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  Le sanctuaire

 

© Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg

 

             Pour l’homo religiosus, l’espace n’est pas homogène. Il y a des espaces qui ont été séparés du reste de l’espace, consacrés par des hiéro- ou des théophanies.

Un lieu sacré n’est jamais choisi par l’homme, il est simplement découvert par lui. Un espace sacré est un espace qui a été un jour consacré par une théophanie. Ceci a deux implications.

    C’est l’extraordinaire continuité à travers l’histoire des espaces consacrés. En Europe, les rochers, les sources, les grottes, les bois vénérés au cours de la protohistoire continuent d’être tenus pour sacrés par les populations chrétiennes d’aujourd’hui, même si c’est quelquefois seulement au niveau de la religion populaire. Une fois qu’il y a eu théophanie, la fonction d’un sanctuaire est de perpétuer la hiérophanie par sa répétition rituelle, de rendre présent par la liturgie le dieu qui s’est manifesté un jour spontanément

Le sacré qui s 'est manifesté un jour et dont la manifestation se répète maintenant cultuellement est une chose dangereuse, pour qui entre en contact avec lui sans y être préparé, sans être passé par les mouvements d’approche que requiert n’importe quel acte religieux. De là, les innombrables rites et prescriptions relatifs à l’entrée dans le sanctuaire et la participation aux rites, en particulier les rites de purification. Dans l’islam, les ablutions mineures consistent à se laver trois fois les bras, les pieds, la tête (cf.Bukhârî, Sahîh 4.21.1). Dans l’hindouisme on se rince notamment la bouche (âcamana, cf. Baudh 1.5.8.11 ss) Le caractère potentiellement dangereux du sacré explique probablement qu’on s’est mis très tôt à clôturer l’espace sacré. Le cercle de pierres ou le mur de pierres qui enserre l’espace sacré sont les plus anciennes structures architectoniques connues du sanctuaire. Notons aussi qu’il y a tendance à clôturer la parole sacrée (pour la distinguer de la parole profane). C’est dans l’hindouisme la fonction de la syllabe om qui encadre, au début et à la fin, toute action cultuelle, dans beaucoup de religions (hindouisme, christianisme, islam) la fonction de la psalmodie des textes sacrés.

 

Les différentes sortes de lieux sacrés

a) Les sanctuaires les plus archaïques sont les espaces naturels ouverts 

          - les bois et les forêts, chez les Grecs, les Romains et les peuples germaniques. C’est le lucus.

          - les sources et les montagnes.

b) Les espaces naturels fermés : les grottes et les cavernes. Les grottes étaient très certainement les lieux de culte des hommes préhistoriques. Le culte de Mithra était célébré dans des grottes naturelles ou artificielles (spelaeum, antrum). Mohammed a eu sa première révélation dans la grotte du mont Hirâ. Selon la tradition chrétienne (Protévangile de Jacques), Jésus est né dans une grotte.

  1. Le premier sanctuaire, c’est la maison, bien avant le temple. Toute maison était à l’origine un sanctuaire. Les appartements dans lesquels nous " vivons " sont parfaitement désacralisés. On a peine à s’imaginer que dans les temps anciens la maison était une unité organique où se passait la totalité de la vie : unité de production, espace culturel et cultuel et non seulement unité de consommation. La maison était le lieu du culte domestique très développé dans certaines religions, notamment dans la Rome ancienne et en Inde.

* A Rome, le foyer était l’endroit le plus sacré de la maison romaine, celui ou brûle le feu sacré, jour après jour ; enfermé avec la cendre le soir, le feu s’y réveille tous les matins. Dans chaque maison, chaque jour, le repas s’interrompait, pour q’une partie des aliments fût, en offrandes aux Pénates, posé sur le foyer ou jeté dans le feu. Le silence était alors prescrit, jusqu’à ce que fut annoncé par le chef de famille-officiant que " les dieux étaient propices ". Si sacrée était la nourriture qu’une bouchée qui tombait devait être recueillie, et non nettoyée, brûlée en expiation.

* En Inde : le feu (agni) brûle nuit et jour dans chaque foyer des trois classes supérieures. L’oblation aux dieux (un des cinq grands sacrifices quotidiens) y est jeté avant chaque repas (donc matin et soir).

 On ne construit pas une maison n'importe où: comme pour les temples, l'espace devait être consacré, c-à-d soustrait à l'espace profane, chaotique.

En Inde, rites de fondation des maisons, des villages et des temples se recoupent largement. On dessine sur le sol un diagramme en forme de damier, le mandala, qui est la représentation symbolique du cosmos. Tout temple, comme toute maison, est un analogue du cosmos.

 Le temple hindou: image du monde

vastu.jpg (63395 octets)

 

Après purification du sol, on dessine le vastu-purusha-mandala (cf image ci-dessus), diagramme en forme de damier, le carré étant signe de ce qui est stable et parfait.

Le centre du carré est occupé par le Dieu unique (quel que soit son nom: Vichnou, Shiva, Brahmâ), en tant que manifestation du Brahman, l'Absolu au-delà duquel il n'y a plus rien. Cette case centrale correspond dans le temple réel à la cella, le saint des saints où se trouve la représentation figurée ou symbolique de la divinité unique.

Autour de la case du Dieu unique se trouvent les cases des 8 régents des planètes, tandis que les 32 cases externes du damier représentent les 28 mansions lunaires + 4 directions de l'espace. Le contour extérieur du damier représente l'écliptique.

Les 32 carreaux + le carreau central, soit 33 carreaux, correspondent aux 33 divinités des hymnes Âpri dans le Rig-Veda. Au milieu du damier, il y a aussi 12 autres cases, qui représentent 12 autres divinités, les Âdityas.

La structure du temple hindou symbolise une démarche initiatique: plus on se rapproche de la cella, plus on se rapproche de la cellule-mère dont est issu le monde (garbhagriha), on passe ainsi du multiple (les 33 divinités) à l'Unique (la cella), alors que le processus de la création du monde (et de l'homme !) est exactement inverse, c'est un passage de l'Un (une cellule-mère) au multiple.

 

Les sanctuaires du Proche-Orient ancien

La symbolique cosmique

En Mésopotamie, le temple se composait d'un ensemble de bâtiments et d'une tour élevé appelée ziggurat.

Le temple le plus célèbre de la Mésopotamie se trouvait à Babylone et d'appelait ESAGILA. Il comportait une ziggurat nommée E-TEMEN-AN-KI, qui signifie en sumérien "La maison qui est le fondement du ciel et de la terre. Cette ziggurat comportait 7 étages et avait une forme cubique de 90m x 90m x 90m.

La ziggurat de Borsippa s'appelait E-UR-IMIN-AN-KI "la maison des 7 guides du ciel et de la terre. Ces guides ce sont les 7 planètes, si bien que chaque étage de la ziggurat symbolisait une sphère planétaire. En montant les 7 étages de la ziggurat, le prêtre franchissait donc symboliquement les 7 sphères planétaires, jusqu'au point le plus élevé du firmament. Le temple conduit donc du monde des hommes au monde des dieux. D'ailleurs, Babel vient de l'akkadien bab-ili "porte de Dieu". Cette conception trouve également clairement son expression dans l'un des temples de Nippur, DUR-AN-KI "lien entre terre et ciel".

Au sommet de la ziggurat se trouvait la chambre nuptiale de Marduk (ou Tammuz) où celui-ci fêtait chaque année ses noces avec Ishtar.

Symbolisme cosmique du temple de Jérusalem

Tout comme Babel, Jérusalem est le centre du monde: Ez. 38.12 appelle Jérusalem tabbûr "nombril".

De même que dans les temples mésopotamiens l'océan d'eau douce primordial était représenté cultuellement, de même il est représenté dans le temple de Salomon par un bassin nommé yam "la mer" (1 R 7.23.26)

Le debîr (saint des saints) du temple de Jérusalem (1 R 6.20) avait une dorme cubique: 20 coudées sur 20 sur 20.

L'autel était formé de 3 surfaces carrées:

en bas: 16 x 16 coudées,

au milieu: 14 x 14

en haut: 12 x 12.

Selon 2 Chr 6.12-13, la tribune sur laquelle se tint Salomon lors de la consécration du temple avait également une forme carrée: 5 coudées x 5.

Le symbolisme de la fécondité

On le trouve dans le nom de Babel: en sumérien Babel se dit TIN-TIR-RA, c-à-d "jardin de vie.

L' arbre de vie d'Eridu unit un symbolisme cosmique et un symbolisme de fécondité.

  1. Dans le sud de la Mésopotamie, sur le Golfe Persique, se trouve la ville d'Eridu. Là se trouve le temple du dieu Ea. Son temple à Eridu s'appelle "Eâpsu" c-à-d "maison de l'océan d'eau douce, "é" = maison, en sumérien).
  2. Or à Eridu se trouvait un arbre que l'on appelait l'"arbre de vie"; cet arbre poussait sur Âpsu, l'océan d'eau douce. Cet arbre de vie se trouve au confluent des deux fleuves, mà où selon la mythologie sumérienne se trouvait le Paradis
  3. Selon les données mythologiques, Gilgamesh se rendit là-bas pour gagner l'immortalité. Là, dans le Paradis, au confluent des deux fleuves, il reçoit une plante mystérieuse qui porte un nom symbolique "jeune deviendra l'homme quand il sera vieux". Cette plante a donc le pouvoir de renouveler la vie; c'est la plante de vie.

Cette plante de vie ou arbre de vie sont décrits de telle façon qu'il en ressort qu'il ne s'agit pas d'un arbre réel, mais d'un symbole cultuel. Il s'agissait probablement d'une colonne décorée de bandes métalliques.

Chaque temple avait son jardin. L'arbre de vie avait donc sa place dans le jardin du domaine du temple. L'océan d'eau était figuré par un grand bassin. Autrement dit: l'arbre de vie, le Paradis et l'océan du mythe étaient figurés cultuellement par la colonne décorée, le jardin du temple et le bassin.

Or, dans la mythologie babylonienne, le Paradis comporte non seulement l'arbre de vie qui pousse sur l'océan primordial, mais aussi une hutte de bambou où la déesse Ishtar fêtait ses noces avec le gardien du Paradis, Tammuz.

De même que l'arbre de vie et l'océan du mythe étaient représentés cultuellement, de même la hutte était représentée cultuellement.

Les liturgies sumériennes ou bilingues (sumérien-akkadien) mentionnent un lieu mystérieux du temple, le gi-pur (sumérien) ou giparru (akkadien), ce qui signifie "chambre sombre". Cette chambre sombre était l'endroit du temple où était célébré le hieros gamos entre le roi (figurant le dieu gardien du Paradis, Tammouz) et une prêtresse figurant Ishtar. Le gipparu porte en sumérien un autre nom: ga-nun à akk. Ganûnu --> arabe djanna "Paradis".

                                                                                                             

Sources:

*   toute l'oeuvre de Mircea Eliade (voir ici § II.2) 

*  HEILER Friedrich, Ercheinunngsformen und Wesen der Religion,Kohlhammer, Stuttgart, 1979

*  VAN DER LEEUW G., La religion dans son essence et sa manifestation, Phénoménologie de la religion, Payot, Paris, 1970

*   WIDENGREN Geo., Religionsphänomenologie, Walter de Gruyter, Berlin, 1969

*  Jean BAYET, La religion de Rome

    *     DANIELOU

    *  Stella KRAMRICH

                         

 

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Bibliographie

Introduction : Qu'est-ce que l'histoire des religions ?

Mircea Eliade

Hiérophanies, théophanies, espace sacré, temps sacré

La logique des hiérophanies et des théophanies

Le ciel

Le sanctuaire

Le personnel du temple: prêtres, prêtresses et prostituées sacrées

Le mythe

Souffrance, Confessions des péchés, expiation, exorcisme

La mort

L'écriture sacrée

Langue sacrée

Tabous alimentaires

Le monothéisme

 

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