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Cours du 10 octobre 2011

 

1ère heure: La logique des théophanies

On a vu précédemment qu’ à la base du phénomène religieux se trouvent les théophanies. Quel est le sens de ces théophanies ? C’est qu’on ne peut jamais voir Dieu, on ne peut que saisir ses manifestations dans le monde des phénomènes.

La plupart des religions ont exprimé cette vérité, chacune dans son langage propre.

Ce qui signifie dans le langage biblique qu’on ne peut que saisir les effets de Dieu dans la Création.

De même d’ailleurs, la révélation coranique est appelée tanzîl, " descente ", au sens de passage d’un plan à un autre.

Conséquence : comme la divinité en elle-même est inaccessible (Deus absconditus) et comme la seule chose qui soit accessible à l’homme, ce sont les objets sensibles, détectables par les sens, la divinité se manifestera dans des objets détectables par les sens : c’est cela qui constitue une théophanie. Et c’est là que gît l’ambiguïté et le côté paradoxal des hiérophanies et théophanies, c’est que la Transcendance en elle-même est inaccessible, cependant pour se rendre accessible, elle est obligée de prendre des formes palpables, historiques, sensibles, c-à-d précisément d’abandonner son caractère transcendant. D’où la difficulté de la transmission d’un message religieux dans un monde matérialiste qui ne saisit plus l’articulation entre le transcendant et le matériel dans le religieux. Les théophanies précisément articulent l’invisible et le visible.

 Les règles de la théophanie

* Règle 1 : tout objet du monde sensible peut devenir le support d’une théophanie : : pierres, montagnes, la terre, les eaux, le feu, les éléments atmosphériques (foudre, tonnerre, vent…), le soleil, la lune, les étoiles, le ciel, la lumière, les arbres, les plantes, les animaux, la nature en général.

* Règle 2 : chaque support de théophanie a ses caractéristiques propres. Une théophanie lithique (qui a pour support la pierre) ne présente pas les mêmes caractéristiques qu’une théophanie céleste.

* Règle 3 : le transcendant a toujours besoin d’une médiation, et c’est à cette médiation que les honneurs du culte sont rendus en apparence.

 

Les supports de théophanie

 La pierre

Où réside le potentiel sacral de la pierre ? D’une manière générale, la pierre et le rocher représente la permanence et l’éternité. Dans la grandeur, la dureté et la permanence de la roche, l’homme rencontre une réalité et une force qui appartiennent à un monde autre que le monde profane dont elle, fait partie, autrement dit le monde la transcendance.

Les pierres sacrées sont donc sacrées uniquement dans la mesure où on voit en elles une manifestation d’autre chose qu’elle-même. Dans beaucoup de religions dites primitives (une religion " primitive " est une religion d’un peuple ne connaissant pas l’écriture), des pierres sacrées sont l’objet d’un rituel de dévotion. Ce n’est jamais bien sûr la pierre en elle-même que l’on adore, mais la puissance divine qui se manifeste en elle.

Exemple de théophanie lithique : Gen 28.11-19 (l’ échelle de Jacob). Le rituel d’onction décrit au verset 18 ne s’adresse bien entendu pas à la pierre, mais à Dieu, parce que dans l’esprit de Jacob la pierre est liée à la manifestation de Dieu (anges).

La symbolique de la permanence et de l’ailleurs est parfaitement claire dans le cas des météorites, car elles viennent du ciel, qui est le réservoir par excellence de la transcendance. La pierre noire de la Ka’ba de La Mecque est une météorite et on l’embrasse lors du rituel de la cicumambulation. Autre météorite célèbre : la pierre noire de Pessinonte en Phrygie.

Autres pierres sacrées :

Les mégalithes, tels les dolmens dans le monde celtique. Les bétyles (de " beth-el ") des Sémites, les massebôt (pierres dressées, Dt 12.3).

L’omphalos (" nombril ") de Delphes était une pierre blanche considérée comme le centre du monde.

Pour le christianisme, le centre du monde est représenté par une pierre de la chapelle du Saint-Sépulcre (théophanie de la résurrection !).

 

Les montagnes

Le potentiel sacral des montagnes réside dans le fait qu’elles se trouvent à la limite du ciel et de la terre  (elles sont donc particulièrement aptes à exprimer la rencontre du phénoménal et du transcendantal) et aussi dans leur caractère massif (pérennité, permanence).

Ex : l’Olympe en Grèce, le Taï-Che en Chine, le Fuji-Yama au Japon, le Donon et le Mont Sainte-Odile (hiérophanie de la guérison miraculeuse d’Odile) en Alsace, le Sinaï (où a eu lieu la plus célèbre théophanie de la Thora, Ex. 19), le mont Thabor, le Carmel (ordalie d’Elie contre les prêtres de Baal), le mont Sion, le Garizim des Samaritains.

Les sanctuaires-montagnes

Quand il n’existe pas de montagnes, on en construit !

En Mésopotamie, il s’agit des ziggurat appelées en sumérien U-Nur (" montagne "). Elles étaient une image du cosmos : leurs 7 étages représentaient les 7 cieux planétaires.

Le temple bouddhiste de Borobodur à Java est construit lui aussi à la manière d’une montagne artificielle : plus on monte, plus on approche de la Libération (au sens bouddhique du terme).

Les montagnes mythiques

Elles sont mythiques dans le sens qu’elles n’ont pas d’existence géographique.

Ces montagnes sont généralement considérées comme le centre du monde, le point par lequel l’axe du monde, c-à-d l’axe cosmique autour duquel tourne le ciel.

 

Les eaux

La sacralité des eaux réside dans leur fécondité.

Les eaux originelles

L’eau est considérée comme la matière primordiale dans beaucoup de mythes de création. Le Tehom de Gen 1.2 est l’océan primitif, sur lequel planait l’esprit de Dieu. L’eau est également la matière primordiale dans la mythologie babylonienne (âpsu) et égyptienne etc…

Les divinités des eaux : Nymphes en Grèce, Apsara-s en Inde….

Fleuves sacrés : Nil, Tigre, Euphrate, Gange, Rhin…

Eaux et sanctuaires : à cause de la sacralité des eaux (et des nécessités de la purification), beaucoup de sanctuaires sont construits près d’une source : le sanctuaire de Delphes près de la source Kastalli, la Ka’ba près de la source Zemzem, Sainte-Odile près de la source du même nom, Lourdes. Les sanctuaires de Mithra étaient aussi régulièrement érigés près d’une source.

Sources:

Toute l'oeuvre de Mircea ELIADE

HEILER Friedrich, Ercheinunngsformen und Wesen der Religion,Kohlhammer, Stuttgart, 1979

VAN DER LEEUW G., La religion dans son essence et sa manifestation, Phénoménologie de la religion, Payot, Paris, 1970

WIDENGREN Geo., Religionsphänomenologie, Walter de Gruyter, Berlin, 1969

 

 2ème heure: Hindouisme

1) Chronologie de l'hindouisme (suite): l'hindouisme récent (suite)

Apparition du tantrisme (autour du 10 ème s.). Les Tantras proposent une série de pratiques spirituelles permettant à l'adepte de dépasser sa condition humaine par le yoga, l'alchimie, la confection d'images de la divinité, la méditation sur des diagrammes sacrés (mandala-s, yantra-s)

Le tantrisme met l'accent sur l'énergie qui est à l'œuvre dans l'univers (macrocosme et microcosme): la çakti. (ou shakti) [sur la çakti et Shiva, voir ici, et aussi Râmakrishna au § Yogîshvarî]] . Cette notion n'est pas étrangère à l'hindouisme classique, mais ce dernier assimile cette énergie soit à l'Absolu lui-même (le Brahman), soit au pouvoir du Dieu souverain (Shiva, Vichnou…).

L'originalité du tantrisme est d'insister sur l'aspect féminin de la divinité suprême. Dans l'iconographie, la parèdre de Vichnou ou de Shiva est une figure de taille réduite que l'époux divin dépasse d'une tête au moins. Le tantrisme renverse la perspective et place au premier plan l'énergie créatrice féminine, laissant au dieu mâle une impassibilité qui le rend insignifiant.

Il y a un véritable féminisme des tantras. Etant faites à l'image de la Grande Mère (Grande Déesse), les femmes sont honorées et peuvent même enseigner. Les  veuves ont le droit de se remarier, et il est interdit de brûler les veuves (rite de la sati). Toutes les différences de castes sont abolies dans le tantrisme.

Sur le tantrisme voir

André Padoux, Comprendre le tantrisme, Spiritualités vivantes, Albin Michel, 2010

Cent douze méditations tantriques, Le Vijnâya-Bhairava-Tantra, traduit et commenté par Pierre FEUGA, Editions Accarias,  L'original, 2007

2) Classes et castes. Les 4 classes:     

[Ś se prononce "ch" comme dans l'allemand "ich" ]

La société hindoue est divisée traditionnellement en quatre classes (ou varna):

  1. Les brahmanes (la classe sacerdotale), 6% de la population (60 millions de personnes)
  2. Les Kshatriya-s ("guerriers, princes, nobles", en fait ceux qui détiennent le pouvoir politique)
  3. Les Vaiśya-s ("agriculteurs, artisans, commerçants"): ceux qui détiennent le pouvoir économique

    Kshatriya-s + Vaiśya-s = 19% de la population, soit 190 millions de personnes.

  4. Les Śudra-s: serviteurs des 3 autres classes, 50% de la population, soit 500 millions de personnes

    A cela, s'ajoutent les hors-classes ou parias, 25 % de la population, soit 250 millions de personnes.

     

    Brahmanes en méditation (pour agrandir la photo de droite cliquer dessus)

     

    Ne pas confondre classes (varna en sanskrit c-à-d "couleur") et castes (jâti en sanskrit, = "naissance"). Les castes sont des sous-catégories des classes. Elles n'ont aujourd'hui plus qu'une signification religieuse: ainsi on peut naître dans la caste des potiers (donc classe des Vaiçya-s), tout en étant technicien dans une usine nucléaire de Bombay, mais en matière religieuse on pratiquera toujours les rites de la caste des potiers.

    Ce qui distingue les quatre classes, c'est leur position par rapport au Veda.

    Les Śudra-s sont entièrement tenus à l'écart du rituel védique. Les Ksatriy-as et les Vaiśya-s peuvent faire exécuter pour eux-mêmes les rites védiques solennels par des brahmanes et recevoir de ceux-ci l'enseignement des textes védiques.

    Il y a donc opposition entre les brahmanes et les deux autres classes. Mais surtout historiquement, il y a opposition entre les brahmanes et les kshatriyas.

    Le brahmane dépend entièrement du prince pour sa subsistance, puisqu'il n'a pas le doit d'exercer aucun autre métier à par celui de prêtre (et de cuisinier !). Mais le kshatriya dépend aussi entièrement du brahmane, puiqu'il n'a pas le droit d'exécuter lui-même le sacrifice védique. Or, dans la mentalité indienne, la prospérité du royaume et le maintien même de l'ordre du monde dépendent d'un sacrifice correctement exécuté.

    Chaque famille de brahmanes est spécialisée dans la transmission d'un Veda. Ainsi certains sont rig-vedin, d'autres sont yajur-vedin ou sâma-vedin, ou encore atharva-vedin (voir ici)

    Sur la journée rituelle d'un brahmane, voir ici.

    Mais cette opposition est encore plus profonde, c'est une opposition de mode de vie.

     Le kshatriya est non seulement celui qui peut utiliser la violence, mais qui dans certains cas doit l'utiliser. Il est l'homme de la force et de la violence, de la richesse et des plaisirs. Il est amateur de femmes, polygame, chasseur. Pourquoi ? Parce que son svadharma (la norme socio-cosmique [dharma] à laquelle chaque individu est astreint, sva = français "à soi") le lui prescrit. Quant au brahmane, c'est un homme dont le svadharma est de mener une vie pure et frugale, austère et pauvre. Un brahmane ne mangera qu'avec ses égaux, pour éviter toute souillure. Il est monogame. Le brahmane non seulement étudiera le Veda (comme les ksatriya-s et les vaiçya-s), mais surtout l'enseignera. Il est le seul à être autorisé à enseigner le Veda. Il sacrifiera non seulement pour lui-même, mais également pour les deux autres classes.

    Le brahmane est végétarien. C'est un non-violent absolu. Nous avons là un cas unique dans l'histoire d'une classe sacerdotale qui a réussi à se maintenir au pouvoir uniquement par la science sacrée. Il n'y a jamais eu de tentation politique pour les brahmanes.     

    Sources:

    Madeleine Biardeau , Clefs pour la pensée hindoue, Seghers                   

           Surendranath Dasgupta, A History of Indian Philosophy, 1961-65

           L Renou, L'Inde classique, 2 vol., Paris, 1947

          J. Gonda, Les religions de l'Inde, 2 vol.,Paris, 1962, 1965

          Benjamin Walker, Hindu World, An Encyclopedic Survey of Hinduism, New Delhi, 1983