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A propos de Brhad-âranyaka-upanishad  2.4

 

© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université de Strasbourg

Sur les Upanishads en général, voir ici et ici

§ 1-4 " Maitreyî, dit Yajñavalkya, je vais m'éloigner de ces lieux. Allons ! il faut que je règle la situation pour toi avec Kâtyâyanî.....Prête à mes enseignements toute ton attention "

Nous somme en présence d'un dialogue entre Yajñavalkya et l'une de ses femmes, Maitreyî,  à laquelle il annonce qu'il va quitter le monde pour mener une vie d'ascète itinérant. C'est l'un des premiers témoignages sur l'existence du quatrième stade de la vie (âçrama), celui du renoncement.

Yajñavalkya est en position de guru  par rapport à Maitreyî et lui donne un enseignement.

§ 5 "Ce n'est pas pour l'amour de son mari qu'on chérit un mari; mais c'est pour l'amour de l'âtman que l'on chérit un mari ...."

Sens: il n'y a pas de séparation radicale entre les objets du monde et l'âtman. Les objets du monde sont dans l'âtman en quelque sorte. Les objets dont nous avons conscience sont présents dans notre conscience, et ils n'existent pas indépendamment de notre conscience. Ce n'est que parce qu'ils sont présents en nous sous la forme de la conscience que nous pouvons entrer en relation avec eux.

La même chose vaut pour la relation avec autrui qui n'existe que pace qu'elle s'appuie sur un moi différent d'un autre moi, parce que je suis en âtman différent d'un autre âtman, et qui est sujet de conscience en tant que vijñâya-brahman.

Cela implique que toute réalité est et reste limitée à notre propre âtman, et que nous ne connaissons l'amour et toutes les choses dans l'univers que dans la mesure où ils subsistent dans notre conscience, vu qu'elles sont saisies par l'âtman (le sujet connaissant en nous). Il n' y a pas d'univers en dehors de l'âtman, notre Soi, notre âme.

Ce n'est pas le point de vue de l'idéalisme absolu, qui dénie toute réalité à l'univers dans sa diversité. Cf. Bâ 2.1.16 + 20 où il est enseigné que tous les mondes, dieux et créatures vivantes jaillissent de l'esprit fait de connaissance (vijñaya-maya purusha) comme les étincelles jaillissent du feu.

C'est pour l'amour de l'âtman qu'on chérit un mari , c-à-d  que c'est pour l'amour de l'étincelle divine qui est en lui qu'on chérit un mari.

§ 6

Résumé du texte: " L'état sacerdotal (brahman) , le pouvoir (kshatra), les mondes, les dieux et les êtres abandonne celui qui voit le brahman, le pouvoir, les mondes, les dieux et les être en dehors de l'âtman ".

Par brahman, à cause du parallélisme avec kshetra, il faut évidemment entendre: le sacerdoce, l'état brahmique, celui du premier varna (d' où notre traduction), le pouvoir (le kshatra) étant le deuxième varna.

Pourquoi les mondes abandonnent-ils celui qui voient les mondes en dehors de l'âtman ?

C'est pour la même raison que ci-dessus. Tous les éléments du monde sont en nous en tant que nous sommes conscients de ces éléments, et donc celui qui pense, de manière incorrecte, que les mondes sont en dehors de lui (qui voit les mondes en dehors de l'âtman) est "abandonné par eux"; c'est évidemment une expression imagée pour désigner l'attitude de celui qui effectue une césure, une coupure entre lui et le monde, qui se comporte comme s'il était isolé de l'extérieur, des formes qui l'entourent, lesquelles sont évidemment aussi en nous. Tout ce qui existe à côté de l'âtman n'existe que secondairement (iva), existe seulement "pour ainsi dire" (2.4.4), "là où il y a pour ainsi dire dualité".

Les objets du monde n'existent que secondairement, comme des harmoniques de l'âtman. La comparaison musicale est utilisée dans les paragraphes qui suivent.

§ 7-9 : " Comme on ne peut saisir les sons qui s'échappent d'un tambour qui est frappé, mais en se saisissant du tambour ou de celui qui le frappe, on se saisit du son....."

Les sons n'existent pas en dehors de l'instrument de musique qui les joue, de même les objets du monde n'existent pas en dehors de l'âtman. Le rapport entre le monde et l'âtman, est-il suggéré ici, est le même que celui d'une note de musique par rapport à l'instrument de musique: le monde est pour ainsi dire joué par l'âtman.

Le monde est un phénomène au sens grec du terme, c-à-d une manifestation de l'âtman, tout comme les sons musicaux ne sont que des manifestations du jeu de l'instrument de musique, et n'ont pas d'existence en eux-mêmes.

Il n' y a pas seulement ici une réflexion sur le rapport à la multiplicité, mais sur la nature de la connaissance: "on ne peut saisir le son qu'en saisissant le tambour, la conque ou le luth ". C'est qu'il n' y a en fait connaissance que de l'âtman, tout le reste est non-connaissance.  Cf. Chandogya-upanishad 7.1.2, où Nârada, bien que connaissant toutes les branches traditionnelles du savoir, se retrouve en condition d'ignorance (avidyâ). D'autres passages diront que la connaissance qui s'exerce sur ces "notes de musique" et non sur l'instrument, n'est que mâyâ, illusion.

Le rapport entre le monde phénoménal et l'âtman est encore exprimé par une formule différente tout aussi belle en 1.6.3. Le "monde des noms et des formes" y est défini comme "amrtam satyena channam", "l'immortel Brahman voilé par la réalité empirique", le mot satya désignant ici la réalité empirique ou le monde phénoménal, comme en 2.1.20. L'âtman est la réalité de la réalité, autrement dit face à la prétendue réalité, l'âtman est ce qui est seul réellement réel.

De même, il est suggéré en  Ch 6.1.4 que le monde des phénomènes n'est qu'une transformation de l'âtman (transformation qu'il faut bien entendu repérer par le yoga etc.), et que cette transformation de l'âtman dans le monde multiple, varié des phénomènes n'est que "vâcâ-arambhana" ("affaire de mots" ou "affaire de noms") et qu'en réalité il n'y a qu'un seul être, l'âtman (ou le Brahman), et que ce n'est que de l'âtman qu'on peut avoir un savoir réel. Toute connaissance expérimentale, les quatre Vedas, toute la liste des sciences empiriques, telle qu'elles sont énoncées en Ch 7.1.2-3 ne sont qu'affaire de noms; elles ne sont que nominales.

§ 10  " Comme d'un feu de bois humide s'échappent les fumées en tout sens, de même, en vérité, c'est l'exhalaison de ce grand Être qu'est Rig-Veda, Yajur-Veda, Sâma-veda, Atharvângiras, chants épiques, purâna-s, sciences, upanishads, vers, sûtra-s, explications, commentaires, tout cela n'est qu'exhalaison du grand Être ".

Ce paragraphe définit le rapport du Veda au monde.

Les Védas et toutes les branches du savoir sacré sont pour ainsi dire "expirés" par le Brahman. C'est le passage principal des Upanishads que l'on invoque pour justifier la théorie de la "Révélation" du Veda par le Brahman. Il y a donc ici une théorie de l'expiration du Véda, tout comme en Occident il y a une théorie de l'inspiration de la Bible. 

On déduira également de ce passage qu'à l'époque où cette upanishad a été composée (- 6ème s.) la distinction classique entre cruti et smriti n'avait pas encore cours, et que l'Atharva-Veda n'était pas encore reconnu comme Véda.

Tout comme les phénomènes naturels, la littérature sacrée est dérivée du Brahman. La même liste se retrouve avec quelques additions en Ch 7.1 où le Rig-Veda, le Yajur-Veda, le Sâma-Veda et l'Atharva-Veda, les itihâsa-s et les purâna-s sont présentés comme de simples mots.

§ 12  " Comme l'océan est le lieu de rencontre de toutes les eaux, de même la peau est le lieu de rencontre de tous les touchers, de toutes les odeurs les narines, de tous les goûts la langue, de toutes les formes l'oeil, l'oreille de tous les sons, l'esprit de toutes les pensées, le coeur de toutes les sciences, les mains de tous les actes, le sexe de toutes les voluptés, l'anus de toutes les excrétions, le pied de toutes les marches, la parole de tous les védas ".

Il faut comprendre " l'âtman est le point focal, comme l'océan est le point de rencontre de toutes les eaux; de même la peau est le point focal de toutes les sensations de toucher.... ".

Les cinq sens de perception (toucher, odorat, goût, vue, ouïe) de même que les cinq sens d'action (karmendriya) ( main, sexe, anus, pied, bouche) ,  du sâmkhya, de même que le manas sont cités ici pour la première fois.

§ 13-14

La connaissance suppose une dualité, un sujet connaissant et un objet connu. L'âtman s'immerge dans les éléments, donc il n'y a plus de dualité, plus de conscience, plus de distance entre le sujet connaissant et l'objet connu.

"L 'un sent l'autre...."

L'âtman incarné ressent les objets dont il a conscience comme étant différent de lui (bien qu'ils ne le soient pas en réalité).

Avec la fin de l'incarnation (la mort), l'âtman rejoint pour ainsi dire les objets dont il avait conscience et il n'y a donc plus de dualité.

L'âtman est le sujet connaissant en nous, comment alors le connaître ? C'est le sens de la dernière exclamation:

" Celui par qui tout est connu (qui est la conscience en nous), comment le connaître ? "

 

Sources:

P. DEUSSEN, Sechzig Upanishad des Veda, Darmstadt, 1963

P. DEUSSEN, The Philosophy of the Upanishads, 1966

Brhadâranyaka-Up, trad. E SENART, Paris , Les Belles Lettres, 1967

 

Copyright Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions. Reproduction interdite, sauf dans dans un but non-commercial, et à condition de mentionner la source et l'auteur

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Bibliographie Introduction: L'unité de l'hindouisme les croyances fondamentales, Chronologie

Les Ecritures: Le Veda  (hymne à Agni, hymne cosmogonique), Les Upanishads

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