Cours du 19 avril 2012

 

Ś Râmakrishna (1836-1886)

 

 

Râmakrishna, prêtre de la déesse Kâlî et Sâradâ Devî, son épouse, prêtresse de la déesse Kâlî

 

Râmakrishna en sâmadhi

 

Résumé:

Gadâdhara Chattopadhyâya (ou Chatterji), dit Râmakrishna , naquit dans une famille de brahmanes pieux et pauvres en 1836, à Kamarkupur au Bengale.

A partir de l'âge de 19 ans, il commença par aider son frère qui était prêtre de la déesse Kâli au temple de Dakshineshwar, puis lui succéda deux ans après comme prêtre de la déesse Kâlî, forme féminine de l'énergie universelle.

Il se maria en 1859 avec Sâradâ Devî,  par la suite aussi prêtresse de la déesse Kâli. Le mariage ne fut jamais consommé.

Dès son plus jeune âge (6 ans),  il eut une propension aux visions extatiques. Plus tard,  ces phénomènes extatiques furent interprétés comme des enstases yoguiques. Râmakrishna aurait été, selon ses disciples, l'un des rares humains à avoir expérimenté l'ultime stade du yoga, le nirvikalpa-samâdhi, état d'où en général on ne revient plus et où le méditant médite directement  sur son propre âtman (âme), sans aucune intervention de la connaissance discursive. Ses disciples virent aussi en lui une incarnation plénière de Dieu (Vichnou).

Râmakrishna eut deux maîtres. Le premier fut une femme , la Bhairavi Brahmani, qui l'initia à la voie tantrique et à la voie vichnouite de la bhakti. Le deuxième fut un samnyâsin çankarien, Totapuri, qui l'initia à la voie de l'advaïta-vedânta et du jnâna-yoga..

Il pratiqua la voie mystique de l'islam et du christianisme, en plus des diverses voies hindoues et enseigna que les diverses religions sont autant de chemins de valeur égale conduisant à l'Absolu.

Son enseignement fut recueilli sous le titre d'Evangile de Râmakrishna par M., un disciple anonyme, et traduit du bengali en anglais par un autre  disciple Vivekânanda. Il a été publié en français par Jean Herbert sous le titre L'enseignement de Râmakrishna.

Détails

La jeunesse

Gadâdhara Chattopadhyâya (Chatterji), dit Râmakrishna, naquit le 18 février 1836 à Kamarpukur au Bengale, de Khudiram Chattopadhyâya et  de Chandra Devi, brahmanes pieux et pauvres.

En 1835, Khudiram, âgé de 65 ans accomplit le deuxième pèlerinage de sa vie (le premier l'avait été à Râmeswâr à l'extrémité sud de l'Inde) à Gâya, lieu saint marqué par l'empreinte du pied de Vichnou. Là Vichnou lui apparut en rêve et lui fit la promesse de s'incarner dans le fils qu'il allait avoir

De son côté, Chandra Devî eut une vision devant le temple de Shiva à Kamarpukur lui annonçant la naissance d'un enfant divin. Les parents l'appelèrent Gadâdhar(a) en souvenir du rêve de Gâya, Gadâdhara (= Porteur du Sceptre en sanskrit) étant l'un des titres de Vichnou.

Très tôt il montra une prédisposition pour les expériences extatiques. Sa première expérience, à l'âge de 6 ans, lui procura une joie indicible.

Conformément aux traditions de sa caste, il reçut lors de l'initiation brahmanique (upanâyana), à l'âge de 9 ans, le cordon sacré des brahmanes. Désormais une nouvelle vie commença pour le jeune Gadâdhar. Il lui était permis d'adorer Raghuvir (nom de Râma et de la famille divine de Râmakrishna). Il se livrait également au rite de la pûjâ (adoration de la divinité à travers une image d'elle). Dès que le jeune Râmakrishna entrait en méditation, le Seigneur lui apparaissait  aussitôt..

Dans sa jeunesse, il jouait dans une petite troupe théâtrale le rôle de Krishna dans des saynètes du Râmayâna et du Mahâbhârata qui narraient les amours mystiques de Râdha et de Krishna

Le prêtre de la déesse Kâlî à Dakshineswâr

L'immense temple de Dakshineswâr avait été construit en 1847 à 6 km du Gange près de Calcutta (Kâlîkâta = "ville consacrée à Kâlî") par une riche veuve de la caste des çudra-s (la plus basse des castes), Râni Rasmani. Elle le dédia à sa divinité d'élection (ishta-devatâ), Kâlî, la Mère Divine.

Cet immense complexe sacré comprenait 12 petits temples de Shiva, un temple de Râdhakanta (Vichnou) orné des images de Râdha et de Krishna, et un temple de Kâlî  adorée comme Bhavatârini (Sauveur de l'Univers), avec une statue de Kâlî dansant sur le corps de son époux Shiva.

La dédicace du temple eut lieu le 31 mai 1855. Râni Rasmani, à cause de son appartenance à la caste des çudra-s, eut du mal à trouver un brahmane pour la cérémonie. Râmkumar, le frère de Râmakrishna, finit par accepter. Mais il mourut un an plus tard . Râmakrishna le remplaça.

A l'âge de 20 ans, Râmakrishna devint prêtre de la déesse Kâlî dans le temple-jardin de Dakshineswâr.

Il se maria en 1859, à 23 ans, avec Sâradâ Devî, qui n'avait que cinq ans. Ce mariage ne fut jamais consommé. Râmakrishna n'a jamais éprouvé de désir pour une femme,  car il ne voyait dans les femmes que des manifestations de la Mère Divine

Yogîshvârî: la Bhaïravi Brahmani

La Bhaïravi Brahmani (= "nonne brahmane", de son vrai prénom Yogîshvârî) était une renonçante (samnyâsinî) d'environ 50 ans qui ne possédait que deux vêtements et quelques livres. Elle était une adepte du tantrisme et du vichnouisme. Elle rassura RK sur sa "folie" apparente: "mon fils, dans ce monde tout le monde est fou. Les uns sont fous d'argent, d'autres le sont de créatures, d'autres de luxe ou de renommée. Vous, vous êtes fou de Dieu !"

Au vu de ses expériences mystiques, elle pensa bientôt que seule une incarnation divine était capable de telles expériences, et que RK avait atteint le sa-vikalpa-samâdhi (enstase qualifiée), état yoguique d'une difficulté rare précédant le tout dernier stade du yoga, le nir-vikalpa-samâdhi (enstase non qualifiée), et que donc RK, comme Shrî Chaitanya (né en 1485) était une incarnation plénière de Vichnou, comme Râma ou Krishna. Deux pandits (érudits hindous) furent convoqués (Vaïshavacharan de Calcutta et Gauri d'Indesh) et confirmèrent le diagnostic de la BB.

Vaïshavacharan remarqua avec étonnement la présence dans la personne du Maître de tous les signes des 19 sortes principales de sentiments spirituels dont la coexistence permet le mahâbhava, la relation mystique suprême avec Dieu, signalés uniquement dans le cas de Râdha, la compagne de Krishna et de Caîtanya. RK réagit avec humour: "En tout cas je suis content de savoir qu'il ne s'agit pas d'une maladie".

Gauri demeura 4 ans à Dakshineswar: " Vaïshavacharan vous appelle une incarnation de Dieu ? Je considère son opinion comme bien faible. Ma conviction est que vous êtes celui dont les incarnations partielles descendent dans le monde d'âge en âge pour le bien de l'humanité et par le pouvoir de qui elles accomplissent le travail qui est le leur ".

La BB initia RK au tantrisme . Au bout de trois jours il atteignit le samâdhi. Puis elle l'initia à la bhakti, la relation à Dieu par l'amour sans limite. Pour mieux développer cet amour de Dieu dans le coeur du croyant, le vichnouisme humanise Dieu que l'on présente comme un parent, un maître ou un ami. mais au fur et à mesure de cette ascension dans l'adoration de Dieu, les personnifications s'effacent et le fidèle découvre la vraie communion avec Dieu lui-même. Alors plus rien ne le sépare de son idéal, aucune obligation sociale ou morale ne peut le lier au monde l'esprit qui a pris son essor vers le Divin.

Totapuri et l' Advaïta-Vedânta (1864)

Totapuri était un ascète renonçant (samnyâsin) védantin.

Il était un adepte du non-dualisme absolu (advaita-vedânta) ou monisme. Cette école philosophico-théologique illustrée par Shankara professe qu'il n' y a qu'une seule Réalité, le Brahman, et que le monde que nous voyons n'est qu'un reflet du Brahman absolu, et qu'il n'a donc qu'une réalité seconde comme l'image d'un objet dans un miroir par rapport à l'objet en question.

Totapuri lui fit passer la célèbre cérémonie de renoncement au monde qui fit de lui aussi un renonçant. 

Aux premières heures du matin, le jour dit, un feu fut allumé au Panchavati  (endroit du temple de Dakshineswar où se trouvent 5 arbres sacrés), devant lequel les deux hommes s'assirent. Puis RK renonça solennellement à tout attachement, à sa famille, à ses amis, à son propre ego. Le feu consuma son cordon de brahmane. Puis il accomplit, dépouillé de ses vêtements son propre service funèbre et reçut de son gourou la robe ocre des samnyâsin.

RK eut beaucoup de difficultés à se séparer de l'image de la Mère Divine. : " Je n'avais aucune difficulté à détacher mon esprit de tous les objets, sauf de la forme trop familière de la radieuse Mère, essence de la Pure Conscience, qui apparaissait devant moi comme une vivante Réalité. Son sourire enchanteur me barrait la route de l'au-delà. J'essayai à plusieurs reprises de concentrer mon esprit sur les enseignements de l'Advaïta. Chaque fois, la forme de la Mère m'en empêchait "(Introduction à l'Evangile de M, p. 29). Puis il fendit l'image de la Mère Divine qui lui était à nouveau apparue. se servant de sa pensée comme d'un glaive, il  fendit l'image en deux. Cette dernière barrière une fois tombée, son esprit s'éleva au-delà du plan phénoménal, et il réalisa le nirvikalpa-samâdhi. Il y resta 3 jours. Totapuri demeura onze mois à ses côtés. Puis il vécut, après le départ de son maître,  pendant six mois en nirvikâlpa-samâdhi, nourri et soigné par son épouse Sâradâ Devî et ses disciples

RK passa le restant de sa vie partagé entre le plan de l'Absolu et le plan du phénoménal, adorant tantôt le Dieu personnel (Kâlî, la Mère Divine), tantôt le Dieu impersonnel (le Brahman).

Expérience des grandes religions: l'islam (1866) et le christianisme (1874)

 En 1866, RK fit l'expérience de l'islam. Pendant quelque temps, il répéta constamment le nom d'Allâh, s'habilla en musulman et pratiqua les disciplines spirituelles de l'islam. (1). Il oublia les dieux et les déesses hindous, même Kâlî, et cessa de fréquenter leurs temples. Au bout de trois jours un visage radieux, celui du Prophète Mohammed, lui apparut dans une vision.

Huit ans plus tard, en novembre 1874, RK en écoutant lire la Bible dans un jardin de Dakshineshwar, fut saisi du désir de connaître le christianisme. Il fut fasciné un jour par une peinture de la sainte Vierge et de l'Enfant jésus qu'il avait vu dans un salon de Dakshineshwar. Il en fut si bouleversé que pendant plusieurs jours il ne put entrer dans le temple de Kâlî. Le quatrième jour, alors qu'il se promenait dans le Panchavati, il vit venir vers lui un être aux beaux yeux et au teint clair dans une attitude sereine. Comme ils se trouvaient face à face tous les deux, une voix se fit entendre dans le tréfonds de RK: " Contemple le Christ qui a versé le sang de son coeur pour la rédemption du monde et qui a souffert un océan d'angoisse pour l'amour des hommes. C'est lui, le Maître, qui est en union éternelle avec Dieu. C'est Jésus, l'amour incarné" (Introduction à l'Evangile de M., p.34).

Râmakrishna et l'unité transcendantale des religions 

RK ne pensait pas qu'une seule religion pouvait seule posséder la vérité à l'exclusion des autres.. Pour RK tout concept métaphysique appelle une forme pour l'énoncer, mais il est impossible de croire qu'il n'en existe qu'une seule. Les religions sont des expressions particulières, des limitations de la Vérité Transcendante qui déborde ces cadres ou les brise, ou encore les abandonne pour des cadres nouveaux, lorsqu'ils tendent à l'étouffer. Il croyait qu'il y a un Dieu, principe unique et suprême de toute foi, et que les religions sont des chemins pour aller à Lui.

" J'ai pratiqué toutes les religions: hindouisme, islam, christianisme, et j'ai suivi aussi les voies des différentes sectes de l'hindouisme... Et j'ai trouvé que c'est le même Dieu vers qui toutes se dirigent, par des voies différentes... Un étang a plusieurs ghât-s (escaliers). De l'un les hindous puisent l'eau dans des cruches, et ils l'appellent jal; de l'autre les musulmans puisent de l'eau dans des outres en cuir, et ils l'appellent pani; d'un troisième, les chrétiens, et ils l'appellent water. Pouvons nous imaginer que cette eau n'est pas jal, mais pani ou water ?  Comme c'est ridicule! la substance est Une sous différents noms, et chacun cherche la même substance. " (Evangile de M., p. 35).

" Dieu est sur le toit. Il s'agit d'y grimper. Les uns prennent une échelle, les autre une corde, ou un escalier de pierre, une perche en bambou, d'autres escaladent à leur manière. Ce qu'il faut, c'est arriver sur le toit. Peu importe que vous ayez choisi telle ou telle voie. ce qu'il ne faut pas, c'est employer à la fois plusieurs manières, prenez-les successivement. Lorsque vous avez trouvé Dieu, vous êtes sur le toit... et vous comprenez alors qu'on peut prendre différents chemins pour l'atteindre. Vous ne devez en aucun cas considérer que les autres chemins ne mènent pas à Dieu. ce sont d'autres voies vers le même toit. Laissez chaque être suivre son propre sentier. " ( Evangile de M., p. 135).

La fin

Atteint d'un cancer à la gorge, son état s'aggrava au cours de l'année 1886. Le 15 août, le pouls devint irrégulier et la respiration difficile. Vers minuit, il cria trois fois le nom de Kâlî. A une heure du matin, le 16 août 1886, le visage éclairé d'un sourire, il s'éteignit. Tandis qu'elle endossait soin vêtement de veuve, Sâradâ Devî entendit dans un moment de révélation: "J'ai passé seulement d'une chambre dans une autre" (Evangile de M., p. 73).

(sources: Solange Lemaître, Râmakrishna et la vitalité de l'hindouisme, coll. Maîtres spirituels n° 18, Ed. du Seuil,  Swami Sârânanda, Biographie de Râmakrishna par Swami Sârânanda, son disciple, Cerf, 2005 )

Râmakrishna sur la mort

Le gourou selon Râmakrishna