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  La Maitry-Upanishad

 

© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg

 

Maitry-Upanishad signifie simplement Upanishad de Maitri, du nom de l'auteur supposé de l'Upanishad. Elle est plus récente que la Çvetâçvâtara-Upanishad. Elle semble avoir été composé à peu près à la même époque ou peut-être un peu plus tard que la Bhagavad-Gîtâ ( donc entre le - 2ème s. et le + 2ème s. ).

L'affabulation ressemble à celle de la Katha-Upanishad

Dans celle-ci, Naciketas descendait auprès de Yama pour demander ce qu'il y a après la mort.

Ici, c'est le roi Brhadratha, qui, après avoir pratiqué une ascèse extrême dans la forêt, voit arriver vers lui Çâkâyanya, un être divin auquel il pose une question redoutable: Seigneur ! je ne connais pas l'âtman; mais toi, nous avons entendu dire que tu en connais la vraie nature: révèle-la nous !

L'âtman, dira Çâkâyanya, n'est autre que le dieu créateur qui est entré en nous sous la forme des cinq souffles (prâna, apâna, samâna, udâna et vyâna) (2.6). Autre réponse en 5.2: il est le Brahman qui s'est comme démultiplié pour entrer dans toute les créatures.

Le chapitre 6 contient un passage consacré au yoga. Ce passage est précédé par une invitation à pratiquer le prânâgnihotra. 

Qu'est-ce que le prânâgnihotra ?  Dans prânâgnihotra, il y a d'abord agnihotra. L'agnihotra (= oblation à Agni) est le sacrifice perpétuel que tout Aryen devait célébrer chaque matin et chaque soir, sa vie durant: oblation à Agni de lait, huile et de gruau (grain d'avoine) aigre. Un prânâgnihotra est donc un agnihotra où interviennent les souffles (prâna) à la place du feu. L'oblation est offerte dans le feu qui brûle en nous : le prâna. De quoi est composée cette oblation ? C'est la matière, la prakriti qui est en nous (6.10).

La respiration, et tout spécialement la respiration contrôlée, est donc considérée comme un sacrifice intériorisée où la matière est offerte au prâna, pour sublimation, affinement, ce qui doit faire de notre corps un corps nouveau, un homme nouveau. Il y a ici comme une spiritualisation de la matière.

Comme aussi dans la Çvetâçvâtara-Upanishad, le passage sur le yoga est immédiatement précédé par spéculations sur le dieu Savitar ou Savitr.

6.16

Traduction :   Le temps s'incarne [dans l'évolution des créatures] et l'océan des créatures (= le Brahman) [c-à-d ce dont les créatures émanent] est celui qui est appelé Savitar, qui se tient tout là-haut, car c'est de lui en vérité que tous ceux-ci: la lune, les étoiles, les planètes et les saisons etc. ont été engendrés, et de tout cela tout cet univers..

Commentaire:  Savitar, identifié au Brahman, est présenté comme étant à l'origine de la création, comme en ayant été l'incitateur (sanskrit ). C'est un essai pour expliquer pourquoi il faut adorer le soleil, car son âtman, c'est le Brahman. Puis on nous dit que le soleil, c'est l'âtman du monde. Savitar est également abondamment cité dans la Çvetâçvâtara-Upanishad.

v. 17

En vérité, le Brahman, au commencement, était tout ce (monde). Il existait seul, illimité à l'Est, illimité au Sud, illimité à l'Ouest, illimité au Nord, illimité au-dessus et au-dessous. Cette Âme suprême est illimitée, innée, inscrutable, impensable et son Soi est l'espace. Lorsque le monde est détruit, seule, elle veille ; à partir de cet espace, elle éveille ce (monde) qui n'est rien que pensée; ce monde est médité par Elle et en Elle il est absorbé. Voici sa forme resplendissante qui, dans le soleil, réchauffe et qui est 1a lumière la plus merveilleuse dans le feu sans fumée , et, aussi, le (feu) intérieur dans le ventre où il digère la nourriture.

On dit en effet :

" Celui qui est dans le feu, celui qui est dans le cœur et dans le soleil, celui-là est l'Unique ; et celui qui sait cela atteint l'union à l'Unique. "

" son Soi est l'espace" (âkâçâtma): il faut comprendre : " Le Brahman est celui dont l'âtman est l'âkâça. Âkâça c'est l'espace infini, et l'énergie vitale qui remplit tout l'univers, énergie vibratoire qui est le véhicule du son. C'est une citation de Chandogya-up. 3.14.2 destinée à montrer le caractère infini du Brahman, puisque son âtman, c'est l'énergie vibratoire qui remplit tout l'univers.

" ce monde qui n'est rien que pensée" (cetâmâtra): allusion à l'immatérialité du monde du monde au début (sur ce sujet voir ici )

"le monde est médité " :  sanskrit dhyâyate.

"feu sans fumée" = le feu le plus pur.

Remarquer la subtilité de la transition entre l'univers et le yoga et comment l'idée de méditation est introduite. Ce que l'Âtman suprême (le Brahman) fait pour le monde, notre propre âtman est aussi invité à le faire implicitement pour ce même monde.

Le texte parle de feu extérieur (le soleil), puis de feu intérieur (la digestion). Puis l'idée d'union (aikatva) est introduite par la dernière citation.

On va donc de l'espace extérieur vers l'espace intérieur, dont nous sommes invités à prendre conscience par le yoga.

v. 18

 Voici maintenant le moyen à appliquer (pour l'union) : contrôle du souffle, rétraction des sens, méditation, concentration , réflexion, samâdhi : tels sont les points de cette méthode qu'on appelle yoga (union). 

" Grâce à elle, quand un sage voit le Créateur, le Seigneur, l'Être doré, le Purusha, le Brahman, la matrice, alors, dépouillant mérites et fautes, il unifie tout dans l'Absolu (para) immuable . "

Et l'on dit :

" De même que les oiseaux et les daims ne prennent pas refuge sur une montagne en flammes, de même, les fautes ne prennent jamais refuge dans ceux qui connaissent le Brahman. "

Ici il n' y a que cinq des huit membres du yoga classique (cf. Yoga-sûtra 2.29). Il manque les yama-s (réfrènements), le niyama (la discipline) et l'âsana.

En général l'ordre est inverse: d'abord concentration (dhâranâ) et ensuite méditation (dhyâna).

"dépouillant mérites et fautes" l'adepte ne produit plus de karman.

V. 19 et 20: Description du processus de la méditation

v. 19

 Lorsque le sage a rétracté le manas et que le souffle a immobilisé les objets des sens, alors~il n'y a plus de volitions

Puisqu' ici-bas, de ce qui n'était pas le souffle, le principe vivant qui est appelé " souffle " a surgi, il faut que le souffle retienne le principe vital dans ce qu'on nomme  le quatrième
état de l'esprit . 

Et l'on dit :

" Ce qui n'est pas la pensée et qui se tient au milieu de la pensée, l'impensable, le mystérieux, le suprême, c'est sur lui qu'il faut concentrer la conscience,  ainsi que  le corps subtil (linga))  privé de son fondement "

Ce verset décrit une concentration (dharanâ) profonde. Plus de volitions, car le manas n'étant plus alimenté par le monde extérieur, il y a un vide mental qui se fait; c'est le silence mental.

"tûriya": c'est le quatrième état de l'esprit. Les plus anciennes Upanishads ne distinguent que trois états de conscience: la veille, le sommeil avec rêve et le sommeil profond sans rêve. Le tûriya est un état de conscience propre au yogin où se fait la réalisation de l'union avec le Brahman, mais de manière consciente. C'est un état proche du samâdhi; il est quelquefois confondu avec lui. Mais ici il semble qu'il faille l'en distinguer. dans cet état "le souffle retient le principe vital"; c-à-d qu'on reste en vie, on présente encore les signes de la vie, on ne présente donc pas les signes cataleptiques du délivré vivant ou du samâdhi (absence apparente de conscience, évanouissement, corps raide).

Deux choses sont dites dans la citation finale:

1) la conscience (citta pour manas) avec l'ensemble du corps subtil doit être concentré sur l'âtman; le corps subtil, c'est dans le système sâmkhya: l'ahamkara (l'ego), la buddhi (la conscience profonde), le manas (mental) avec les cinq sens de perception et les cinq organes d'action correspondant (buddhîndriyâni et karmendriyâni) (sur ces notions, voir ici).

2) le corps subtil privé de son fondement (linga nirâçraya), c'est tout l'ensemble de notre psychisme coupé du monde extérieur par la rétraction des sens

v. 20

 Et l'on a dit par ailleurs :

Mais il y a pour le purusha (ou pour la personne)  une concentration plus haute encore : elle consiste en  la compression de l'extrémité de la langue contre le  palais, et l'arrêt (nirodha) de la parole,  du mental et du souffle. Par un tel contrôle de la méditation on voit le Brahman.

Quand par l'intermédiaire de l'âme, grâce à l'annihilation  du mental, on voit l'Âme suprême resplendissante, plus ténue que la ténuité même, alors, ayant vu l'Âme suprême, grâce à l'âme élémentaire, on devient privé de cette âme élémentaire; et, parce qu'on est privé de l'âme élémentaire, on doit alors être conçu comme incommensurable et sans commencement. C'est le secret suprême qui est caractérisé par la délivrance.

"Annihilation du mental": il s'agit du manas, qui rejoint donc la prakriti primordiale.

Une fois que le purusha (=l'âtman) occupe le devant de la scène, l'énergie mentale (manas, linga) qui husqu'à présent occupait le devant de la scène de chaque individu et occupait son horizon, sort de l'orbite individuelle, et, laissée à elle-même, finit par se désintégrer dans la matière primordiale de la prakriti.

Ce qui est appelé ici "âme élémentaire", c'est l'âtman individuel. On en est privé, car dans le samâdhi, elle s'immerge dans le Brahman. L'expression "on doit être conçu comme incommensurable et sans commencement" fait allusion à cela.

Sources:

A.-M. Esnoul (trad.), Maitry Upanishad, Paris, 1952

P. DEUSSEN, Sechzig Upanishad des Veda, Darmstadt, 1963

P. DEUSSEN, The Philosophy of the Upanishads, 1966

M. ELIADE, Le yoga, immortalité et liberté, Payot, Paris

 

 

Voir Agnihotra  Tapas

Brihad-âranyaka-upanishad Katha-Upanishad Maitry-upanishad,  Shvetâshvatara-upanishad  

 

Bibliographie  Le système philosophico-religieux du yoga 

Yoga et sâmkhya  Le yoga de Patanjali  Les huit degrés du yoga La littérature du yoga

Les plus anciennes attestations littéraires du yoga

Les Upanishads du yoga (leur conception du monde, Katha-upanishad, Maitry-upanishad, Shvatashvâtara-upanishad )

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