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Accueil du site "Phénoménologie relogieuse" Accueil du site "Orient" Moteur de recherche La logique des hiérophanies et des théophanies
© Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg
On a vu dans le chapitre précédent qu’ à la base du phénomène religieux se trouvent les théophanies. Quel est le sens de ces théophanies ? C’est qu’on ne peut jamais voir Dieu, on ne peut que saisir ses manifestations dans le monde des phénomènes. La plupart des religions ont exprimé cette vérité, chacune dans son langage propre.
Conséquence : comme la divinité en elle-même est inaccessible (Deus absconditus) et comme la seule chose qui soit accessible à l’homme, ce sont les objets sensibles, détectables par les sens, la divinité se manifestera dans des objets détectables par les sens : c’est cela qui constitue une théophanie. Et c’est là que gît l’ambiguïté et le côté paradoxal des hiérophanies et théophanies, c’est que la Transcendance en elle-même est inaccessible, cependant pour se rendre accessible, elle est obligée de prendre des formes palpables, historiques, sensibles, c-à-d précisément d’abandonner son caractère transcendant. D’où la difficulté de la transmission d’un message religieux dans un monde matérialiste qui ne saisit plus l’articulation entre le transcendant et le matériel dans le religieux. Les théophanies précisément articulent l’invisible et le visible. Les règles de la théophanie * Règle 1 : tout objet du monde sensible peut devenir le support d’une théophanie : : pierres, montagnes, la terre, les eaux, le feu, les éléments atmosphériques (foudre, tonnerre, vent…), le soleil, la lune, les étoiles, le ciel, la lumière, les arbres, les plantes, les animaux, la nature en général. * Règle 2 : chaque support de théophanie a ses caractéristiques propres. Une théophanie lithique (qui a pour support la pierre) ne présente pas les mêmes caractéristiques qu’une théophanie céleste. * Règle 3 : le transcendant a toujours besoin d’une médiation, et c’est à cette médiation que les honneurs du culte sont rendus en apparence.
Les supports de théophanie La pierre Où réside le potentiel sacral de la pierre ? D’une manière générale, la pierre et le rocher représente la permanence et l’éternité. Dans la grandeur, la dureté et la permanence de la roche, l’homme rencontre une réalité et une force qui appartiennent à un monde autre que le monde profane dont elle, fait partie, autrement dit le monde la transcendance. Les pierres sacrées sont donc sacrées uniquement dans la mesure où on voit en elles une manifestation d’autre chose qu’elle-même. Dans beaucoup de religions dites primitives (une religion " primitive " est une religion d’un peuple ne connaissant pas l’écriture), des pierres sacrées sont l’objet d’un rituel de dévotion. Ce n’est jamais bien sûr la pierre en elle-même que l’on adore, mais la puissance divine qui se manifeste en elle. Exemple de théophanie lithique : Gen 28.11-19 (l’ échelle de Jacob). Le rituel d’onction décrit au verset 18 ne s’adresse bien entendu pas à la pierre, mais à Dieu, parce que dans l’esprit de Jacob la pierre est liée à la manifestation de Dieu (anges). La symbolique de la permanence et de l’ailleurs est parfaitement claire dans le cas des météorites, car elles viennent du ciel, qui est le réservoir par excellence de la transcendance. La pierre noire de la Ka’ba de La Mecque est une météorite et on l’embrasse lors du rituel de la cicumambulation. Autre météorite célèbre : la pierre noire de Pessinonte en Phrygie. Autres pierres sacrées : Les mégalithes, tels les dolmens dans le monde celtique. Les bétyles (de " beth-el ") des Sémites, les massebôt (pierres dressées, Dt 12.3). L’omphalos (" nombril ") de Delphes était une pierre blanche considérée comme le centre du monde. Pour le christianisme, le centre du monde est représenté par une pierre de la chapelle du Saint-Sépulcre (théophanie de la résurrection !).
Les montagnes Le potentiel sacral des montagnes réside dans le fait qu’elles se trouvent à la limite du ciel et de la terre (elles sont donc particulièrement aptes à exprimer la rencontre du phénoménal et du transcendantal) et aussi dans leur caractère massif (pérennité, permanence). Ex : l’Olympe en Grèce, le Taï-Che en Chine, le Fuji-Yama au Japon, le Donon et le Mont Sainte-Odile (hiérophanie de la guérison miraculeuse d’Odile) en Alsace, le Sinaï (où a eu lieu la plus célèbre théophanie de la Thora, Ex. 19), le mont Thabor, le Carmel (ordalie d’Elie contre les prêtres de Baal), le mont Sion, le Garizim des Samaritains. Les sanctuaires-montagnes Quand il n’existe pas de montagnes, on en construit ! En Mésopotamie, il s’agit des ziggurat appelées en sumérien U-Nur (" montagne "). Elles étaient une image du cosmos : leurs 7 étages représentaient les 7 cieux planétaires. Le temple bouddhiste de Borobodur à Java est construit lui aussi à la manière d’une montagne artificielle : plus on monte, plus on approche de la Libération (au sens bouddhique du terme). Les montagnes mythiques Elles sont mythiques dans le sens qu’elles n’ont pas d’existence géographique. Ces montagnes sont généralement considérées comme le centre du monde, le point par lequel l’axe du monde, c-à-d l’axe cosmique autour duquel tourne le ciel.
Les eaux La sacralité des eaux réside dans leur fécondité. Les eaux originelles L’eau est considérée comme la matière primordiale dans beaucoup de mythes de création. Le Tehom de Gen 1.2 est l’océan primitif, sur lequel planait l’esprit de Dieu. L’eau est également la matière primordiale dans la mythologie babylonienne (âpsu) et égyptienne etc… Les divinités des eaux : Nymphes en Grèce, Apsara-s en Inde…. Fleuves sacrés : Nil, Tigre, Euphrate, Gange, Rhin… Eaux et sanctuaires : à cause de la sacralité des eaux (et des nécessités de la purification), beaucoup de sanctuaires sont construits près d’une source : le sanctuaire de Delphes près de la source Kastalli, la Ka’ba près de la source Zemzem, Sainte-Odile près de la source du même nom, Lourdes. Les sanctuaires de Mithra étaient aussi régulièrement érigés près d’une source.
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Sources: * toute l'oeuvre de Mircea Eliade (voir ici § II.2) * HEILER Friedrich, Ercheinunngsformen und Wesen der Religion,Kohlhammer, Stuttgart, 1979 * VAN DER LEEUW G., La religion dans son essence et sa manifestation, Phénoménologie de la religion, Payot, Paris, 1970 * WIDENGREN Geo., Religionsphänomenologie, Walter de Gruyter, Berlin, 1969
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