Cours du 24 janvier 2013

 

 

 L'unité de l'hindouisme

repose sur:

  1. La croyance en un principe éternel et fondamental, le Brahman [voir iciici , ici  et ici], l'Absolu-au-delà-duquel-il-n'y-a-plus-rien, identique à ce qu'il y a de plus profond en nous-même, l'âtman ou l'âme.

  2. La recherche fébrile d'un fondement ferme (le dharma), sue lequel bâtir sa vie et ses idéaux, et la conviction que sa propre existence et l'existence de sa culture et de sa communauté sont fondés sur une base éternelle et infaillible: le dharma (de la racine dhr "être ferme", cf. le latin "firmus"), d'où le nom de l'hindouisme en sanskrit "sanâtana dharma" ("norme socio-cosmique éternelle).

  3. La croyance que ce que nous sommes actuellement est le fruit d'une maturation qui s'est étalée sur des milliards d'années (une grande période cosmique, "para" = 311.000 milliards d'années), et que cette maturation va se poursuivre au besoin encore sur d'autres milliards d'années. C'est la doctrine du karman et de la réincarnation.

  4. La conviction profonde que la vocation de l'homme est de faire effort pour s'échapper de l'impermanence des choses et atteindre l'émancipation finale de la condition humaine.

  5. La reconnaissance d'un corpus de littérature religieuse (le Veda) comme une autorité absolue.

  6. Un polythéisme complexe qui s'est transmué au cours des siècles en un monothéisme original, sans que ce polythéisme ait jamais été renié. Cette évolution s'explique par une tendance à assimiler plutôt qu'à exclure. 

Sources:

L Renou, L'Inde classique, 2 vol., Paris, 1947

J Gonda, Les religions de l'Inde, 2 vol.,Paris, 1962, 1965

Ysé Tardan-Masquelier, Comprendre l'hindouisme, Paris, Bayard, 1999

Madeleine Biardeau , Clefs pour la pensée hindoue, Seghers

 

Les croyances fondamentales

 Le Brahman est l'unique réalité. Il n' y en a  pas d'autre. Cette affirmation est absolument centrale dans l'hindouisme et d'elle découlent deux corollaires.

1) L'identité entre le macrocosme et le microcosme, le monde de notre personne et le cosmos dans son ensemble sous-tendu par le Brahman. Notre personne est   structurée de la même manière que le cosmos qui est la face visible du Brahman. Il y a donc d'infinies et subtiles solidarités qui nous unissent au cosmos, dont nous sommes pour ainsi dire un résumé, et il y a une interaction constante entre le cosmos et nous-même.

De même, il y a des rythmes cosmiques dont nos rythmes intérieurs ne sont pour ainsi dire qu'une résonnance, en commençant par la séquence vie-mort-vie qui n'est que la traduction sur le plan du corps du rythme éménation-dissolution-émanation de l'univers en Brahman (mais aussi, par exemple, pour le coeur: diastole-systole-diastole...).

Les énergies qui circulent en  nous (prâna) ne sont autres que les énergies cosmiques qui circulent dans l'univers. Une saine hygiène de vie consistera donc à les accorder, à les harmoniser, à les syntoniser. C'est là l'une des ambitions du yoga.

Théologiquement, la pensée indienne exprime cette réalité en affirmant que les multiples divinités en activité dans le cosmos sont également en activité dans notre cosmos personnel, ç-à-d dans notre entité psychosomatique. Au soleil dans le cosmos correspond en nous le centre de notre énergie personnelle, de notre vitalité et de notre rayonnement.

Le Brahman est présent en nous sous la forme de notre âtman ("âme") individuel, l'âme étant le centre le plus profond de nous-mêmes. C'est le principe universellement admis dans l'hindouisme de l'identité entre ce qu'il y a de plus profond dans l'univers (le Brahman) et ce qu'il y a de plus profond en nous-mêmes (âtman)

2) Le cosmos dan s son entier, y compris nous-même n'est qu'une émanantion (srishti) ou une projection du Brahman. L'hindouisme ne parle pas en terme de création, mais d'émanation, de passage de l'Un au Multiple. Le cosmos est une matérialisation du Brahman, lequel se dématérialisera de nouveau à la fin de la présente période cosmique.

Il n' y a donc pas d'opposition entre le Brahman et le cosmos: le cosmos c'est du Brahman émané, matérialisé.

De même, il n' y a pas opposition entre les dieux et le Brahman. Dans la pluralité des dieux, l'homme occidental n'a longtemps vu qu'un polythéisme dégradé, alors que l'homme hindou n'y a toujours vu qu'une seule chose, c'est la grandiose articulation entre l'Un, c-à-d le Brahman et le Multiple. Car, bien entendu, le Brahman sous-tend les dieux, comme tout le reste d'ailleurs.

L'homme hindou ne raisonne jamais en termes d'opposition, mais en termes de complémentarité et d'articulation. Là où les religions sémitiques raisonnent en terme d'alternative: "c'est ceci OU cela", "c'est Dieu ou les dieux", l'hindouisme dira: "c'est ceci ET cela", "c'est ceci articulé à cela". C'est Dieu et les dieux, chacun existant sur un plan différent.

 

                                                             Les niveaux de l'être

1) Monde de la divinité

* Le Brahman ( L'Absolu-au-delà-duquel-il-n'y-a-plus-rien, impersonnel)

* Le Seigneur ou Ishvara (Dieu personnel, comme Vichnou ou Shiva)

                                                                                            |

                                                                                            |

                                                                     Krishna (incarnation de Vichnou)

* Aspects particuliers du Brahman (le Soleil etc…)

2) Monde de l'incarnation

3) Monde de la matière inorganique (pierres, etc…) non soumis à réincarnation, car sans âtman incarné

Voir Dieu et les dieux  

                                     La conception du monde : les  4 loka-s

 L'hindouisme en général, et le yoga en particulier, ne se comprendrait pas, si l'on oubliait qu'aux yeux des hindous, ce monde-ci n'est pas le seul, mais fait partie d'un immense complexe qu'on appelle le Sarvam en sanskrit, que l'on peut traduire par "univers".

Cet univers n'est pas seulement peuplé d'autres planètes et d'autres étoiles, mais comprend toutes les choses visibles et invisibles, d'abord tout ce qui relève des sens et de la perception, mais au-delà également, tout ce qui n'en relève pas, parce qu'il s'agit de choses qui sont au-delà de la perception.

L'idée centrale est qu'il existe une hiérarchie des mondes (loka). On distingue en général 4 loka.

Les quatre loka ou les quatre mondes

1) Le bhûr-loka est le monde où nous vivons, avec les végétaux et les animaux, tout ce qui est accessible à nos sens, tout de ce qui relève de la vue, de l'ouïe, du toucher, de l'odorat et du goût.

2) Le bhuvar-loka est au-dessus de la terre (ceci doit s'entendre hiérarchiquement, et non spatialement). C'est le monde intermédiaire (par rapport au nôtre qui lui est inférieur et au suivant qui lui est supérieur). C'est le domaine des esprits et des génies, bons ou mauvais. C'est un lieu, aussi, plus avantagé que nôtre: on y vit plus longtemps. Les Gandharva et les Apsara y subsistent pendant des centaines de siècles. On y jouit de facultés sensorielles et motrices supérieures aux nôtres: les génies voient n'importe quel point de ce monde-ci et s'y déplacent aussi vite que l'éclair. C'est le monde des deva-s, des divinités mineures (les divinités à karman). Sur les différentes sortes de divinités, voir ici (en bas de page).

3) Le svar-loka ou le svarga-loka. C'est le monde des dieux, séjour  de béatitude où brille la lumière perpétuelle. C'est le Ciel, le Para-deça  ("l'Autre Pays" ou "le Pays Suprême", le terme a donné Pardes en vieil-iranien et en hébreu, paradeison en grec et Paradis en français). C'est là que cohabitent les âmes vertueuses et les divinités qu'elles ont servies leur vie durant

4) Le Brahma-loka. L'ensemble des 3 mondes (bhûr, bhuvar, svar) est transcendé par un quatrième: c'est le Brahma-loka (monde du Brahman) qui est au-delà de toute définition. Il est en-dehors du temps et de l'espace, au-delà de l'être et du non-être, et bien entendu ne connaît aucune limitation . Il est permanent, alors que les trois autres sont transitoires: le Ciel même sera détruit avec les dieux qui s'y trouvent à la fin du cycle cosmique. Immuable, alors qu'ils évoluent, ferme alors qu'ils sont instables, le Brahma-loka est évidemment le monde idéal vers lequel doivent tendre les efforts de "ceux qui savent".

Notre corps

Notre corps fait partie du bhûr-loka. .

L'âme et le cycle des renaissances

L'âme appartient au brahmaloka. Elle est captive du corps, comme un oiseau dans une cage; l'image aura une fortune considérable, elle sera reprise dans la littérature iranienne chiite chez 'Attâr et Sohravardî (1155-1198) (dans Le récit de l'exil occidental, p. 274), dans la littérature juive intertestamentaire ("l'âme à l'étroit"), dans la gnose ("sôma sêma" c-à-d "le corps est une tombe").

 

Chronologie de l'hindouisme

 

Le Védisme (du milieu du 2ème millénaire avant notre ère jusqu'au - 7ème s.)

Polythéisme flamboyant qui met plus l'accent sur la multiplicité des forces à l'œuvre dans l'univers que sur leur unité; cependant la notion d'Un apparaît en Rig-Veda 10.129. L'on recherche aussi fébrilement derrière la multiplicité des divinités le fondement du monde (skambha) qui étaie le monde.

A cette époque-là, il n'y avait pas de temples. Le culte se faisait en plein air. Celui-ci était fondé essentiellement sur des sacrifices matériels (offrandes végétales, mais aussi à date ancienne offrandes animales, voir ici).

L'hindouisme ancien ( - 7ème s. à + 5ème s.)

Apparition de la doctrine de l'ahimsâ (non-nuisance, non-violence), montée de l'ascétisme (qui existait cependant déjà auparavant, cf Rig-Veda 10.136: hymne sur le Chevelu ou keçin). Cf. aussi 2.4.1 avec le dialogue entre Yajñavalkya et Maitreyî, où Y. annonce à son épouse Maitreyi son départ pour la vie érémitique.

Vers - 200 (?) : rédaction de la Bhagavad-Gîtâ, qui se présente comme une révélation de Krishna, incarnation de Vichnou.

Vers -300 extension du système des castes à toute l'Inde du Nord, système auquel on pouvait seulement échapper en menant une vie d'ermite (samnyâsin). La vie d'ermite était ouverte à tous sans distinction de caste ou de classe.

Au - 6ème et au - 5ème s. tout le nord-est de l'Inde était brahmanisé, et dès le - 6ème s. certains brahmanes avaient atteint Ceylan. Puis, au 1er et au 2ème s. de l'ère chrétienne, c'est le centre de l'Inde et le Deccan qui sont brahmanisés et déjà certaines provinces dravidiennes du Sud. Cette extension se fait pacifiquement par un lent travail en profondeur des brahmanes qui circulent dans toute la péninsule indienne.

Entre le -2ème s. et le + 1er s., l'hindouisme s'étend à toutes les régions du SE de l'Asie accessibles par mer: Indochine, Sumatra, Java et Bali.

Au - 2ème s. apparition des premières figurines de dieux et au + 3ème s. apparition des premiers temples construits.

Du - 4ème s. au + 3ème s. s'élabore l'immense épopée du Mahâbhârata.

Durant toute cette période, on assiste à une montée des deux grands dieux (souverains, Îçvara) Vichnou et Shiva.

 

Sources:

L Renou, L'Inde classique, 2 vol., Paris, 1947

J Gonda, Les religions de l'Inde, 2 vol.,Paris, 1962, 1965

Ysé Tardan-Masquelier, Comprendre l'hindouisme, Paris, Bayard, 1999

Madeleine Biardeau , Clefs pour la pensée hindoue, Seghers

Maurice Cocagnac, Les racines de l’âme hindoue,1984

Jean Herbert, L’hindouisme vivant, Robert Laffont

Id., La mythologie hindoue, son message, Spiritualités vivantes , Albin Michel

Id., Spiritualité hindoue, Spiritualités vivantes, Albin Michel