Cours du 2 février 2012

 

1ère heure:

3. L'hindouisme récent (à partir du + 5ème s.)

Le culte de Vichnou et de Shiva s'affermit définitivement.

A partir du + 7ème s. le culte dévotionnel de la bhakti (photo ) prend de plus en plus d'importance (accent mis sur la relation affective et personnelle avec Dieu, d'où chants, danses pour la divinité). C'est surtout dans le culte de Krishna, en tant qu'incarnation de Vichnou, que cette forme de culte se développe.

Apparition du système philosophico-théologique du Vedânta avec Shankara (8ème s.)

Apparition du tantrisme (autour du 10 ème s.). Les Tantras proposent une série de pratiques spirituelles permettant à l'adepte de dépasser sa condition humaine par le yoga, l'alchimie, la confection d'images de la divinité, la méditation sur des diagrammes sacrés (mandala-s, yantra-s)

Le tantrisme met l'accent sur l'énergie qui est à l'œuvre dans l'univers (macrocosme et microcosme): la çakti. (ou shakti) [sur la çakti et Shiva, voir ici, et aussi Râmakrishna au § Yogîshvarî]] . Cette notion n'est pas étrangère à l'hindouisme classique, mais ce dernier assimile cette énergie soit à l'Absolu lui-même (le Brahman), soit au pouvoir du Dieu souverain (Shiva, Vichnou…).

L'originalité du tantrisme est d'insister sur l'aspect féminin de la divinité suprême. Dans l'iconographie, la parèdre de Vichnou ou de Shiva est une figure de taille réduite que l'époux divin dépasse d'une tête au moins. Le tantrisme renverse la perspective et place au premier plan l'énergie créatrice féminine, laissant au dieu mâle une impassibilité qui le rend insignifiant.

Il y a un véritable féminisme des tantras. Etant faites à l'image de la Grande Mère (Grande Déesse), les femmes sont honorées et peuvent même enseigner. Les  veuves ont le droit de se remarier, et il est interdit de brûler les veuves (rite de la sati). Toutes les différences de castes sont abolies dans le tantrisme.

Sur le tantrisme voir: 

André Padoux, Comprendre le tantrisme, Spiritualités vivantes, Albin Michel, 2010

Cent douze méditations tantriques, Le Vijnâya-Bhairava-Tantra, traduit et commenté par Pierre FEUGA, Editions Accarias,  L'original, 2007

 

La littérature sacrée de l'hindouisme:

Elle se divise entre la Śruti et la Smriti.

La Śruti (Révélation védique) ou le Veda

Le Véda

Le Véda comprend 4 Védas:

  1. Le Rig-Veda (Veda des stances à la louange des dieux)
  2. Le Yajur-Veda (V. des formules rituelles)
  3. Le Sâma-Veda (V. des chants et des mélodies)
  4. L'Atharva-Veda (V. d'Atharvan)

Chacun des quatre Védas comporte à son tour:

  1. Un recueil de base, la samhitâ (la plupart du temps en vers), appelés mantras quand ils sont affectés à des rites.
  2. Une explication en prose: les Brâhmanas
  3. Une autre série de caractère plus ésotérique: les Âranyakas
  4. Des traités spéculatifs: les Upanishads

Chaque famille de brahmanes est spécialisée dans la transmission d'un Véda. Ainsi certains sont rig-vedin, d'autres sont yajur-vedin ou sâma-vedin, ou encore atharva-vedin 

      Les Samhitâ-s

La Rig-veda-samhitâ est le recueil de base dont sont dérivé les autres. Elle comporte 1028 hymnes réparties en 10462 stances, le premier étant dédié à Agni, patron du Rig-Veda. La place des hymnes de la RVS est comparable à celle des Psaumes dans la liturgie chrétienne. Ils constituent un trésor poétique dans lequel on puise pour trouver des prières ou des récitations liturgiques aux occasions les plus diverses (voir aussi ici)

La Sâma-veda-samhitâ consiste principalement en stances tirées de la RVS et adaptée à la récitation chantée. C'est le cantique avec des notations musicales et des indications de mélodies (voir aussi ici)

La Yajur-veda-samhitâ regroupe des formules en vers et en prose mêlés, directement affectés au culte et disposés dans l'ordre où elles sont utilisées dans les cérémonies.C'est la liturgie (voir aussi ici)

L'Atharva-veda-samhitâ contient des charmes magiques de longue vie, contre la maladie, la possession démoniaque, pour gagner l'amour d'autrui ou la richesse.

 

Sources:

L Renou, L'Inde classique, 2 vol., Paris, 1947

J Gonda, Les religions de l'Inde, 2 vol.,Paris, 1962, 1965

 

Bibliographie:

A. Textes de la Révélation védique (śruti)

1) Anthologies en français

Le Veda, ed. Jean Varenne, coll. Le Trésor spirituel de l'humanité, Paris, 1983

L. RENOU, Hymnes et prières du Veda, Paris, 1938

L. RENOU, Hymnes spéculatifs du Veda, Paris, 1956

L. RENOU, Etudes védiques et paninéennes, 17 fasc., Paris, 1956-1969

2) Traductions complètes des Veda (Samhita)

Rig-Veda, trad.allem. de K. F GELDNER, 4 vol., Cambridge, Mass., 1951-1957

Rig-Veda, trad. angl. de HH WILSON, 6 vol., 1977-1979

Sâma-Veda,  trad. angl. de R.T.H. GRIFFITH, Bénarès, 1893

Yajur-Veda (blanc), trad. angl. R.T.H. GRIFFITH, Bénarès, 1927

Atharva-Veda, trad. angl. de  W.D. WHITNEY, 2 vol, Cambridge, Mass., 1905

 

2ème heure: Agni

Hymne à Agni (RVS 1.1)

C'est l'hymne liminaire qui ouvre la Rig-veda-samhitâ. Agni est le dieu du feu domestique et sacrificiel. Le texte en marron est la traduction de Louis Renou. Les commentaires sont de Ralph Stehly. Sur Agni, voir ici.

Mètre gâyatrî en sanskrit archaïque. Chaque stance comporte 24 syllabes, donc 3 pieds octosyllabiques.Cet hymne est attribué à Madhucchandas, fils de Viçvâmitra, sur lequel on ne sait rien

Agni est invoqué  pour diriger le sacrifice, peut-être seulement la méditation du matin et du soir, (samdhyâ, voir ici). Les strophes 7-9 ont été utilisées par la suite pour l'agnyupasthana, appendice de l'agnihotra, oblation au feu que chaque maître de maison devait pratiquer quotidiennement le matin avant le lever du soleil et le soir après le coucher (voir ici). Sur le prâgnihotra, voir ici.  C'est un mantra, c-à-d un verset sacré affecté à un rite. Dans le recueil du Rig-Veda, il y a 200 hymnes (soit 1/5 du total) consacrées à Agni; du point de vue du nombre des hymnes, c'est la deuxième divinité en importance après Indra.

On entre ici de plain-pied dans le monde du sacrifice védique. Dans le sacrifice védique, il y a au total 16 ou 17 officiants, notamment:

le hotar: qui récite les stances du Rig-Veda et verse les oblations

l'adhvaryu: qui s'affaire sur le terrain sacrificiel, accomplit les gestes et récite les formules du Yajur-Veda,

l'udgâtar: qui chante les strophes du Sâma-Veda

le prêtre dénommé brahman (et non ici brahmane, sur les brahmanes voir ici)  veille silencieusement sur le bon déroulement des rites.

 

  1. Je chante Agni, le chapelain

    Le Dieu du sacrifice, le prêtre,

    L'oblateur qui nous comble de dons

    [ Commentaire: 1. chapelain = purohita , le préposé au culte, le prêtre domestique  2. "prêtre" traduit le skt rtvij ("officiant" l'un des 16 prêtres, voir ci-dessus). 3. L'oblateur traduit le skt hotar, également des 16 prêtres, voir ci-dessus). Il faut comprendre: " C'est Agni que j'invoque,  en tant que préposé au culte, dieu du sacrifice, officiant, oblateur conférant les trésor par excellence ( à celui qui commandite le sacrifice)"]

  2. Lui qu'ont chanté les prophètes,

    Nous le chanterons nous aussi;

    Puisse-t-il guider les dieux jusqu'à nous !

    [ les prophètes: en sanskrit les "rishi-s", sages qui ont reçu la Révélation védique. 3.Agni a pour fonction d'amener les dieux aux sacrifices ]

  3. Oui, puisse-t-on, par, lui, obtenir la fortune,

    La prospérité jour après jour,

    Glorieuse, riche en hommes de valeur !

  4. Car, Agni, le sacrifice, le rite

    Que tu circonscris de tous côtés;

    Accède seul au monde des dieux !

  5. Agni, l'oblateur, le poète puissant,

    Le véridique au renom très brillant,

    Le dieu ! qu'il vienne à nous avec les dieux !

  6. Et certes, Agni, lorsque tu décides

    De combler de biens ton fidèle,

    Cela, pour lui, se réalise, ô Angiras !

  7. Nous allons vers toi, Agni, jour après jour,

    Avec notre prière, vers toi qui brilles dans la nuit !

    Oui ! nous allons à toi, portant l'hommage,

    [ Commentaire: les strophes 7-9 sont utilisées comme mantra (un mantra est constitué d'une ou plusieurs stances védiques affectées à un rite) dans la cérémonie de l'agnyupasthana, appendice de l'agnihotra,  sacrifice solennel à 3 feux célébré par tout brahmane ou vaiçya, matin et soir. Il a lieu juste avant ou après le lever du soleil, et le soir à l'apparition de la première étoile. C'est une oblation à Agni de lait accompagné de substances végétales. Les foyers allumés et nettoyés, on amène la vache qu'on fait traire à un aryen, on chauffe l'écuelle où le lait a été versé, on y puise quelques cuillérées qu'on verse dans la "grande cuillère", de celle-ci dans le feu, en deux libations; enfin l'officiant boit le reste du lait contenu dans la cuillère; suivent des libations d'eau à plusieurs divinités. A ce rite se rattache donc l'agnyupasthana, "hommage au feu"]

  8. A toi qui règnes sur nos sacrifices,

          Agni, gardien de l'Ordre Cosmique, éclaireur,

         A toi qui crois en nos demeures !

           [Commentaire: Ordre Cosmique = rta ]

    9. Comme l'est un père pour son fils

         Sois-nous d'accès facile, Agni !

       Assiste-nous, pour notre bien-être !

                          (Traduction de Louis Renou, légèrement modifiée)

 

 Agni, Dieu de l'intimité familiale

Agni est le dieu de la sphère de l'intimité familiale. Sa place parmi les dieux est une place à part: c'est lui qui les fait venir du ciel sur la terre pour les sacrifices.

La fonction d'Agni est d'opérer la médiation entre les hommes et les dieux . Agni va chercher les dieux dans leur monde céleste (le svarga-loka) et les conduit à l'autel du sacrifiant pour y entendre les prières : cf Rig-Veda 1.1.7: " Nous allons vers toi, Agni, avec nos prières, jour après jour, vers toi qui brilles dans la nuit !"

Il est invoqué lors de tous les samskâra-s, les sacrements védiques.

Lors de la cérémonie du mariage (qui est un sacrement dans l'hindouisme), on lui sacrifie en priant pour la mariée:

"Puisse Agni, le feu du foyer, la protéger

Puisse-t-il conduire sa progéniture à un âge avancé

Que sa matrice soit bénie, qu'elle soit mère d'enfants vivants

Puisse-t-elle se réjouir de ses fils ! "

La cérémonie principale du mariage,qui rend celui-ci indissoluble, est le saptapati: le couple fait sept pas autour du feu sacrificiel.

Dix jours après la naissance d'un enfant, on offre un sacrifice à Agni en disant:

"Qu'Agni, le splendide, te donne vie aujourd'hui.

Donne-nous longue durée de vie,

Donne la vie, Agni ,

Toi qui est fortifié par les offrandes...

Bois le beurre, doux miel de la vache;

Veille sur cet enfant, comme un père sur son fils".

Les textes insistent sur l'amitié du dieu du foyer qui partage l'habitation des gens, qui accompagne leur vie, jour après jour, et voyait grandir les nouvelles générations.

 Le feu du maître de maison était éteint après l'extinction du bûcher funéraire et s'éteignait donc avec sa mort. Un maître de maison veuf ne pouvait plus sacrifier, mais gardait le feu pour sa propre crémation.

Agni  est  aussi le gardien de l'Ordre Cosmique (rta).

 

Sources:

Benjamin Walker, Hindu World, An Encyclopedic Survey of Hinduism, New Delhi, 1983

Jean Varenne, Cosmogonies védiques, Les Belles Lettres

L Renou, L'Inde classique, 2 vol., Paris, 1947

J Gonda, Les religions de l'Inde, 2 vol.,Paris, 1962, 1965

 

 

Le Rta ou l'Ordre cosmique

A la base de la notion de rta (ou rita), il y a l'idée du retour régulier des phénomènes cosmiques, leur caractère immuable et toujours conforme à eux-mêmes.

Si les fleuves coulent normalement, c'est qu'ils coulent selon le rta. Si l'aurore luit normalement tous les matins on dit que "l'aurore née du ciel luit selon le rta"

Dans la sphère cosmique, si les choses se déroulent comme il faut, elles se déroulent selon le rta.

Dans la sphère humaine, agir selon le rta, c'est agir selon la loi morale (et plus tard agir selon le dharma) c'est agir selon la fonction que le samsâra (cycle des renaissances) nous  a assignée. On parlera alors de  svadharma, le dharma propre à chaque classe, et finalement à chaque individu (voir la Bhagavad-Gîtâ).

Dans la sphère cultuelle, agir selon le rta, c'est d'abord accomplir les rites correctement selon les règles. Mieux, l'idée prévaut dans le Rig-Veda que l'acte sacrificiel reflète la norme de l'univers tout entier. Cette norme y vit. Il y a syntonie entre rta cultuel et le rta cosmique. Le sacrifice maintient le rta. Dans l'Inde actuelle on pense que la présente période cosmique se terminera quand le dernier  brahmane aura accompli le dernier sacrifice. Sur le sens du sacrifice, voir les cinq grands sacrifices quotidiens et la quadruple dette.

Le lien entre le rta et le sacrifice est parfaitement illustré par l'idée suivante: Certes si se soleil se lève tous les matins, c'est selon le rta, mais s'il se lève aussi, c'est parce que tous les matins au lever du soleil est célébré l'agnihotra, lequel maintient le rta.

D'où l'idée qu'Agni(1) le dieu du feu sacrificiel est gardien de l'ordre cosmique.

Dans l'Inde post-védique, on emploiera plutôt dharma que rta.

Le contraire du rta, c'est la nirrti (de la même racine R ). Alors que le rta est la force structurante du monde, la force de cohésion, la nirriti est la force de déstructuration du monde. C'est le contre-poids équipollent du rta (L. Renou, L'Inde fondamentale, p. 127).

Dans le rta, il y a également la notion d'harmonie: il s'agit pour l'homme de vivre conformément au rta ou au dharma, c-à-d en harmonie avec les rythmes cosmiques (voir ici)

 

 

Sources:

L Renou, L'Inde classique, 2 vol., Paris, 1947

J Gonda, Les religions de l'Inde, 2 vol.,Paris, 1962, 1965

Le Veda, ed. Jean Varenne, coll. Le Trésor spirituel de l'humanité, Paris, 1983

L. RENOU, Hymnes et prières du Veda, Paris, 1938

L. RENOU, Hymnes spéculatifs du Veda, Paris, 1956

L. RENOU, Etudes védiques et paninéennes, 17 fasc., Paris, 1956-1969