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L'Un (Tad ekam, RVS 10.129)
© Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg
Ce texte est un texte cosmogonique La tradition hindoue, depuis le Veda jusqu'aux temps modernes, n'a cessé d'être obsédée par la recherche de l'essence, par delà l'existence, du point central à partir duquel la manifestation cosmique se déploie. Pour l'hindouisme, comme pour le bouddhisme, l'univers peut être comparé à une roue. Mais pour les bouddhistes, la roue tourne d'elle-même autour d'un trou (le moyen) où il n' y a rien, tandis que pour l'hindouisme, la roue ne tourne que par ce qu'elle est traversée par un essieu qui l'entraîne. Cet axe du monde, c'est le Brahman. Nous donnons ci-dessous la traduction de l'hymne cosmogonique 10.129 du Rig-Veda, dans la traduction de Louis RENOU, légèrement modifiée.
Il n'y avait ni l'espace, ni le firmament au-delà. Quel était le contenu ? Où était-ce ? Sous la garde de qui ? Y avait-il de l'eau profonde, de l'eau sans fond. [Commentaire: 2. "espace" = skt vyoman. Il faut comprendre cet espace-ci, c-à-d ce monde-ci. Geldner traduit fort bien par "Luftraum". 4.La fin de la stance est traduite par Jean Varenne " Y avait-il de l'eau, abyssale, insondable ?". Dans ce cas-là, il n'y a pas affirmation de l'existence d'eaux originelles, on va au-delà de cette existence. C'est ainsi que le comprend aussi le Vedic Reader. Kim: pronom interrogatif "est-ce que".] [Texte sanskrit: Nâsad âsîn no sad âsît tadanîm nâsîd rajo no vyomâ paro yat | kim âvarîvah kuha kasya sharmann ambhah kim âsîd gahanam gabhîram ||] Quel était le dessus, quel était le dessous ? Il y eut des porteurs de semence, il y eut des énergies féminines: En bas était l'Instinct, en haut le Don. [Commentaire: 1. "Tendre le cordeau en diagonale", c'est réfléchir, méditer sur l'origine des choses, pour voir apparaître la raison de la dualité des choses Réfléchissant au problème des créations secondaires, les Sages ont compris ("ils ont trouvé le lien" str. 4) 3-4. que le Germe s'est scindé en principe masculin ("le haut, le Don, les porteurs de semences ") et féminin ("le bas, l'instinct, les puissances". C'est la première multiplication et diversification du monde. Le sens semble être que le mécanisme de la création est une procréation, un engendrement. D'un côté "les porteurs de sperme, de l'autre les puissances (féminines évidemment, çakti). La suite est aussi une image sexuelle: le don qui est en haut, c'est le don du sperme, et les puissances qui sont en-bas, ce sont les forces féminines qui accueillent ce don.] 6. Qui sait en vérité, qui pourrait l'annoncer ici: D'où est issue, d'où vient cette création ? Les dieux sont en deçà de cet acte créateur: Qui sait d'où il émane ? [ Commentaire: comment savoir ce qui s'est exactement passé ? Les dieux eux-mêmes n'étaient pas là pour y assister ]
Si elle a été fabriquée ou si elle ne l'a pas été, Celui qui veille sur elle au plus haut du ciel, Le sait sans doute: ou bien ne le sait-il pas ? .[ Commentaire: "celui qui regarde d'en haut" , c'est Varuna, gardien de l'ordre cosmique. 2. On peut comprendre "fabriqué" au moyen ou au passif, d'où la traduction allemande qui semble plus logique: " Woraus diese Schöpfung sich entwickelt hat, ob ER sie gemacht hat oder nicht; der der Aufseher dieser ( Welt) im höchsten Himmel, der allein weiss es, es sei denn, dass auch er es nicht weiss". Cette dernière strophe indique que l'acte créateur reste mystérieux: a-t-il été volontaire ou purement mécanique ? Dans ce dernier cas la création n'aurait pas été fabriquée. Y a-t-il une volonté derrière tout cela ? ] Il y a dans ce texte,surtout à la strophe 4, une théologie du désir et de l'enchaînement des désirs. Dès que le Désir est là, il ne peut pas ne pas entraîner la réalisation d'un acte. L'acte ainsi réalisé cause un autre désir et ainsi infiniment (un besoin satisfait en appelle un autre). Or l'acte cosmogonique se situe aussi dans un tel enchaînement. Si le Désir s'est manifesté au commencement, c'est qu'une infinité d'autres actes a été accompli avant le dit commencement. D'autres univers se sont succédés avant le nôtre. Le dernier en se résorbant à la fin du cycle a laissé un reste (çesa) dont l'une des formes est justement ce désir d'agir auquel l'Un ne peut résister. Cet Un est l'Absolu, c'est vrai, mais l'Absolu ne peut pas se trouver en contradiction avec les lois de la nature, puisque celle-ci émane de lui, ou si l'on préfère manifeste sa toute-puissance. Cf; La vie de l'homme: l'homme sort d'un germe, de l'informé, pour passer au formé, puis repasse à l'informé, c-à-d à l'état de germe, d'où sortira un nouvel être à cause du désir non éteint (voir les grandes périodes cosmiques). Pour plus de détails sur la naissance du monde, voir la création du monde Sources: L Renou, L'Inde classique, 2 vol., Paris, 1947 J Gonda, Les religions de l'Inde, 2 vol.,Paris, 1962, 1965 Le Veda, ed. Jean Varenne, coll. Le Trésor spirituel de l'humanité, Paris, 1983 L. RENOU, Hymnes et prières du Veda, Paris, 1938 L. RENOU, Hymnes spéculatifs du Veda, Paris, 1956 L. RENOU, Etudes védiques et paninéennes, 17 fasc., Paris, 1956-1969 Jean Varenne, Cosmogonies védiques, Les Belles Lettres
Voir aussi: Les doctrines fondamentales des Upanishads Introduction: L'unité de l'hindouisme, Les croyances fondamentales, Chronologie Les Ecritures: Le Veda, Les Upanishads, La Bhagavad-GîtâNotions védiques fondamentales: les quatre classes, les quatre buts de la vie, les quatre étapes de la vie, les 3 naissances, la quadruple dette La réincarnation Les Darshanas: le sâmkhya, le yoga, le vedânta,
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