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Le  G.R.I.C.

 

par Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions à l'Université de Strasbourg

 

Les conclusions des travaux du GRIC 

Le GRIC est le Groupe de recherches islamo-chrétien dont les travaux et les conclusions sont édités dans l'ouvrage: Groupe de Recherches islamo-chrétien, Ces Ecritures qui nous questionnentLa Bible et le Coran, Paris, 1987

 

Le schéma de la Révélation commun au christianisme et à l'islam

Les théologiens (chrétiens et musulmans) du GRIC commencent par  établir un schéma commun de la Révélation valable pour les deux religions.

Selon les auteurs, dans le christianisme comme dans l'islam, le schéma de la Révélation peut se décrire ainsi: 

a) un événement inaugurateur qui comprend la Parole de Dieu, mais aussi plus

b) un texte original qui est l'objectivation de la Parole de Dieu

c) une communauté interprétative avec ses instances propres de régulation.

1) L'événement inaugurateur

L'événement inaugurateur, c'est l'événement par lequel la Parole de Dieu est devenue présente à la pensée et à la vie des hommes. On parlera donc globalement de l'évènement Jésus-Christ dont témoigne la toute première communauté chrétienne et dans lequel il faut inclure sa vie, son oeuvre, son message, et de l'avènement du Coran tel qu'il a été vécu, transmis et explicité par le Prophète. Cet événement inaugurateur suscite un témoignage dans un deuxième temps, qui devient lui-même une Ecriture dans un troisième temps.

2) Il n'y a jamais de révélation directe.

Il n' y a pas ni dans le christianisme, ni dans l'islam de parole de Dieu à l'état pur; la révélation suppose toujours une médiation humaine.

La Révélation est toujours parole de Dieu en langage humain. Cela s'applique à Jésus comme au Coran.

Même dans le cas de Jésus-Christ, qui est, aux yeux de la foi chrétienne, Verbe éternel de Dieu fait homme, son humanité est radicalement humaine et il s'est exprimé en langage humain, en araméen probablement.

Même dans le cas du Coran qui est, aux yeux, de la foi musulmane, la Parole de Dieu par excellence, cette Parole s'est exprimée en langage humain dans la langue arabe de la société de l'époque.

3) L'objectivation textuelle

Après l'objectivation orale, il y a, dans un troisième temps, objectivation textuelle, quand cette Parole de Dieu, suscitée par l'événement inaugurateur, devient Ecriture.

Cette Ecriture est ainsi inextricablement marquée par le témoignage de la foi de la communauté qui a reçu la Parole, dans laquelle cette Parole s'est objectivée, incarnée. La Parole est toujours reçue par une communauté de foi.

Le Nouveau Testament, comme le Coran, doivent aussi être compris comme des témoignages humains de la première communauté rassemblée par Jésus et Mohammed.

Note: C'est là une nouvelle compréhension du Coran par les musulmans, qui laisse présager des avancées théologiques dans le dialogue islamo-chrétien.

4) L'objectivation institutionnelle

Il y a aussi objectivation institutionnelle de la Parole de Dieu, qui se manifeste par la création d'instances de régulation, lesquelles réguleront la lecture et l'interprétation de l'Ecriture. Cela est nécessaire, parce qu'il n'y a d'accès à l'événement inaugurateur que par la médiation de la Parole de Dieu, elle-même objectivée textuellement.

Cette instance de régulation a été constituée dans le cas du christianisme primitif par les apôtres et les premiers disciples, relayés ensuite par le collège épiscopal, ce qui est devenu le Magistère dans le catholicisme et les conciles, et les assemblées synodales dans le protestantisme, et l'instance de régulation des théologiens.

Dans le cas de l'islam, ce furent les plus proches compagnons du Prophète qui explicitaient son enseignement, qui furent relayés ensuite par la classe des oulémas.

Islam et christianisme: un monothéisme commun, mais différent

Pour l'islam, Dieu est un,  infrangible et indivisible (Coran 112.2), pour le christianisme Dieu est un et pluriel à la fois, car le christianisme est incarnationniste, ce que l'islam n'est pas.

Position chrétienne possible concernant le Coran:

Les signataires ne pensent pas que l'Ecriture, quelle qu'elle soit (Bible ou Coran) puisse être l'expression exhaustive de la parole de Dieu: "Aucune parole humaine, même comme expression de la parole de Dieu lui-même, ne peut-être co-extensive à cette Parole, et l'exprimer exhaustivement. Il y a donc place, en principe, pour une expression de la parole de Dieu autre que celle dont témoigne notre propre Ecriture" (p. 76).

Le Coran peut donc être considéré par les chrétiens comme une autre expression de la Parole de Dieu, et l'islam comme un monothéisme qui met l'accent à la fois sur une unité interne infrangible (indivisible) de Dieu et sur l'absolue transcendance de Dieu, tandis que le christianisme croit en une unité différenciée de Dieu.

Position musulmane possible concernant la Bible

Traditionnellement, les musulmans accusent les chrétiens et les juifs de tahrîf, c-à-d d'avoir  "dévié" le texte biblique.

Les grands thèmes du tahrîf  portent selon le Coran sur:

1) Jésus, fils de Dieu:

Jésus est un prophète, il est le fils de Marie et non de Dieu (cf. Coran 61.6, 9.30, 72.3, 112,3, 5.116, 5.72, 5,17, 5.75, 5.73, 4.171), ce qui conduit les musulmans à la négation de toute divinité de Jésus, et à un refus d'une sacralisation exagérée de Marie.

Le Coran prend donc l'expression "fils de Dieu à la lettre" et il s'attaque à une conception humaine, charnelle des rapports entre Dieu, Marie et Jésus.

Les contributeurs pensent que toute interprétation métaphorique de la personne de Jésus qui s'éloigne de ce sens primitif peut être toléré par l'islam

2) la crucifixion

Le fameux verset 4.157  ("ils [les juifs] ne l'ont ni tué ni crucifié") nie la mort et la crucifixion de Jésus. Mais il pourrait être possible de voir dans ce verset une image signifiant que, même s'ils l'ont tué et crucifié, ils n'ont pas pu et ne pourront pas vaincre l'idéal qu'il prône.

De toutes façons,d'autres versets font allusion à la mort de Jésus: 3.55, 5.117, 5.17, 19.33.

En tout cas, les deux religions considèrent que la fin de Jésus fut "extra-ordinaire" et que Dieu l'a élevé vers lui, soit après sa mort et la résurrection (pour les chrétiens), soit sans mort ni crucifixion (pour les musulmans).

3) L'annonce de la prophétie de Mohammed

Cf. Coran 3.81, 2.129, 4.157

et 61.6:  " Je suis l'envoyé de Dieu, disait Jésus fils de Marie à son peuple. Je viens confirmer l'Ecriture qui m'a précédé et vous annoncer la venue du prophète qui me suivra et dont le nom est Ahmad ".

( cf. sur ce site les textes bibliques annonçant la venue de Mohammed selon les musulmans, voir ici)

 

Voici in extenso les propositions conclusives du GRIC (pp. 136-139):

" Cet aperçu sur les données de la Tradition musulmane indique que le phénomène de la révélation judéo-chrétienne est souvent présent dans la réflexion musulmane, même en dehors des ouvrages proprement polémiques. Il y a là une différence avec le christianisme, puisqu'il s'agit pour celui-ci de déterminer le statut d'une révélation postérieure à l'événement Jésus Christ, alors que, pour l'islam, le statut de la Bible est tranché depuis l'avènement du Coran : c'est une révélation particulière aux juifs et aux chrétiens, et dépassée par la révélation coranique destinée à toute l'humanité.

Deux conclusions importantes se dégagent de cette réflexion :

Le problème de reconnaître dans les Écritures chrétiennes une Parole de Dieu ne se pose donc pas pour le musulman. Reste à savoir si, au-delà de ce principe, les différents livres qui constituent la Bible sont conformes ou non aux messages transmis par les prophètes; si, en particulier, les évangiles du Nouveau Testament correspondent à l'Évangile de Jésus, à son message en paroles et en actes.

Le Nouveau Testament est formé, en effet, des quatre évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean, ainsi que des Actes des Apôtres, des Épîtres et de l'Apocalypse; Il ne contient donc pas uniquement le message de Jésus. Le Nouveau Testament contient l'interprétation du message de Jésus faite par les premières générations chrétiennes ; ses propres paroles y sont imbriquées dans le tissu des témoignages apostoliques.

Peut-on donc, d'un point de vue musulman, reconnaître dans le Nouveau Testament une expression de la Parole de Dieu ? Oui et non. Oui, dans la mesure où il contient les traces du message divin transmis par Jésus aux juifs, bien qu'il soit difficile de faire le partage, d'une façon certaine, entre ce qu'a dit effectivement Jésus et ce qu'il n'a pas dit. Non, dans la mesure où, si l'on n'admet pas l'intervention de l'Esprit Saint pour inspirer les auteurs du Nouveau Testament, c'est une production humaine à laquelle manque l'autorité du Messager. Tout ce qui relève du témoignage des contemporains de Jésus ou des traditions qui se sont formées à son sujet ne peut être considéré comme une Parole de Dieu.

On peut dire que le critère principal d'authenticité d'une révélation non musulmane, en l'occurrence la révélation chrétienne, n'est pas tant sa conformité ou sa non-contradiction avec le Coran que la fidélité de sa transmission d'après le prophète-messager.

La question du " tahrïf ", qu'on le prenne comme une corruption du texte ou comme une mauvaise interprétation, ne renvoie donc pas à autre chose qu'à cette distance entre le message révélé à Jésus et son objectivation textuelle, d'autant plus que le Nouveau Testament est l'expression d'une conception de l'Unicité et de la Transcendance de Dieu apparemment incompatible avec la conception coranique.

Cependant, telle qu'elle est, l'Écriture chrétienne peut intéresser le musulman. Il peut y trouver un accent mis sur certaines valeurs qui ne sont certes pas absentes dans le Coran, mais qui sont insuffisamment cultivées en milieu musulman, alors qu'elles sont fortement mises en relief dans le Nouveau Testament, telles que l'amour, le pardon, le refus de tout pharisaïsme, l'intérêt porté à l'esprit plutôt qu'à la lettre de la Loi, etc. Bien plus, tout en tenant compte de la différence du mode de révélation des Écritures chrétienne et musulmane, le musulman a tout intérêt à ne pas être braqué sur cette différence et à considérer ce qui est, dans la Bible, source de vie et susceptible de nourrir l'espérance et la spiritualité du croyant.

Nous pensons qu'en dépassant l'attitude négative qui consiste à voir dans les auteurs du Nouveau Testament des imposteurs qui ont consciemment falsifié et dénaturé le message de Jésus, plusieurs attitudes sont alors possibles. Elles ne sont d'ailleurs pas forcément exclusives :

Au plan doctrinal, nous croyons que les musulmans sont appelés, autant que les chrétiens, à déterminer le statut exact du témoignage interprétatif " autorisé " qu'est le Nouveau Testament. Considéré dans la seule mesure de sa fidélité au message de Jésus, c'est-à-dire à son Évangile, il devient un champ de recherche ouvert à la démarche critique et analytique. Il s'agit, en effet, de travailler à établir le degré de cohérence interne du Nouveau Testament par rapport à sa visée, qui est d'exprimer en termes d'expérience ce que Jésus a voulu dire en donnant à connaître à ses disciples la volonté de celui qui l'avait envoyé. Il y a là un regard que n'assume pas forcément l'analyse historico-critique et qui pourrait déboucher sur l'élaboration commune d'un nouveau concept du Message.

Au plan existentiel, il s'agirait de mettre l'accent sur les effets du texte canonisé par les chrétiens, sur la conscience et la vie de ceux qui s'en nourrissent, plutôt que sur son mode de production.

On ne peut alors s'empêcher de reconnaître que ce texte est pour eux un moyen d'accès privilégié à la foi au Dieu unique, au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, de Moïse, de Jésus et de Muhammad. Dieu se révèle à eux par son intermédiaire. A ce titre, il est digne de l'estime du musulman, car il est une voie qui mène à Dieu et à l'amour du prochain, c'est-à-dire à l'essentiel au regard de l'islam. Certes, cette voie est différente de la sienne à maints égards; elle n'est pas la meilleure à ses yeux. Mais il n'a pas à se substituer à Dieu lui-même pour la rejeter ou la disqualifier.

Dans cette perspective, nous préférons ne pas manipuler le concept — piégé — de Parole de Dieu, non seulement parce que, dans le christianisme, la Parole de Dieu est le Christ, mais aussi parce que la reconnaissance formelle est beaucoup moins importante qu'une approche ouverte qui tend à " se présenter devant Dieu avec un cœur pur " (Coran 26, 89). "

 

Sources:

Groupe de Recherches islamo-chrétien, Ces Ecritures qui nous questionnent, La Bible et le Coran, Paris, 1987

FEROLDI Vincent, Chrétiens et musulmans en dialogue: les identités en devenir, Travaux du GRIC (1996-2003), Paris 2003

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Bibliographie

1) Perspectives historiques

      La périodisation

       La vision islamique du monde à l'époque classique

       L'islam des origines et le christianisme:

               - le Prophète et les chrétiens

            le traitement légal des juifs et des chrétiens (le verset princeps, la mubâhala, les juifs, les dhimmi-s, le djihâd )

2) Perspectives théologiques: 

          Saint Jean Damascène 

         Textes bibliques annonçant la venue de Mohammed selon les théologiens musulmans

          Louis Massignon (sa vie, sa vision de l'islam, Vatican II, Bibliographie massignonienne )

          Le dialogue aujourd'hui:

                   -  Rappel historique

                   -   Les grandes phases

                    -   Le concile oecuménique de Vatican II (1962-1964)

                   -   Le Conseil oecuménique des Eglises (COE)

                   - L'Organisation de la conférence islamique (OCI)

                    - Le Groupe de recherches islamo-chrétien (GRIC)

                    -  Mohammed Talbi

                     - Le CERES (Tunis) (inspiration et révélation différences phénoménologiques et doctrinales entre la Bible et le Coran)

3) Perspectives comparées:

Langue sacrée

Tabous alimentaires           

 

 Bouddhisme Christianisme      Hindouisme    Islam    Judaïsme   Phénoménologie religieuse

 

 Francité