1909. En prison, il comprit le sens véritable de la religion hindoue. Elle était avant tout une réalisation une mise en pratique et une expérience vécue.

Aurobindo en prison

En février 1910, il se réfugia à Chandernagor, puis à Pondichéry (alors possessions françaises), le 4 avril 1910

Aurobindo peu après son arrivée à Pondichéry

. C'est là qu'il rencontra pour la première fois le Français Paul Richard, dont l'épouse Mira Richard  (née Alfassa, Paris 21/02/1878-Pondichéry 17/11/1973) allait jouer un grand rôle dans sa nouvelle vie.

Mira Alfassa-Richard, "la Mère"

Il décida alors de se consacrer entièrement au yoga.

Le yoga et le supramental

Pour A., la matière, la vie et le mental (manas) sont apparus successivement par "involution" progressive du Divin et ont ainsi constitué l'univers tel que nous le connaissons.

L'homme ainsi venu après les minéraux, les végétaux et les animaux est par excellence l'être mental, c-à-d celui dans lequel l'élément mental est le plus développé. On peut même estimer que le mental a atteint le développement maximal dont il est capable comme tel.

Mais il n' y a pas de raison de supposer que le mental ou l'homme corresponde au point final de l'évolution. Il est logique de supposer que celle-ci va continuer.

Sur la base de son expérience yoguique personnelle, A. affirme que l'étape suivante sera la "descente" d'un autre "plan", auquel il a donné le nom de Supramental.

 Pour comprendre le secret ultime du monde, il faut s'élever jusqu'au niveau supramental. A partir du supramental, on accèdera finalement à l'Ânanda, la Félicité de l'Absolu. Mais il ne s'agit nullement de s'évader du monde dans le Brahman immuable. Il faut aussi éléver le niveau inférieur de la réalité jusqu'au niveau supramental pour que 

" l'Être entier, la Conscience entière et l'ânanda s'épanouissent et prennent forme dans la vie...Nous ne voulons rien abandonner du monde. La Politique, l'industrie, la société, la littérature, l'art subsisteront tous. Mais nous aurons à leur donner une âme nouvelle et une forme nouvelle..."

Les débuts de l'âshram

L'Ashram de Shri Aurobindo, rue de la Marine à Pondichéry

Une communauté de disciples qualifiés doit être le commencement et l'instrument de cette future transformation de la société humaine:

" Je ne veux pas de centaines de milliers de disciples. Cela suffira si je peux trouver une centaine d'hommes complets, dépourvus d'égoïsme mesquin, qui seront les instruments de Dieu " (vers 1920).

Le groupe de disciples alors réunis autour d'Aurobindo après 1920 ne formait pas encore une véritable communauté. ils n'habitaient pas tous au même endroit et se trouvaient dispersés pendant la journée pour leurs occupations. Mais le soir ils se réunissaient pour méditer en commun et participer à des entretiens avec le Maître, portant sur les sujets les plus divers: politiques et sociaux, aussi bien que mystiques ou littéraires.

" Nous devons devenir conscients de notre être sur tous les plans et faire descendre la lumière, le pouvoir et l'änanda supérieur, afin qu'ils gouvernent même les détails les plus infimes de la vie ".

L'âshram se constitua définitivement fin 1926. Aurobindo en confia la direction à Mira Richard, la "Mère".

Après le 24 novembre 1923, le Maître fit voeu de silence et de solitude. Il s'isola dans une pièce de son habitation (rue de la Marine à Pondichéry). Il n'apparaîtra à ses disciples désormais que trois ou quatre fois par ans, mais communiquera avec eux par correspondance.

            

Aurobindo à 78 ans, en 1950, peu avant sa mort

Il s'éteignit  le 5 décembre 1950; pour ses disciples, il entra en samâdhi, c-à-d dans une existence purement spirituelle.

Tombe ("samâdhi") d'Aurobindo

Auroville

Le 28 février 1968, la Mère fonde la communauté d'Auroville située à quelques kilomètres de Pondichery. Cette communauté compte aujourd'hui près de 2000 membres.

 

Maquette d'Auroville

 

Le matrimandir au centre d'Auroville

(Source : Robert Sailley, Sri Aurobindi,  Laffont, 1977 )

 Śri Aurobindo, Commentaire de la Bhagavad-Gîtâ 4.6:  L'Avatâr

6. — Bien que Je sois le non-né, bien que Je sois impérissable dans Mon existence propre, bien que Je sois le Seigneur de toutes les existences, cependant Je repose sur Ma propre nature, et Je prends naissance par Ma propre Mâyâ. 

Pour l'esprit moderne, l'idée de l'Avatar est l'une dès plus difficiles à accepter et à comprendre parmi toutes celles qui s'infiltrent de L'Orient dans la conscience humaine rationalisée. Les esprits rationalistes objectent que, si Dieu existe, il est extra-cosmique ou supra-cosmique et n'intervient pas dans les affairés du monde, mais permet qu'elles soient gouvernées par un mécanisme fixe de lois ; il est Esprit pur et ne peut revêtir un corps, il est infini et ne peut être fini comme est fini l'être humain, il est le créateur à jamais non-né et ne peut être la créature née en ce monde — ce sont là choses impossibles même à son omnipotence absolue. Ces objections, si puissantes à première vue pour la raison, semblent avoir été présentes à l'esprit de l'Instructeur de la Gîtâ. Ne dit-il pas, en effet, que, bien que le Divin soit non-né, impérissable en sa propre existence, Seigneur de tous les êtres, il assume cependant la naissance par un recours suprême à l'action de sa Nature et par la force de sa propre Mâyâ ? Ne dit-il pas que lui, méprisé de ceux qui sont dans l'erreur parce qu'il est logé dans un corps humain, il est en vérité dans son être suprême le Seigneur de tous ; qu'il est dans l'action de la conscience divine le créateur de l'ordre quadruple et l'auteur des œuvres du monde, et en même temps, dans le silence de la conscience divine, le témoin impartial des œuvres de sa propre Nature, car il-est toujours, par delà le silence et l'action, le suprême Purushottama ? Et la'Gîtâ parvient à réfuter toutes ces objections, à concilier toutes ces contradictions parce qu'elle part de la conception védântique de l'existence de l'Univers et de Dieu. Car pour elle tout est Dieu, tout est Esprit ou existence du Moi, tout est Brahman, ekamevâdvitîyam — il n'est rien d'autre, rien qui en diffère, et il ne peut y avoir rien d'autre, rien qui en diffère. Non seulement  le non-né n'est pas incapable de prendre naissance, mais encore tous les êtres sont dans leur individualité des esprits non-nés, éternels, sans commencement ni fini et dans leur existence essentielle et leur universalité tous sont l'Esprit unique non-né de qui la naissance et la mort sont seulement le phénomène par lequel il assume une forme et. en change. Que le parfait assume l'imparfait, c'est tout le phénomène mystique de l'univers ; mais l'imperfection apparaît dans la forme et l'action du mental ou du corps assumé, subsiste dans le phénomène — en ce qui l'assume, il n'est point d'imperfection, de même que dans le soleil qui illumine tout il n'est point de défauts de lumière ou de vision, ces défauts existant seulement dans les capacités de l'organe individuel.

On doit noter qu'avec une nuance de langage légère, mais importante, la Gîtâ décrit de la même façon à la fois l'action du Divin déterminant la naissance ordinaire des créatures, et son action dans sa propre naissance en tant qu'Avatar. " M'appuyant sur Ma propre Nature, prakritim svâm avastabhya, dira la Gîtâ plus tard, Je lance diversement par le monde, visrijâmi, cette multitude de créatures fatalement sujettes par suite de la domination de Prakriti, avasham prakriter vashât ". " Existant sur Ma propre nature ", dit-elle ici, " Je prends naissance par Ma propre Mâyâ, prakritim svâm adhishthâya... âtmamâyayâ, JeMe projette Moi-même, âùnâi nom stijâmi ". L'action impliquée par le mot avashtabhya est une puissante pression vers lé bas par laquelle l'objet maîtrisé est dominé, opprimé, arrêté ou limité, dans son mouvement ou son action, et devient impuissant, soumis à la puissance dirigeante, avasham vashât; la nature dans cette action devient mécanique et ses multitudes de créatures sont maintenues impuissantes dans le mécanisme, et ne sont point maîtresses de leur-propre action. Au contraire, le mot adhishlhâya implique une action qui demeure dans la nature, mais aussi s'accomplit sur elle et au-dessus d'elle; une maîtrise et une direction conscientes exercées par la Divinité au-dedans de nous, adhishthâtrî devatâ, une action dans laquelle le  Purusha n'est point fatalement entraîné par Prakriti à travers l'ignorance, mais bien plutôt où Prakriti est pleine de la lumière et de la volonté du Purusha.

Śri Aurobindo, Commentaire de la Bhagavad-Gîtâ 4.10:  L'Avatâr (3)

10. — Délivrés de l'attraction et de la peur et de la colère, pleins de Moi, prenant refuge en Moi, beaucoup d'êtres purifiés par l'austérité de la connaissance sont arrivés à Ma nature d'être (madbhâvam, la nature divine du Purushottama).

Il nous faut soigneusement remarquer que le maintien du dharma dans ce monde n'est pas le seul objet de la descente de l'Avatar, le grand mystère du Divin manifesté dans l'humanité ; car le maintien du dharma n'est pas en soi un objet entièrement suffisant ni le but suprême de la manifestation d'un Christ, d'un Krishna, d'un Bouddha ; il n'est que la condition générale d'un but plus élevé et d'une suprême et plus divine utilité. Car la naissance divine a deux aspects : l'un est une descente, la naissance de Dieu en l'humanité, la Divinité se manifestant en la forme et la nature humaines, l'Avatar éternel ; l'autre est une montée, la naissance de l'homme en la Divinité, l'homme s'élevant jusqu'en la nature et la conscience divines, madbhâvam âgatâh; c'est l'être né de de l'âme. C'est afin d'aider à cette nouvelle naissance que vient l'Avatar et que doit se maintenir le dharma. S'il n'y avait à aider cette montée de l'homme en la Divinité par la descente de Dieu en l'humanité, la venue de l'Avatar pour le seul souci du dharma serait un phénomène Superflu, puisque le simple droit, la simple justice ou les simples modèles de vertu peuvent toujours être maintenus par l'omnipotence divine usant de ses moyens ordinaires, grands hommes ou grands mouvements, vie et œuvres des sages, des rois et des instructeurs religieux, saris qu'il soit besoin de véritable incarnation. Il vient, l'Avatar, manifestation de la nature divine en la nature humaine, apocalypse de sa qualité de Christ, de Krishna, de Bouddha, afin que la nature humaine, modelant son principe, sa pensée, sa sensibilité, son action, son être, sur les lignes de cette nature de Christ, de Krishna, de Bouddha, puisse se transfigurer en le Divin. La loi, le dharma qu'établit l'Incarnation, est donnée principalement a cet effet : le Christ, Krishna, Bouddha, chacun d'eux se tient au centre, arche d'entrée, et se fait lui-même la voie que doivent suivre les hommes. C'est,pourquoi chacun des Avatars présente aux hommes son propre exemple et se déclare la voie et la porte ; il déclare également l'identité de son être humain avec l'être divin, il déclare que le Fils de l'Homme et le Père qui est aux pieux et de qui il est issu sont un; que Krishna en Son corps humain, mânûshîmtanum âshritam, et le Seigneur suprême et l'Ami de toutes les créatures ne sont que deux révélations du même Purushoîtama divin, ici révélé sous la forme humaine, là dans son être propre. ....".."

 

II Jiddu Krishnamurti  (1895-1986)

 

 

 

 

 

                     Krishnamurti enfant                          Avec les fondateurs de la société théosophique               Avec Annie Besant

      

 

Enfance

Jiddu Krishnamurti naquit en mai 1895 près de Madras dans une famille de brahmanes krishnaïtes (d'où son nom)  dont il fut le huitième enfant. Bien que sa mère mourut, alors qu'il n'était âgé que de six ans, elle avait eu le temps de l'éveiller à la quête spirituelle qui l'animera toute sa vie. Il fut très lié à son frère cadet  Nityânanda, qui mourra en 1925.

La Société Théosophique et l'Ordre de l'Etoile d'Orient.

Vers 1904, il fut présenté avec son frère à Annie Besant, présidente de la Société Théosophique, qui devint leur tutrice. En 1910, les deux garçons furent envoyés à Londres pour parfaire leur éducation. A la même époque, la Société Théosophique fonda l'Ordre de l'Etoile d'Orient (avec son organe le Bulletin international de l'Etoile) dont le but était de regrouper les milliers de spiritualistes qui de par le monde attendaient la venue d'un Grand Instructeur pour le 20ème s. Beaucoup voyaient dans le jeune Krishnamurti ce futur grand instructeur. Il fut donc nommé chef de l'Ordre. A 14 ans, il publia son premier recueil Aux Pieds du Maître, et à 16 ans, en 1911, un second petit livre Le Service dans l'Education. 

La révolte, le Nouveau Monde et la dissolution de l'Ordre de l'Etoile d'Orient

L'évolution du jeune Krishnamurti ne fut pas celle que ses tuteurs de l'Ecole Théosophiques attendaient de lui. Il s'éloigna progressivement d'eux. Dans La Vie Libérée  il dit : Je me suis révolté contre tout, contre l'autorité des autres, contre la connaissance des autres, ne voulant rien accepter pour vrai jusqu'à ce que j'eusse trouvé moi-même la vérité. Je ne m'opposais jamais aux idées des autres, mais je ne voulais pas accepter leur autorité et leur théorie de la vie.

En 1919, il continue ses études à Paris, puis acquiert une propriété à Ojaï, en Californie, qui petit à petit devint le centre principal de rayonnement de sa pensée. C'est là qu'il remet en cause sa première certitude: que le but de sa vie devait être non la découverte de la Vérité, mais de devenir progressivement cette Vérité.

Son frère meurt fin 1925, alors que Krishnamurti faisait route vers l'Inde. Il en fut désemparé et encore plus révolté.

Le 3 août 1929, à Ommen, aux Pays-Pas, il dissout l'Ordre de l'Etoile d'Orient: Je ne veux pas de spectateurs, je ne veux pas de disciples, je ne veux ni louanges,  ni admirations d'aucune sorte...je veux être le compagnon, non le maître. Puis plus tard, toujours le 3 août 1929:  La Vérité est un pays sans chemin....étant illimitée, inconditionnée, inapprochable par quelque sentier que ce soit, elle ne peut être organisée... Toute foi est matière individuelle. Elle ne peut ni ne doit être organisée  D'où la dissolution de l'organisation de l'Ordre de l'Etoile d'Orient.

Le conférencier international  (1929-1961)-  Saanen (Suisse, à partir de 1961)

Après une vie de conférences à travers le monde entier (1929-1961), il crée les conférences de Saanen (dans le canton de Berne, en Suisse), où il réside trois semaines par an pour des cycles de conférences et des causeries. De cette période date le très important ouvrage La Première et la Dernière Liberté (1954).

La pensée de Krishnamurti n'est pas une pensée affirmative, mais interrogative, qui renvoie toujours l'interlocuteur à lui-même. Nous en donnons ci-après un exemple



KRISHNAMURTI:  POURQUOI DES GUIDES SPIRITUELS ? (Extrait de La Première et la Dernière Liberté, p.166-170)

 

Vous dites qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un gourou, mais comment puis-je trouver la vérité sans l'aide et l'assistance que seul un sage, un gourou, peut me donner ?

La question est de savoir si un gourou est nécessaire ou non. La vérité peut-elle être découverte par l'entremise de quelqu'un ? Les uns l'affirment, d'autres le nient. Nous voulons savoir où est la vérité. Il ne s'agit donc pas d'émettre des " opinions " contradictoires : je n'ai pas d'" opinions " à ce sujet. Il est nécessaire, ou il n'est pas nécessaire d'avoir un gourou ; l'une de ces deux assertions doit être vraie, et nous voulons savoir laquelle l'est, en fait, en réalité. Cela n'est pas une affaire d'opinion, quelque profonde, érudite, populaire, universelle qu'elle puisse être.

Tout d'abord, pourquoi voulons-nous un gourou ? Étant dans un état de confusion, nous disons que le gourou est une aide, qu'il nous indiquera la vérité, qu'il nous aidera à comprendre, qu'il connaît la vie beaucoup mieux que nous ; qu'il nous instruira à la façon d'un père, qu'il a une vaste expérience tandis que la nôtre est limitée, etc., etc. Le fait fondamental est notre état de confusion. Si tout était clair pour vous, vous ne vous approcheriez même pas d'un gourou. Si vous étiez profondément heureux, si vous n'aviez pas de problèmes, si vous compreniez la vie complètement, vous n'iriez consulter personne. J'espère que vous voyez ce que tout cela signifie. Parce que vous êtes dans la confusion, vous allez demander à un guide spirituel de vous indiquer une façon de vivre, d'éclairer votre jugement, de vous aider à trouver la vérité. Parce que vous êtes dans la confusion, vous choisissez votre gourou en espérant qu'il vous donnera ce que vous demandez. En fait, vous choisissez le gourou qui vous donnera la réponse que vous souhaitez, vous le choisissez selon la satisfaction qu'il vous apporte ; votre choix dépend de votre satisfaction. Vous n'allez pas chez celui qui vous dit : " ne comptez que sur vous-même ". Vous choisissez selon vos préjugés. Donc, puisque votre choix est déterminé par votre satisfaction, ce n'est pas la vérité que vous cherchez, mais une issue à la confusion ; et l'issue à la confusion est, par erreur, appelée vérité.

Examinons d'abord l'idée qu'un gourou peut éclaircir notre confusion. Celle-ci étant le résultat de nos réactions, qui donc pourrait l'éclaircir pour nous ? Car c'est nous qui l'avons créée. Pensez-vous que ce soient " tes autres " qui créent cette misère, cette bataille à tous les échelons de l'existence, en nous et hors de nous ? Cette confusion est le résultat de notre manque de connaissance de nous-mêmes : c'est parce que nous ne connaissons pas nos conflits, nos réactions, nos misères, que nous allons chez un gourou pour qu'il nous aide à en sortir. Mais nous ne pouvons nous comprendre que dans nos rapports avec le présent ; ces rapports mêmes sont le gourou et non pas quelqu'un en dehors de nous. Si je ne comprends pas mon monde de relations, tout ce que me dira un gourou sera inutile ; si je ne comprends pas mes relations avec les possessions, avec tes hommes, avec les idées, qui donc pourra résoudre ce conflit en moi ? Pour le résoudre, c'est moi qui dois le comprendre, ce qui veut dire que je dois être parfaitement conscient de ce qui se passe en moi, au cours de mes relations. Pour me percevoir tel que je suis, aucun gourou n'est nécessaire ; et si je ne me connais pas, de quelle utilité est le gourou ? De même qu'un chef politique est choisi par ceux qui sont dans la confusion, et dont le choix, par conséquent, est à l'image de cette confusion, ainsi je choisis un gourou. Je ne peux le choisir que selon ma

confusion : donc, tout comme le chef politique, lui aussi est dans la confusion.
L'important n'est pas de se demander si c'est moi qui ai raison ou celui qui dit qu'un gourou est nécessaire. L'important est de savoir " pourquoi " vous avez besoin d'un gourou. Les gourous existent pour exploiter les gens de différentes façons ; mais là n'est pas la question. Cela vous est très agréable d'avoir un guide spirituel pour vous dire que vous avancez dans la voie de la vérité ; mais la question n'est pas là non plus. "Pourquoi" avez-vous besoin d'un gourou ? Là est la clé.

Il peut arriver que quelqu'un vous indique le chemin, mais c'est à vous de faire tout le travail, même si vous avez un gourou. Ne voulant pas affronter ce fait, vous rejetez la responsabilité sur le gourou. Or, celui-ci devient inutile dès qu'il y a la moindre parcelle de connaissance de soi. Cette connaissance, aucun guide spirituel, aucune écriture sacrée, ne peuvent vous la donner. Elle vient lorsque vous êtes exactement conscient de ce qui se passe en vous, au cours de vos relations. Ne pas comprendre celles-ci - et en particulier vos rapports avec les possessions - est une source de souffrances, de confusion, et de conflits de plus en plus graves dans la société. Si vous ne comprenez pas l'état de vos relations avec votre femme, votre enfant, qui donc peut résoudre les conflits qui naissent de cette ignorance ? Et il en est de même de vos rapports avec le monde des idées, des croyances, etc. Étant partout dans Ja confusion, vous allez en quête d'un gourou. Si c'est un vrai gourou il vous dira de vous comprendre vous-mêmes. C'est " vous " la source de tous les malentendus, et vous ne pourrez résoudre ces conflits qu'en vous comprenant dans vos relations. Car " être " c'est être en relation.

Vous ne pouvez donc pas trouver la vérité ailleurs qu'en vous-mêmes. Comment cela serait-il possible ? La vérité n'est pas quelque chose de statique; elle n'a pas de demeure ; elle n'a ni fin ni but. Au contraire, elle est mouvante, dynamique, vivante. Comment pourrait-elle être une fin ? Si la vérité était un point fixe, ce ne serait pas la vérité, ce ne serait qu'une opinion. La vérité est l'inconnu et l'esprit qui la cherche ne la trouvera jamais, car tous les éléments qui le composent appartiennent au connu. L'esprit est le résultat du passé, le produit du temps. Vous pouvez l'observer vous-mêmes : l'esprit est l'instrument du connu, il ne peut donc pas découvrir l'inconnu ; il ne peut qu'aller du connu au connu. Lorsqu'il cherche la vérité, celle dont lui parlent des livres, cette vérité-là n'est qu'une projection de lui-même, car il ne fait que poursuivre un " connu ", un connu plus satisfaisant que le précédent. Lorsque l'esprit " cherche " la vérité, c'est une projection de lui-même qu'il cherche, et non la vérité. Un idéal n'est en somme qu'une projection, une fiction, une irréalité. Le réel est ce qui " est ", et non pas son opposé. Le Dieu auquel vous pensez n'est que la projection de votre pensée, le résultat d'influences sociales. Vous ne pouvez pas " penser " à l'inconnu, " méditer " sur la vérité. Dès que vous " pensez " à l'inconnu, vous avez affaire à une projection du connu. Vous ne pouvez pas "penser" à Dieu, à la Vérité. Sitôt que vous pensez, ce n'est pas la vérité. La vérité ne peut pas être recherchée : elle vient à vous. Vous ne pouvez poursuivre que le connu. Lorsque l'esprit n'est plus torturé par le connu, par les effets du connu, alors seulement la vérité se révèle. Elle est en chaque feuille, en chaque larme ; elle ne peut être connue que d'instant en instant. Personne ne peut vous conduire à elle ; si quelqu'un vous conduit, cela ne peut être que vers le connu.

La vérité ne peut se présenter qu'à l'esprit qui s'est vidé du connu. Elle vient lorsqu'on est dans un état d'où le connu est absent. L'esprit est l'entrepôt du connu, le résidu du connu ; et pour qu'il soit dans l'état où l'inconnu entre en existence, il doit être lucide en ce qui le concerne, en ce qui concerne ses expériences conscientes et inconscientes, ses réponses, ses réactions et sa structure. La totale connaissance de soi est la fin du connu et l'esprit est alors complètement vide de connu. Ce n'est qu'alors que la vérité peut venir à vous, non conviée. La vérité n'appartient ni à moi ni à vous. Vous ne pouvez pas lui rendre un culte. Aussitôt qu'elle est connue, elle est irréelle. Le symbole n'est pas réel, l'image n'est pas réelle, mais lorsqu'il y a compréhension de soi, lorsqu'il y a cessation de soi, l'éternité peut entrer en existence.