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 Réincarnation et karman

 

© Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions, Université de Strasbourg

 

[ voir aussi Les doctrines fondamentales des Upanishads, en bas de page]

Tous les hindous, quelle que soit leur tendance (vichnouite, çivaïte...), croient en la réincarnation.

Qu'est-ce qui transmigre de vie en vie ?

Ce n'est pas exactement l'âtman, car à proprement parler, l'âtman désigne l'âme dans son immatérialité pure, sans référence à son incarnation. Ce qui transmigre d'existence en existence, c'est le jîvâtman (ou jîva), littéralement âme de vie, qui a un versant qui n'est pas purement immatériel; il possède aussi une nature corporelle subtile.

Les bouddhistes et les matérialistes contestent l'existence d'un tel jîvâtman, qui survivrait à la mort des corps. Mais dans toutes les tendances de l'hindouisme on considère comme démontrée l'existence du jîva, pour les raisons suivantes:

  • On peut en prendre conscience dans la méditation. Le yogin avancé acquiert la capacité de se souvenir de ses existences antérieures, si bien qu'il doit y avoir quelque chose en lui qui emmagasine (comme une mémoire d'ordinateur) les expériences des vies antérieures.
  • Des raisons morales: la doctrine de la réincarnation n'a de sens moral pour la justification des différences entre les êtres humains que s'il y a une continuité et par là une possibilité de développement de l'homme sur plusieurs existences.

 

L'organe interne

Selon les conceptions çivaïtes fondées sur les idées du sâmkhya, le jîvâtman comporte un agrégat subtil appelé organe interne (1)(antahkarana). L'organe interne est composé de la buddhi (conscience profonde), du manas (le mental ou conscience psychologique et de l'ahamkara (ego, exactement "egofacteur"). C'est cet organe interne qui emmagasine la totalité des perceptions et des sensations, aussi bien conscientes qu'inconscientes. Il n'emmagasine pas seulement les impressions des sens et de la pensée, mais également les empreintes, les traces qui résultent de notre propre agir: le karman.

Les limitations de l'organe interne

Les conditions structurelles de l'organe interne limitent de manuère décisive notre perception du monde.

  1. Elles ont pour conséquence que toutes les perceptions sont enregistrées de manière ponctuelle (et non globales) et qu'elles sont mises en rapport en tant qu'objet des sens avec la conscience qui fonctionne en tant que sujet connaissant, autrement dit la séparation du sujet connaissant et de l'objet connu.
  2. Elles ordonnent les objets d'après les catégories du temps (kâla) et de la causalité (niyati). Ceci a pour conséquence que dans notre conscience apparaît l'impression d'une séquence d'événements au lieu d'une vision globale des choses, et que l'unité de l'être se réduit à une séquence de dépendances consécutives.

    Le fait que les objets soient perçus séquentiellement et non pas globalement se répercute naturellement sur la capacité de connaissance et d'action du sujet connaissant. Au lieu d'un savoir global, il n'enregistre sue des connaissances partielles (vidyâ), et au lieu de posséder une capacité d'action illimitée, il ne possède que des domaines d'action limités.

  3. Les objets saisis par les sens sont colorés par des qualités affectives (râga), de telle sorte qu'apparaissent une inclination ou un refus, amour ou haine.

 L'ahamkâra

Les conditions cognitives propres à l'âme de vie (jîvâtman) sont à l'origine du fait que nous nous sentons un moi, un individu. C'est le résultat de l'ahamkâra (littéralement l'"egofacteur"), le principe d'individuation.

Elles ont pour conséquence que nous effectuons la différence entre nous-même et notre environnement, entre le moi et le tu et toutes les choses qui nous environnent.

Comme nous effectuons des distinctions entre les choses et que nous les affectons de connotations affectives, nous voyons du beau et du laid, du désirable et du répugnant. Ainsi naît en bous le désir de posséder le beau et l'agréable et de repousser ce qui nous paraît désagréable. La conscience du mien et du tien conduit à la convoitise et à la jalousie,. Nous convoitons ce que nous n'avons pas, nous nous cramponnons à ce que nous possédons, agissons en vue d'obtenir ce qui nous manque.

Nous souffrons quand nous n'obtenons pas ce que nous désirons, luttons pour obtenir un bien désirable ou pour le conserver. Et nous souffrons à nouveau, quand nous ne parvenons pas à conserver ce que nous possédons, puisque tous les biens sont périssables et filent entre nos doigts.

A partir de ce principe d'individuation se développe l'égoïsme. S'il n'y avait pas d'ahamhâra dans notre organe psychique, il n'y aurait pas de séparation entre objet et sujet, et donc pas d'objets déparés de nous. S'il n' y avait pas d'objets séparés de nous, il n' y aurait pas de désir de les posséder. S'il n' y avait pas ce désir, nous ne nous cramponnerions pas aux choses, nous ne serions pas en quête de pouvoir, et nous ne nous impliquerions pas affectivement ou intellectuellement dans le monde des phénomènes.

L'ahamkâra est la cause de ce que je mette en rapport, j'ordonne des choses ou des personnes à moi en disant: "mon" enfant, "mon" conjoint, "mes" amis, "mon" argent, "mon" rôle dans la société.

 Le lien entre jîvâtman et karman

Si on admet l'existence de ce jîvâtman subtil, on peut se représenter l'effet subtil de l'acte (le karman) comme un facteur qui altère la qualité de cette substance subtile et de l'organe psychique qui s'y trouve.

Car cette substance subtile, comme tout ce qui existe, possède, selon le sâmkhya, trois qualités ou guna-s: le sattva (la lumière, le fin), le rajas (la mobilité, l'énergie) et le stama stama (l'inertie, le grossier).

Or, le karman altère le rapport de ces qualités dans l'organe interne. De bonnes actions le rendent plus fin, plus subtil, de mauves actions le rendent plus grossier.

Autrement dit, l'organe interne si essentiel à notre capacité de conscience est altéré par le karman.

C'est pourquoi, la qualité de l'organe interne que l'on se crée par ses propres actions durant le cours de la vie est déterminante pour la vie suivante.

C'est le yoga qui est chargé de la promotion de la qualité de cet organe interne.

 Bon et mauvais karman

Que l'on bénéficie d'un karman bon ou mauvais ne change d'ailleurs rien à l'affaire: on reste provisoirement dans le cycle des renaissance.

Ceux qui ont un mauvais karman en seront cependant libérés, quand Dieu reprendra en lui tous les êtres sans exception par un acte de pure grâce, en un acte de libération universelle périodique.

Selon le Vishnu-Purâna et d'autres, cet acte aura lieu à la fin de la vie de brahman (à la fin du para), soit 311.000 milliards d'années.

Les êtres bénéficiant d'un bon karman, ceux qui se trouvent dans le ciel (bhuvarloka), les renonçants (munis-s), les parfaits (siddha-s), les deva-s auront déjà l'occasion de sortir du cycle des renaissances à la fin d'un jour de Brahman (un kalpa), soit 4 milliards 320 millions d'années.

Ceux qui n'ont pas la patience d'attendre le fin d'un jour de Brahman ou la vie de la vie de Brahman, peuvent toujours tenter de sortir tout de suite du cycle des renaissances.

La condition sine qua non est de ne plus amasser de karman du tout et de détruire le karman précédemment accumulé. On peut ainsi quitter le cycle des renaissances par ses propres forces en dissolvant les liens karmiques existants et en en évitant de nouveaux, par l'ascèse (yoga), la méditation, ou la bhakti (selon la Bhagavad-Gîtâ)

Copyright Ralph Stehly. Reproduction autorisée uniquement à des fins non commerciales, et à la condition de citer l'auteur et le site.

La réincarnation et le christianisme  la réincarnation dans le bouddhisme

Bibliographie générale de l'hindouisme

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La Bhagavad-Gîtâ: la problématique, violence et non-violence, le message, chant 2, chant 4, Krishna Vichnou 

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