Cours du 5 décembre 2011

 

1ère heure : La mort et l'au-delà

 La mort est co-extensive à la vie et la vie co-extensive à la mort.

 Vie et mort sont soeurs. Les deux sont une réalité d'une seule et même face. C'est ce que montre la mythologie de l'humanité: la déesse de la vie est la soeur de la reine des enfers dans la mythologie babylonienne, et l'une n'a pu supplanter l'autre, comme le rappelle le mythe de Tammouz

Dans toutes les civilisations archaïques et traditionnelles; il y a une présence et une familiarité de la mort que nous avons quelque mal à imaginer. On se prépare à la mort par une série de rites. 

Dans l'islam, le pèlerinage est une anticipation de l'aventure de la mort: on prend congé de ses amis et de sa famille, comme un mourant sur son lit de mort. 

La préparation à la mort par le rite

Ce qu'il y a de terrible dans la mort, ce n'est pas la mort en elle-même, c'est de ne pas l'avoir expérimentée et vécue d'avance. Il y a donc dans toutes les religions une série de rites destinés à familiariser l'homme avec la mort.

Ainsi dans toutes les civilisations archaïques, c'est l'initiation à la mort, comme d'ailleurs à la souffrance qui marque le passage de l'état d'enfant à l'état d'adulte. On n'est adulte que si on a expérimenté la mort de manière préfigurative. Cette expérience de la mort, toutes les civilisations archaïques la font subir à leurs adolescents. Au cours de l'initiation, l'adolescent vit symboliquement et rituellement sa future mort.

Au Congo, les garçons entre 10 et 12 ans avalent une boisson qui leur fait perdre connaissance. Ils sont alors emportés dans la jungle pour être circoncis. Ils sont enfermés dans la "maison des fétiches". Cet enfermement a valeur d'inhumation. Pendant leur réclusion dans la jungle, ils sont peints en blanc comme les morts.

Dans l'Antiquité, les cultes à mystères comportait tous une initiation rituelle, au cous de laquelle l'initié était mis en face du destin que le dieu lui accordera après la mort. Il foulait le seuil de Proserpine, selon l'expression d'Apulée dans l'Âne d'Or (livre x).

Dans le christianisme, chaque célébration eucharistique commémore la mort et la résurrection du christ et met le fidèle en face de sa propre mort et de la promesse de sa résurrection en Christ.

Autre exemple de préparation à la mort: le rituel du renoncement (samnyâsa) dans l'hindouisme.

Selon Baudhâyanadharmaçâstra 2.10.17, le futur renonçant offre la dernière oblation (ishti) (de beurre ou de fruits) à Agni, puis il jette les récipients sacrificiels dans le feu Âhavanîya, puis il jette dans le feu Gârhapatya les deux baguettes qui servent dans certains cas à l'allumage du feu par friction. Puis il inhale les trois feux en lui, signifiant par là que désormais.  le sacrifice s'accomplira en lui-même. Puis il répète trois fois à voix basse et trois fois à voix haute: "Om, bhûr (terre) bhuvah (espace intermédiaire), svah (ciel) . Je suis entré dans le samnyâsa " . Le renonçant fait en même temps voeu de silence. Il est désormais sans feu ni lieu. Il mendiera sa nourriture, mais passivement, sans rien solliciter de personne: " Qu'il mange de la nourriture donnée sans l'avoir demandée, sans déterminer à l'avance ce qu'il va manger et ce qu'il obtient par hasard " (2.10.18.12)". Il espacera sa nourriture: manger un repas sur quatre seulement, puis un sur six, puis un sur huit...(sur le renoncement dans le soufisme, cliquer ici )

On peut aussi prendre les devants: 
Selon les Lois de Manou 6.31, cette préparation à la mort peut aller jusqu'à la mort volontaire par inanition, qui est également pratiquée dans le jaînisme. C'est en fait un jeûne à mort: "Qu'il marche pleinement déterminé et droit devant lui, en direction du nord-est (nb: là où les hommes et les dieux se rencontrent), subsistant uniquement d'eau et d'air, jusqu'à ce que son corps se résorbe dans le repos final ". C'est le mahâprasthâna "le Grand départ".

Tout cela est accompagné par une méditation sur la condition humaine qui pourrait presque être bouddhique. Lois de Manou 6.61-67:

" Le renonçant méditera sur la transmigration des êtres humains (...), sur la séparation d'avec les êtres qui leur sont chers, sur leur union avec ceux qu'ils détestent, sur le fait qu'ils sont submergés par la vieillesse et qu'ils sont torturés par les maladies, sur la séparation de l'âme individuelle du corps et sa renaissance dans une nouvelle matrice, et ses pérégrinations sur des dizaines de milliards d'existences (...). Qu'il reconnaisse par une méditation approfondie la nature subtile de l'âtman suprême (= du Brahman) et sa présence dans tous les organismes vivants, inférieurs ou supérieurs. "

La mort, un autre état d'être

L'homme moderne occulte la mort. Il ne sait plus mourir. Pour lui la mort est toujours une catastrophe. Pour l'homme des civilisations anciennes et archaïques, la vie et la mort sont deux états de l'être, et non l'être et le néant. La vie est un mouvement circulaire, un cycle que la mort n'interrompt pas, si les rites sont correctement accomplis. Le défunt continue à vivre, pourvu que les rites assurent la continuité de son existence. 

La mort ouvre en effet un état de crise que seul l'accomplissement des permet de surmonter. Le défunt est partout conçu comme un personnage redoutable. Que craint-on de lui ? Essentiellement qu'il revienne parmi les vivants et perturbe leur vie. D'où toute une série de rites destinés à empêcher qu'il revienne. 

Le plus universel, ce sont les vêtements de deuil. On s'habille autrement que d'habitude, de façon que le défunt ne nous reconnaisse pas. Ou bien la procession funéraire prend au retour un autre chemin qu'à l'aller, ou encore on sort le corps par une porte dérobée et non par la porte d'entrée, pour que le mort ne puisse rentrer à la maison. La crémation a aussi pour but de faire séparer plus vite l'âme du corps. Le dernier rite de la crémation hindoue consiste à briser le crâne calciné pour en faire sortir l'âme.

La communauté des vivants doit continuer de vivre

La communauté des vivants a été affaiblie par la mort d'un de ses membres. Il faut donc faire redémarrer au plus vite la vie. Ceci explique que les repas funèbres tournent souvent à l'orgie, et que dans nos campagnes les enterrements sont souvent l'occasion de joyeuses ripailles où les plaisanteries obscènes ne manquent pas.

Il faut aussi entretenir la vie des morts, d'où l'universalité du culte des morts. On leur fournit de la nourriture, des libations, des fleurs. Dans sa forme la plus spiritualisée, le culte des morts se borne à la prière pour les morts où s'exprime l'idée d'une communauté agrandie qui unit les vivants et les morts. Les vivants peuvent intercéder pour les morts, et les morts aussi peuvent continuer à influencer le cours des choses ici-bas, surtout si de leur vivant, ils ont joui d'une position de puissance. Cf. le credo chrétien : " Je crois au Saint-Esprit, la sainte Eglise universelle, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle ".

Que deviennent les morts après le trépas ?

Ils survivent d'une manière ou d'une autre (sauf dans les religions sémitiques). Mais très souvent dans les religions archaïques, on considère que la qualité de leur survie dépend de la puissance que le défunt avait ici-bas. Ainsi, le combattant, le roi et la femme morte en couches sont mieux lotis que le commun des mortels.

Ou encore l'on considère que la  vie posthume se règle sur la conduite bonne ou mauvaise que le défunt avait de son vivant. Au stade le plus primitif, il n'y avait là aucune intention morale: l'idée est tout simplement que le péché amoindrit la puissance du défunt, l'intégrité la renforce. En corrélation avec cette conception, l'idée qu'il y a deux séjours pour les morts; les enfers, lieu de torture, ,et le paradis, lieu de délices. C'est une conception qui vient d'Iran et qui passera de là dans le judaïsme, le christianisme et l'islam.

La séparation de l'âme et du corps

Cette idée d'est développée sous une forme particulière dans le monde indo-européen: le voyage de l'âme.  Encore aujourd'hui, dans nos campagnes, quand un décès se produit, on ouvre la fenêtre. le sens de cette coutume s'est perdu, mais est clair pour un historien des religions: il s'agit de laisser partir l'âme au ciel. Cette croyance n'a évidemment rien de chrétien, puisque le christianisme officiel est fort peu loquace sur le sort des trépassés et professe l'attente de la personne toute entière, non de l'âme seulement, en vue de la résurrection. C'est une vielle croyance indo-européenne qui s'est maintenue en Europe. En voici le version indienne, puis iranienne.

Pour les Indiens, les âmes rejoignent la lune par le chemin des mânes, où elles  se reposent en attendant une nouvelle incarnation Celles des initiés prennent la route su soleil, c-à-d le chemin des dieux. Les initiés, ce sont ceux qui se sont libérés des illusions et de l'ignorance (Brhadâranyaka-upanishad 6.2.16, Changogya-upanishad 5.10.1), qui connaissent le "mot de passe" (Kaushitaki-upanishad).

Dans tradition iranienne, les âmes des morts, après avoir traversé le pont Cinvat (mot iranien, prononcer "Tchinvat") (cf. le pont Sirât dans l'islam),  se dirigent vers les étoiles, et, si elles étaient vertueuses, poursuivent leur chemin jusqu'à la lune, puis au soleil. Les plus vertueuses d'entre elles pénétraient dans le garodmân,  la lumière infinie d'Ahura Mazda.

Le thème essentiel du christianisme (comme du judaïsme et de l'islam) n'est pas l'immortalité de l'âme, mais la résurrection, conçue comme une nouvelle création de la personne. La vie éternelle est un don de Dieu.

Désormais, du moins pour l'occident, la réflexion sur le sort des trépassés se séparera en deux routes divergentes: l'immortalité de l'âme des philosophes et des ésotéristes et la résurrection de la chair, pure grâce de Dieu, de la pensée sémitique en général.

La résurrection est une vielle conception iranienne qui a pénétré dans le judaïsme, puis dans le christianisme et l'islam.

Quant à l'idée de réincarnation, elle est répandue partout dans le monde, surtout dans les religions de l'Inde: hindouisme, bouddhisme et jaïnisme. Dans le bouddhisme tibétain, le Bardo Thödol  (livre des morts tibétains) décrit en détail les étapes entre la mort et la réincarnation. Il existe d'autres livres des morts: notamment le livre des morts égyptien et l'Ars moriendi ("art de mourir") du Moyen-Âge européen. Dans le christianisme, seuls quelques rares pères de l'Eglise, notamment Origène, l'ont défendue.

Sagesse: "La mort est notre point de maturité " (Makkî, Qût al-Qulûb)

" La mort est belle, parce qu'elle amène l'ami à l'Ami" (Yahya ben Mu'âdh)

"J'ai passé seulement d'une chambre dans une autre",  Râmakrishna ( in Evangile de M., p. 73).

Exorcisme contre la mort

 Sources: toute l'oeuvre de Mircea Eliade (voir ici § II.2) 

*  HEILER Friedrich, Ercheinunngsformen und Wesen der Religion,Kohlhammer, Stuttgart, 1979

*  VAN DER LEEUW G., La religion dans son essence et sa manifestation, Phénoménologie de la religion, Payot, Paris, 1970

*   WIDENGREN Geo., Religionsphänomenologie, Walter de Gruyter, Berlin, 1969

 

2ème heure: Bouddhologie: la doctrine des trois corps

Le bouddhisme a enseigné de tout temps que Gautama n'a été qu'un de la longue série des Eveillés qui sont apparus sur terre et qui apparaîtront encore sur terre.

Selon les Théravâdin-s (PV), durant la présente période cosmique, il y a eu trois Bouddhas qui ont précédé Gautama. Un Bouddha supplémentaire est attendu à la fin de la présente période cosmique.

Pour le GV, les Bouddhas sont aussi nombreux que les grains de sable du Gange. Cette conception est la conséquence logique de la croyance du GV que chaque être vivant doit faire son possible pour devenir lui-même un Bouddha et que beaucoup ont atteint ce but.

Selon le GV, les Bouddhas peuvent se présenter sous trois aspects correspondant aux trois aspects de la réalité: terrestre, transcendante, absolue. Il y a donc:

 

Le Dharmakâya

Alors que les Bouddhas terrestres et les Bouddhas transcendants sont innombrables, il n' y a qu'un seul Dharmakâya pour tous les temps. Il est le principe auquel s'origine tous les bouddhas.

Les hommes qui sont au bas de l'échelle de la libération voient une foule de Bouddhas, et une contradiction entre les bouddhas et le monde des apparences. L'homme libéré ne voit dans le cosmos que le seul dharmakâya. Certains se le représentent comme un Bouddha primordial (âdibuddha, allemand: Urbuddha).

Mais il n'est pas donné à la plupart des hommes de percevoir ce degré subtil de la réalité. La plupart n'en percevront que des manifestations plus grossières: le sambhogakâya et le nirmânakâya.

Le Sambhogakâya

Par sambhogakâya le GV désigne les Bouddhas transcendants. Ils sont transcendants dans la mesure où ils ne sont pas perceptibles par les sens, mais uniquement spirituellement. Leur perception suppose donc le développement du sens spirituel interne qui fait de nous des bodhisattva-s.

Le sambhogakâya est le corps surnaturel transfiguré qu'un Bouddha a acquis dans ses existences antérieures en fonction de ses mérites religieux.

Le plus célèbre des Bouddhas transcendants est Amitâbha (=celui dont la splendeur est incommensurable).

Le Nirmânakâya

Au nirmânakâya ("corps de manifestation") appartiennent tous les Bouddhas qui, comme le Bouddha Gautama, ont circulé sous forme physique, concrète dans le monde. Ils sont considérés comme la projection sur terre des Bouddhas transcendants.

Ils sont enseignants (ils enseignent le Dharma), mais ne peuvent raccourcir le chemin de la libération. Ils ne peuvent que l'indiquer. Ainsi à chaque Bouddha est subordonné un Bodhisattva qui a cette capacité

Les bodhisattava-s sont pour le GV des êtres qui sont en route vers la bodhi (illumination intérieure, éveil spirituel) ou même qui l'ont atteinte, mais qui, une fois mort, retardent leur nirvâna statique (ou post-mortem, sanskrit: apratishtha-nirvâna) [car il y a 2 nirvâna-s], jusqu'à ce que tous les êtres soient sauvés.

Leur conduite est donc dictée par la compassion. Le Bodhisattva prend volontairement sur lui la souffrance du monde, l'assume, et donne en don son surplus karmique (ce qui ne fait pas diminuer son crédit karmique, car le fait même qu'il en fasse don lui est crédité positivement).

A partir du 1er s. de notre ère, le GV distingue deux sortes de bodhisattva-s: les terrestres et les transcendants.

Les bodhisattvas terrestres sont des êtres humains comme les êtres qui ne sont bodhisattvas que pace qu'ils ont une attitude de compassion dans la vie quotidienne à l'égard du prochain. Chaque être humain que l'on rencontre peut être un bodhisattva sans qu'on le sache.

Les bodhisattvas transcendants sont des être qui ont atteint la sagesse libératrice (prajñâ) et donc la sainteté, d'où il n'y a plus de retour. Mais ils renoncent à entrer dans le nirvâna statique post-mortem, ils restent dans le nirvâna actif, un état de libération dans lequel ils peuvent aider les autres. Ils agissent dans le monde du samsâra, tout en l'ayant dépassé. N'étant plus soumis à la loi de la renaissance, ils peuvent à volonté prolonger leur existence, changer d'apparence. Ils ont le don d'ubiquité.

Cinquante Bodhisattva-s transcendants sont cités dans les Sûtras sanskrits. Le plus important est Avalokiteçvara [= le Seigneur qui regarde avec compassion vers le bas]. Il a une compassion infinie. On lui adresse la célèbre invocation: Om mani padme hûm (" om, le joyau dans le lotus, hûm "). Il est représenté avec quatre bras. Les bouddhistes tibétains croient que le Dalaï-Lama est son incarnation.

Autre Bodhisattva très invoqué: Mañjuçrî [= celui dont la beauté est splendide].