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Cours du 31 octobre 2011

 

Première heure : Le sanctuaire

 Pour l’homo religiosus, l’espace n’est pas homogène. Il y a des espaces qui ont été séparés du reste de l’espace, consacrés par des hiéro- ou des théophanies.

Un lieu sacré n’est jamais choisi par l’homme, il est simplement découvert par lui. Un espace sacré est un espace qui a été un jour consacré par une théophanie. Ceci a deux implications.

Le sacré qui s 'est manifesté un jour et dont la manifestation se répète maintenant cultuellement est une chose dangereuse, pour qui entre en contact avec lui sans y être préparé, sans être passé par les mouvements d’approche que requiert n’importe quel acte religieux. De là, les innombrables rites et prescriptions relatifs à l’entrée dans le sanctuaire et la participation aux rites, en particulier les rites de purification. Dans l’islam, les ablutions mineures consistent à se laver trois fois les bras, les pieds, la tête (cf.Bukhârî, Sahîh 4.21.1). Dans l’hindouisme on se rince notamment la bouche (âcamana, cf. Baudh 1.5.8.11 ss) Le caractère potentiellement dangereux du sacré explique probablement qu’on s’est mis très tôt à clôturer l’espace sacré. Le cercle de pierres ou le mur de pierres qui enserre l’espace sacré sont les plus anciennes structures architectoniques connues du sanctuaire. Notons aussi qu’il y a tendance à clôturer la parole sacrée (pour la distinguer de la parole profane). C’est dans l’hindouisme la fonction de la syllabe om qui encadre, au début et à la fin, toute action cultuelle, dans beaucoup de religions (hindouisme, christianisme, islam) la fonction de la psalmodie des textes sacrés.

Les différentes sortes de lieux sacrés

a) Les sanctuaires les plus archaïques sont les espaces naturels ouverts 

          - les bois et les forêts, chez les Grecs, les Romains et les peuples germaniques. C’est le lucus.

          - les sources et les montagnes.

b) Les espaces naturels fermés : les grottes et les cavernes. Les grottes étaient très certainement les lieux de culte des hommes préhistoriques. Le culte de Mithra était célébré dans des grottes naturelles ou artificielles (spelaeum, antrum). Mohammed a eu sa première révélation dans la grotte du mont Hirâ. Selon la tradition chrétienne (Protévangile de Jacques), Jésus est né dans une grotte.

  1. Le premier sanctuaire, c’est la maison, bien avant le temple. Toute maison était à l’origine un sanctuaire. Les appartements dans lesquels nous " vivons " sont parfaitement désacralisés. On a peine à s’imaginer que dans les temps anciens la maison était une unité organique où se passait la totalité de la vie : unité de production, espace culturel et cultuel et non seulement unité de consommation. La maison était le lieu du culte domestique très développé dans certaines religions, notamment dans la Rome ancienne et en Inde.

* A Rome, le foyer était l’endroit le plus sacré de la maison romaine, celui ou brûle le feu sacré, jour après jour ; enfermé avec la cendre le soir, le feu s’y réveille tous les matins. Dans chaque maison, chaque jour, le repas s’interrompait, pour q’une partie des aliments fût, en offrandes aux Pénates, posé sur le foyer ou jeté dans le feu. Le silence était alors prescrit, jusqu’à ce que fut annoncé par le chef de famille-officiant que " les dieux étaient propices ". Si sacrée était la nourriture qu’une bouchée qui tombait devait être recueillie, et non nettoyée, brûlée en expiation.

* En Inde : le feu (agni) brûle nuit et jour dans chaque foyer des trois classes supérieures. L’oblation aux dieux (un des cinq grands sacrifices quotidiens) y est jeté avant chaque repas (donc matin et soir).

 On ne construit pas une maison n'importe où: comme pour les temples, l'espace devait être consacré, c-à-d soustrait à l'espace profane, chaotique.

En Inde, rites de fondation des maisons, des villages et des temples se recoupent largement. On dessine sur le sol un diagramme en forme de damier, le mandala, qui est la représentation symbolique du cosmos. Tout temple, comme toute maison, est un analogue du cosmos.

Le symbolisme cosmique dans les sanctuaire

 Le temple hindou: image du monde

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Après purification du sol, on dessine le vastu-purusha-mandala (cf image ci-dessus), diagramme en forme de damier, le carré étant signe de ce qui est stable et parfait.

Le centre du carré est occupé par le Dieu unique (quel que soit son nom: Vichnou, Shiva, Brahmâ), en tant que manifestation du Brahman, l'Absolu au-delà duquel il n'y a plus rien. Cette case centrale correspond dans le temple réel à la cella, le saint des saints où se trouve la représentation figurée ou symbolique de la divinité unique.

Autour de la case du Dieu unique se trouvent les cases des 8 régents des planètes, tandis que les 32 cases externes du damier représentent les 28 mansions lunaires + 4 directions de l'espace. Le contour extérieur du damier représente l'écliptique.

Les 32 carreaux + le carreau central, soit 33 carreaux, correspondent aux 33 divinités des hymnes Âpri dans le Rig-Veda. Au milieu du damier, il y a aussi 12 autres cases, qui représentent 12 autres divinités, les Âdityas.

La structure du temple hindou symbolise une démarche initiatique: plus on se rapproche de la cella, plus on se rapproche de la cellule-mère dont est issu le monde (garbhagriha), on passe ainsi du multiple (les 33 divinités) à l'Unique (la cella), alors que le processus de la création du monde (et de l'homme !) est exactement inverse, c'est un passage de l'Un (une cellule-mère) au multiple.

 

Les sanctuaires du Proche-Orient ancien

La symbolique cosmique

En Mésopotamie, le temple se composait d'un ensemble de bâtiments et d'une tour élevé appelée ziggurat.

Le temple le plus célèbre de la Mésopotamie se trouvait à Babylone et d'appelait ESAGILA. Il comportait une ziggurat nommée E-TEMEN-AN-KI, qui signifie en sumérien "La maison qui est le fondement du ciel et de la terre. Cette ziggurat comportait 7 étages et avait une forme cubique de 90m x 90m x 90m.

La ziggurat de Borsippa s'appelait E-UR-IMIN-AN-KI "la maison des 7 guides du ciel et de la terre. Ces guides ce sont les 7 planètes, si bien que chaque étage de la ziggurat symbolisait une sphère planétaire. En montant les 7 étages de la ziggurat, le prêtre franchissait donc symboliquement les 7 sphères planétaires, jusqu'au point le plus élevé du firmament. Le temple conduit donc du monde des hommes au monde des dieux. D'ailleurs, Babel vient de l'akkadien bab-ili "porte de Dieu". Cette conception trouve également clairement son expression dans l'un des temples de Nippur, DUR-AN-KI "lien entre terre et ciel".

 

2ème heure: Hindouisme: Les trois naissances, les quatre sacrifices, la quadruple dette

 

Les trois naissances de l'individu

Çatapathabrahmana 11.2.1.1:

" L'homme naît trois fois. La première fois, il naît de son père et de sa mère.

Puis celui dont le sacrifie devient le lot [par le mariage], quand il sacrifie, il naît pour la seconde fois.

Puis quand il meurt et qu'on le dépose sur le bûcher, comme de là il renaît [au ciel], c'est alors qu'il naît pour la troisième fois.

C'est pourquoi l'on dit que l'homme naît trois fois "

 Le feu allumé lors de la cérémonie du mariage est celui-là même qui devient le feu domestique du nouveau maître de maison.

La crémation

La crémation constitue donc la troisième naissance, selon le texte ci-dessus.

Le bûcher funéraire est allumé avec le feu domestique du défunt (ou l'un de ses trois feux s'il était âhitâyin). La crémation est conçue comme un sacrifice où le sacrifiant (yajamâna) est aussi la victime. Le veuf allume le bûcher funéraire de sa femme avec son feu domestique. Quoiqu'il doive alors arrêter toute activité sacrificielle, il garde normalement son feu pour ses propres funérailles.

Les funérailles sont le dernier sacrifice, le seul ou la victime ne soit pas le substitut du sacrifiant, mais le sacrifiant lui-même (voir les  § les sacrements)

L'enfant qui meurt avant l'initiation brahmanique (upanâyana), et même actuellement celui qui n'a pas de dents, le samnyâsin qui n'a plus de feu sont inhumés et non incinérés.

 

Les cinq grands sacrifices quotidiens

Le texte de base:

Les cinq grands sacrifices sont mentionnés pour la première fois en Çatapathabrahmana XI.5,6,1-3:

" Il y a cinq grands sacrifices qui sont de grandes sessions sacrificielles: le sacrifice aux bhûta-s ["aux êtres", sans doute des créatures inférieures et potentiellement dangereuses], le sacrifice aux hommes, le sacrifice aux ancêtres, le sacrifice aux dieux et le sacrifice au Brahman. 

Chaque jour, on doit offrir un bali [une offrande jetée sur le sol ou en l'air] aux bhûta-s. C'est ainsi que l'on s'acquitte du sacrifices aux bhûta-s

Chaque jour, on doit donner au moins une coupe d'eau aux hôtes de passage, c'est ainsi que l'on s'acquitte du sacrifice aux hommes.

Chaque jour, on doit prononcer svadhâ en offrant au moins la coupe d'eau. C'est ainsi que l'on s'acquitte du sacrifice aux ancêtres.

Chaque jour, on doit prononcer svâhâ en offrant au moins le bois dans le feu aux dieux.

Enfin, le sacrifice au Brahman: c'est la récitation privée du Veda qui est le sacrifice au Brahman "

L'ordre rituel

L'ordre est le suivant dans le rituel. La nourriture est offerte successivement:

- aux dieux (à Agni, aux gardiens des points cardinaux, à tous les dieux qui sont présents dans toutes les parties de la maison)

- aux ancêtres,

 - aux hôtes

Le maître de maison, ainsi que sa femme, devront manger ce qui reste (çesha). Un repas "normal" , c'est le reste du sacrifice.

Détails:

On consacre d'abord le feu, puis on médite sur les 3 nâdi-s (idâ, pingalâ, sushumnâ) (sur ces trois canaux énergétiques voir Prânâyama, § sur les textes anciens)

Puis on passe au deva-yajña (sacrifice aux dieux), dont il existe une forme simplifiée et une forme plus longue.

Forme simplifiée:

om viçvadevâya namah ! (om, hommage à tous les dieux !)

ou forme plus longue selon Açvalayana-grhya-sûtra:

om Somâya vanapataye svâhâ ( hommage à Soma, seigneur des forêts ! )

om Agni-Somabhyâm svâhâ  ( hommage à Agni et à Soma ! )

om Indrâgnibhyâm svâhâ  ( hommage à Indra et à Agni ! )

om Dhanvataraye svâhâ ( hommage à Dhanvatari ! [ divinité du Nord-Ouest] )

om viçvebhyo devebhyo svâhâ ( hommage à tous les dieux ! )

om Brahmane svâhâ ( hommage à Brahma ! )

om Agnaye svâhâ ( hommage  à Agni ! )

om Somâya svâhâ (hommage à Soma ! )

Hommage aux Êtres (bhûta-yajña):

Ce sont des mantra-s notamment pour les divinités tutélaires de la maison. On offre de la nourriture à toutes les créatures: dieux, esprits et insectes:

" A tous ceux qui ont besoin de la nourriture par moi donnée, je leur offre ceci, qu'ils soient dieux, hommes, animaux ou oiseaux, siddha-s (êtres semi-divins), yaksha-s (esprits d'ordinaire favorables) ou dragons, ou l'armée des démons et esprits ou des arbres immobiles.

Les insectes, fourmis, mites et autres petites créatures, quelles qu'elles soient, qui, liées par leurs chaînes karmiques, souffrant de la faim et de la soif, qu'ils reçoivent joie et satisfaction de la nourriture que je répands pour eux.

Ceux qui n'ont ni père, ni mère, ni amis, ceux qui n'ont pas de cuisine pour cuire leur nourriture ou de la nourriture pour être cuite, pour leur satisfaction et leur joie, je répands cette nourriture sur le sol. Puissent-ils être satisfaits et heureux !

Donne de la nourriture à tous les êtres tombés dans le cycle des renaissance et aux autres qui ont pris naissance dans des races pécheresses ! ".

Hommage aux Ancêtres (Pitr-yajña):

Cordon sacrificiel ceint sur l'épaule droite, on dit:

om svadhâ pitrbhyah ! (om, hommage aux Pères !).

Version longue: on peut aussi réciter la liste de ses ancêtres sur 4 ou 5 générations, au datif .

On offre aux ancêtres de l'eau, du lait, des racines ou des fruits.

Puis on prend le repas tourné vers l'Est (domaine des dieux) ou vers l'Ouest.

 

La   quadruple dette

Çatapathabrâhmana 1.7.2.1-6

" Tout être humain en naissant naît comme une dette due aux dieux, aux rishis, aux ancêtres et aux hommes"

Nous naissons en tant que dette, parce que nous avons reçu en partage un bien que nous n'avons pas sollicité: la vie. D'où la situation inconfortable de l'homme dès sa naissance: être endetté sans avoir rien demandé.

Le créancier de cette dette, qui réclame le paiement de cette dette, c'est Yama, le dieu de la mort, ou Mrityu, la mort elle-même (çB 3.6.2.19, AV  6.117.1).

Le débiteur, c'est l'homme (purusha).

Comment se débarrasser de sa dette ?

1) En satisfaisant le créancier tout de suite: c'est le suicide oblatoire (cf. S. Lévi,  Doctrine, p. 133). Mais cela n'est guère conseillé.

2) Il vaut mieux fractionner la dette en substituant (en fait, en ajoutant) au créancier unique, de nombreux créanciers, et en procédant à un paiement échelonné qui fait de la vie entière un moyen de s'acquitter de la dette, et en fait un moyen de socialisation de l'individu.

Quelles sont ces dettes ?

Il y a une dette aux dieux, une dette aux Pères,  une dette aux rishis (voyants védiques)  et une dette aux hommes.

Le rite fournit le moyen de satisfaire les créanciers multiples.

La dette aux rishis est payée par la récitation quotidienne du Veda, et (pour les brahmanes) en transmettant le Veda aux générations suivantes.

La dette aux hommes: par le sacrifice quotidien aux hommes (rite d'hospitalité)

La dette aux dieux: par le sacrifice quotidien (matin et soir) aux dieux, et  en devenant dieu soi-même, en tant que dikshita.

La dette aux Pères : en devenant père à son tour d'un fils.

La dette aux Pères a ceci de particulier qu'on peut s'en débarrasser d'un seul coup. Alors qu'on n'en  finit jamais de sacrifier, ni d'offrir l'hospitalité, ni de réciter le Veda.

Les sacrements

Mais pour payer ses dettes, il faut passer par un certain nombre de "sacrements", c-à-d de perfectionnements intérieurs qui nous qualifient pour cette tâche.

1) L'initiation brahmanique (upanayana)

On ne peut se libérer de la dette envers les Rshi-s (par l'apprentissage du Veda et la récitation personnelle et, le cas échéant - pour les brahmanes - l'enseignement) qu'à partir du moment où on est passé par l'initiation brahmanique (upanayana) ( 8 ans après la conception pour les brahmanes, 11 ans pour les kshatriya-s, 12 ans pour les vaiçya-s. L'upanayana prélude aux études brahmaniques (jusqu'à 16 ans pour toutes les classes).

2) Le mariage

On ne peur se libérer de ses dettes envers les dieux que si on a mené à bien ses études brahmaniques, s'est marié et installé le feu sacrificiel0

On ne peut se libérer de sa dette envers les Pères qu'en devenant père soi-même, il faut donc se marier et avoir un fils. Le mariage est un sacrement dans l'Inde classique et il est normalement indissoluble.

3) La crémation

Ce faisant, nous ne faisons que payer les intérêts de nos dettes. Le capital reste dû: nous ferons don de notre personne entière au moment de la crémation du corps.

Le bûcher funéraire est allumé avec le feu domestique du défunt (ou l'un de ses trois feux s'il était âhitâyin). La crémation est conçue comme un sacrifice où le sacrifiant (yajamâna) est aussi la victime. Le veuf allume le bûcher funéraire de sa femme avec son feu domestique. Quoiqu'il doive alors arrêter toute activité sacrificielle, il garde normalement son feu pour ses propres funérailles.

Les funérailles sont le dernier sacrifice, le seul ou la victime ne soit pas le substitut du sacrifiant, mais le sacrifiant lui-même.

Sources: 

Satapatha-Brâhmana, trad. angl. J. EGGELING, 5 vol., Oxford, 1882-1899, SBE, vol. 12,26,41,43,44

Taittirîya-Âranyaka, livre II, trad. Ch. MALAMOUD, Paris, 1977

Pour aller plus loin:

Taittirîya-Âranyaka, livre II, trad. Ch. MALAMOUD, Paris, 1977

Charles Malamoud, Le jumeau solaire, Paris, Seuil, 2002 (sur le dieu Yama)