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Le personnel du temple: prêtres, prêtresses et prostituées sacrées

 

© Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg

 

Fonction sacerdotale et fonction royale

A l'origine, fonction sacerdotale et fonction royale étaient confondues.

C'est pourquoi dans maintes civilisations primitives (="sans écriture") on a peine à distinguer le roi du prêtre . Ainsi les Incas péruviens cumulaient les deux fonctions, de même les rois suméro-babyloniens (les rois sumériens étaient grands-prêtres, de même aussi Melkisédék (Gen 14/18). L'empereur de Chine en tant que fils du Ciel exerçait également des fonctions sacerdotales. Aujourd'hui encore, l'empereur du Japon est grand-prêtre de la religion shinto.

 Le roi, dans l'ancienne Rome avait lui aussi d'importante responsabilités sacerdotales. Mais comme il était soumis à d'innombrables tabous lui venant de sa fonction sacerdotale, il en était handicapé dans des fonctions publiques. Ce qui explique que très tôt dans l'ancienne Rome on sépara les deux fonctions. Cependant, le grand-prêtre continua de porter le titre de rex sacrorum ("roi des actes sacrés").

 Prêtre, sorcier et prophète

Le prêtre est à différencier du sorcier et du prophète.

Le sorcier s'occupe des puissances impersonnelles, tandis que le prêtre est serviteur d'un ou de plusieurs dieux. En outre, le prêtre est en relation régulière, institutionnalisée avec la divinité, par opposition au prophète qui a une relation spontanée avec la divinité, d'où la tension entre la fonction sacerdotale et la fonction prophétique dans certaines religions.

 Le prêtre médiateur entre l'homme et Dieu

  1. Le prêtre est représentant de la divinité.
  1. Il transmet la volonté divine par l'interprétation des rêves, la mantique, les oracles, et l'interprétation des textes sacrés.
  2. Il distribue par les sacrements la grâce divine
  3. Il récite les formules sacrées révélées par la divinité
  4. Il guérit les maux du corps et de l'âme.
  1. Parallèlement, le prêtre représente les hommes devant Dieu, transmet leurs sacrifices, leurs offrandes, leurs prières. Largement répandue est la croyance que l'homme ne peut pas accéder directement à la divinité, mais qu'il a besoin d'un prêtre.
  2. Les prêtres ont souvent des fonctions secondaires de gardiens de la culture.
  1. spécialistes du droit et juges
  2. spécialistes de l'écriture dont les prêtres sont souvent les inventeurs
  3. spécialistes scientifiques: astronomes, historiens.

Dans certains cas, on aboutit à la formation de véritables castes sacerdotales, qui constituent pour ainsi dire un Etat dans l'Etat: ainsi dans l'Amérique pré-colombienne (les Incas), en Inde (les brahmanes), en Egypte et en Mésopotamie, dans la Rome ancienne et dans l'ancien Israël (tribu de Lévi).

Mais il y a aussi des religions sans prêtres.

L'islam: l'imam dirige la prière, le muezzin appelle à la prière, les oulémas et les fouqahas sont des spécialistes de droit et d'éthique. Mais il n' y a aucun spécialiste qui ait une fonction médiatrice.

Le christianisme primitif ne connaissait pas non plus le sacerdoce, il ne connaissait que des apôtres et des prophètes charismatiques. Avec la disparition des apôtres et des prophètes charismatiques, le presbytérat qui était à l'origine une charge purement honorifique (les Anciens) prit un caractère sacerdotal (pour plus de détails voir ici ).

 Comment devient-on prêtre ?

  1. Par hérédité: le sacerdoce se transmet dans certaines familles, tribus, castes (en Inde, en Iran ancien, dans l'Israël ancien…)
  2. Par vocation de type personnel: dans le christianisme actuel et souvent à l'issu de
  3. la consécration sacerdotale, consistant en une transmission mystique par imposition des mains:

Dans l'ancienne Rome: l'inauguratio du rex sacrorum (grand-prêtre) et des flamines majeurs consistait en une imposition des mains et un auspicium: on prenait donc les auspices, c-à-d on s'interrogeait sur l'assentiment des dieux en observant le vol des oiseaux (auspicium = avis (oiseau) + spicium (observation)).

Souvent hérédité et consécration sont liées.

Dans l'ancien Israël, il y avait une cérémonie d'onction des prêtres qui étaient par ailleurs choisis dans la même tribu, celle de Lévi. Mais dans le judaïsme postérieur, les deux ne le seront plus. L'ordination des rabbins se faisait par imposition des mains, rite qui passera dans le christianisme pour l'ordination des prêtres.

Le sens de la consécration est celui d'une filiation spirituelle. L'ordination d'un moine bouddhiste, par exemple, suppose une chaîne spirituelle qui remonte jusqu'au Bouddha lui-même. Les rabbins juifs admettaient une chaîne ininterrompue d'imposition des mains (semikhâ) depuis Moïse par Aaron (Nb 27.18ss, Dt 34.9).

Souvent s'y ajoute un élément ascétique, par exemple sous la forme de la chasteté temporaire (requise un certain temps avant l'accomplissement des rites) ou la chasteté continue sous la forme du célibat. Dans le monde des religions, l'émission de sperme est considérée comme une perte de puissance; or pour affronter le sacré, il faut la plénitude de la puissance.

Dans les Eglises orientales (où les prêtres sont mariés), on prescrit la continence aux prêtres la veille de la célébration eucharistique.

Les Vestales devaient rester chastes durant tout le temps de leur sacerdoce (30 ans). Leur chasteté garantissait, dans l'esprit des Romains, la prospérité de l'Etat, dont elles gardaient le centre d'énergie, le feu sacré. Une violation de la chasteté était considérée comme un crime affreux, un crime contre la sûreté de l'Etat. Une Vestale qui le commettait était enterrée vivante sur le campus sceleratus.

 

Les femmes dans le monde religieux

Elles y exercent plutôt des fonctions non-institutionnelles.

  1. Elles sont souvent guérisseuses et magiciennes: elles connaissent les formules magiques liées aux fonctions de la reproduction notamment l'accouchement.
  2. Elles sont également chanteuses et musiciennes: chants et musiques avaient à l'origine une fonction sacrée
  3. Les femmes étaient souvent oracles comme la Pythie de Delphes
  4. Il y avait des prêtresses dans la religion germanique, en Egypte, dans la religion sumérienne, surtout dans les cultes de fécondité. Il y a des prêtresses dans certains cultes hindous, notamment le culte de Kali, où le culte s'adresse à l'aspect féminin de Dieu.
  5. Il y avait des prostituées sacrées en Mésopotamie (culte d'Ishtar ou d'Astarté) et en Inde. Elles représentaient la déesse-mère ou la déesse de la fécondité.

 

La prostitution sacrée en Mésopotamie

Dans la mythologie sumérienne on parle des noces d'Inana (= akkadien Ishtar) et de Dumuzi (= akk. Tammuz). On sait par les hymnes qui nous sont parvenus que le roi de Babylone, au Nouvel An, s'unissait avec la grande prêtresse d'Ishtar par un hieros gamos (= "relations sexuelles sacrées"). La grande prêtresse représentait Ishtar et le roi (agissant en tant que grand prêtre) Tammuz. C'était un rite de fécondité qui devait garantir le renouvellement des énergies dans la nature et dans l'Etat, à l'aube de la nouvelle année. Autre interprétation: Ishtar possédait une force magique numineuse le "me" qui garantit l'ordre du monde et qu'elle transmet au roi lors du hieros gamos. Il s'agissait donc pour le roi de recueillir la force qui fonde sa royauté.

Autre exemple: à Ur, au temple de Nanna (ou Sîn, la divinité lunaire), il y avait des hiérodules (sumérien nin-dingir, akk. entum) considérées comme les épouses du dieu Nanna/Sîn, représenté en fait par le roi.

Le roi n'était pas le seul à pouvoir bénéficier de relations avec les prostituées sacrées. On sait qu'il y avait des hiérodules accessibles au commun des mortels, dans la plupart des temples babyloniens. Elles portaient des noms divers: nadîtum, qadishtum, isharîtum.

 La prostitution cultuelle en Inde

Dans le Veda (-1500 à -600) est absente toute allusion à une forme quelconque de prostitution sacrée. La première devadâsî à être signalée l'est dans une inscription du 2ème s. après JC en Inde centrale, dans la grotte de Jogîmârâ, près de Râmgarh.

Les devadâsî-s sont attestées massivement en Inde à partir du 6ème s après JC. Elles avaient pour fonction les danses sacrées, le chant, la musique et la prostitution sacrée.

Les devadâsî-s étaient consacrées aux dieux, c-à-d à leurs représentants, les prêtres, et souvent accessibles aussi aux simples fidèles. Les relations sexuelles auxquelles elles se prêtaient étaient considérées comme un rite sacré de fécondité, qui devait servir à augmenter la fécondité des gens, des animaux et de la terre, car dans les civilisations anciennes la fécondité n'est pas un donné, elle vient des dieux.

A certaines époques le nombre de devadâsî-s semble avoir été considérable.

Le temple de Somanatha hébérgeait 350 devadâsî-s au moment de sa destruction par le conquérant turco-mongol Mahmûd de Ghazni en l'an 1026.

Le voyageur chinois Chao-Ju-Kua rapporte en 1226 que le Gujarat comportait 4000 temples avec 20.000 devadâsî-s.

Leur existence est également rapportée par le récit de Marco Polo (1254-1324).

Au 19ème et au,20ème s. l'influence de la morale britannique de l'époque eut pour conséquence l'interdiction de la prostitution sacrée à Madras et à Bombay.

 Dans la Thora

La femme du prophète Osée était une prostituée sacrée des cultes cananéens de la fécondité (cf. Osée 1.2, 4.13-14).

 

Symbolique sexuelle

La symbolique et le rituel sexuels sont importants dans beaucoup de religions.

La conception "immaculée" (sans relations sexuelles) est affirmée dans le cas de la divinité iranienne Mithra (sous la forme d'un esprit entrant dans le corps d'une vierge) , du Bouddha (sous la forme d'un petit éléphant blanc entrant dans le corps de la mère du Bouddha, les parents du Bouddha vivant dans la continence) et de Jésus.  La conception sans relations sexuelles signifiant qu'il y a une dimension autre dans la naissance de certains êtres que la seule dimension biologique.

Dans la statuaire hindoue, Shiva est souvent représenté enlaçant sa partenaire féminine la Shakti. Cette représentation n'a d'autre sens que l'Absolu se situe au-delà des dualités, symbolisée ici par l'une d'entre elle, la polarité entre le masculin et le féminin. Vichnou, quant à lui,  est souvent représenté comme ayant trois têtes (le Vichnou tricéphale): une tête masculine, une tête féminine, et une tête neutre qui transcende le masculin et le féminin.

Sur d'autres exemples de relation entre religion et sexualité, cliquer ici.

Sources:

*   toute l'oeuvre de Mircea Eliade (voir ici § II.2) 

*  HEILER Friedrich, Ercheinunngsformen und Wesen der Religion,Kohlhammer, Stuttgart, 1979

*  VAN DER LEEUW G., La religion dans son essence et sa manifestation, Phénoménologie de la religion, Payot, Paris, 1970

*   WIDENGREN Geo., Religionsphänomenologie, Walter de Gruyter, Berlin, 1969

* Janine FAVRE-SAADA, La sorcellerie en Normandie

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Bibliographie

Introduction : Qu'est-ce que l'histoire des religions ?

Mircea Eliade

Hiérophanies, théophanies, espace sacré, temps sacré

La logique des hiérophanies et des théophanies

Le ciel

Le sanctuaire

Le personnel du temple: prêtres, prêtresses et prostituées sacrées

Le mythe

Souffrance, Confessions des péchés, expiation, exorcisme

La mort

L'écriture sacrée

Langue sacrée

Tabous alimentaires

Le monothéisme

 

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