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La niyya ou la pureté de l'intention

 

© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg

 

Texte du Sahîh de Bukhârî 1.1.1:

 

Isnâd (chaîne des garants) : Al-Humaydî 'Abd Allâh b. az-Zubayr (1) nous (2) a transmis en disant : Sufyân (3) nous a transmis par tradition orale de maître à élève, en disant: Yahyà b. Sa'îd al-Ansârî (4) nous a transmis en disant: Muhammad b. Ibrâhîm at-Taymî (5) nous a rapporté qu'il a entendu 'Alqama b. Waqqâs al-Laythî (6) dire: "  J'ai entendu 'Umar b. al-Khattâb dire alors qu’il était en chaire " : " J'ai entendu l'Envoyé de Dieu prononcer ces paroles ":

 " (1) Les actes ne [valent] que par les intentions

(2) A chacun seulement selon ses intentions .

        (3) Quiconque aura émigré pour un profit matériel quelconque ou en vue d'épouser une femme, son émigration ne [vaudra] que pour ce en vertu de quoi il aura émigré ".

(Notes en bas de page, Q=Qastallânî)

                 

          Ce hadith, l'un des plus célèbres de l'islam (il est inscrit sur la Porte des Barbiers d'Al-Azhar au Caire), est mentionné sept fois, dans différentes versions, chez Bukhârî: comme hadith liminaire et principe théologique fondamental en 1.1.1 et dans Le Kitâb al-îmân ("Livre de la foi") (2.41), comme principe juridique dans le Kitâb al-'itq ("Livre de l'affranchissement") (49.6.2), dans le Kitâb an-nikâh ("Livre du mariage") (67.5.1), le Kitâb al-aymân wa n-nudhûr ("Livre des serments et des voeux") (83.23.1) et le Kitâb al-hiyal ("Livres des ruses juridiques") (90.1.1). Tout cela est parfaitement justifié puisque l'intention (niyya), dont ce dit célèbre la valeur pour la validité des actes, il est vrai aux yeux de Dieu, est requise en droit islamique pour les actes rituels et juridiques les plus divers, notamment pour l'affranchissement de l'esclave, le mariage et les serments. Il est cité également dans le Kitâb manâqib al-Ansâr ("Livre des hauts faits des Auxiliaires") sous le bâb al-hidjra ("chapitre de l'Émigration"), ce qui n'est guère non plus étonnant, puisque, pour appuyer le principe fondamental qu'il énonce, le Prophète cite l'exemple de l'émigration.

               Tous les commentateurs conviennent du caractère absolument fondamental et sublime de ce hadith. Il constitue le pivot ou l'axe de l'islam (madâr al-islâm Q 1.56 1.). Il représente un tiers de l'islam (Shâfi'î in Naw 13.53 ad Mu 13.155 ). Un tiers de la Science aux dires de Shâfi'î et d'Ahmad b. Hanbal (Q 1.56), ou même la moitié s’y trouverait ( ibid.). C'est pour cette raison que Bukhârî l'a placé en tête de son recueil (13.54) et que, selon Shâfi'î, il entre dans pas moins de 70 chapitres de fiqh. Abû Dâ’ûd (1.56) considère ce hadith comme l'une des quatre traditions fondamentales de l'islam les trois autres étant:

  1. min husni islâmi l-mar'i tarkuhu mâ lâ ya'nîhi
  2. lâ yakûnu l-mu'minu mu'minan hattà yar'dà li akhîhi ma yardà li nafsihi
  3. al-halâlu bayyinun wa l-harâmu bayyinun 

"C'est pour le fidèle l'expression la plus parfaite du don de soi-même à Dieu (islâm) que de laisser de côté ce qui ne le regarde pas".

          "Un croyant n'est véritablement croyant que pour autant qu'il souhaite pour son frère ce qu'il souhaite pour lui-même"

" Ce qui est licite l'est de toute évidence; ce qui est illicite l'est aussi."

 

REMARQUES TEXTUELLES

La mention du minbar (chaire)  suscite immédiatement une atmosphère sacrale, confirmée par la formule sami'tu rasûla Llâhi yaqûlu ("J'ai entendu l'Envoyé de Dieu dire"). Ce n'est pas une parole profane qui est citée, mais une parole extra-ordinaire, une parole fondatrice.

'arnal : désigne l'acte ou l'action.  Il s’agit de l’ "oeuvre " au sens théologique du terme, c-à-d de l'acte, en tant qu'ordonné à une fin.

niyya: de la racine nwy signifiant "avoir l'intention de". C'est le "noyau" (nawâ) de l'acte, son ressort le plus secret.

dunyâ: de la racine dnw "être proche", désigne le monde proche, le monde quotidien, des préoccupations matérielles (par opposition à âkhira,  l'Autre Monde, le monde eschatologique). Il faut entendre ce terme au sens d' "affaire mondaine", "préoccupation matérielle", "profit matériel immédiat".

nakaha: a un sens sexuel très prononcé. Le sens primitif est "percer", d'où "pénétrer une femme, avoir des relations sexuelles avec elle ". La plupart des versions ont d'ailleurs le terme moins cru de tazawwadja "se marier, former un couple".

Le vocabulaire est le vocabulaire fondamental de la vie: l'être humain, la femme (mra'a), la jouissance sexuelle, le coït (nakaha), la recherche du profit immédiat (asâba dunyà), le déplacement (hidjra), l'intention profonde et secrète {niyya) qui anime nos actes ('amal). C'est toute la constellation de la vie qui est en jeu ici: il n' y a point de vie sans action, sans intention d'agir, sans sexualité, sans recherche du plaisir, sans hommes, ni femmes. 

La sphère du religieux n'est jamais une sphère à part dans les textes musulmans.

Elle sous-tend toute la vie quotidienne exemplifiée ici par les deux activités essentielles de l'être humain: la recherche du profit matériel  (dunyâ) et la recherche de la jouissance sexuelle (nikâh)  (la troisième étant selon la tradition la recherche de la Science).

 Le point de vue est ici eschatologique: la rétribution de l'acte par Dieu (au Jugement dernier) est fonction de l'intention.

L'idée principale est qu'il convient d'être pleinement conscient des actes que l'on accomplit, surtout les actes rituels, qui ne doivent pas être accomplis mécaniquement. Le but aussi est de combattre toute attitude ostentatoire (voir ci-dessous § Le culte pur).

Selon les commentateurs:

le lieu de l'intention est le coeur. Il convient donc d'articuler  une formule marquant l'intention d'accomplir telle ou telle action rituelle, mais pas à l'improviste et sans concentration.  Il vaut de toute façon mieux articuler explicitement oralement l'intention, parce que " la langue aide le coeur ", en disant par exemple "maintenant j'ai l'intention d'accomplir les ablutions mineures" ou "maintenant j'ai l'intention d'accomplir la prière de l'aurore".

Le but recherché, c'est de "discriminer l'action cultuelle de l'habitude ( Q 1.53).

Le moment où l'on formule l'intention: le début de l'acte, par exemple au début des ablutions.

La source de l'intention est unique: c'est le culte pur et sincère voué à Dieu {ikhlâs) Q L52).

L'intention est requise pour tous les actes cultuels (prière, aumône, jeûne, pèlerinage, retraite pieuse ...), ainsi que dans la répudiation, l'affranchissement des  esclaves et dans l'établissement du délit de calomnie {qadhf, Naw 13.54).

Verset 2: "A chacun seulement selon ses intentions"

Cette parole signifie que la rétribution eschatologique est individualisée. Chacun devra rendre compte personnellement de ses actes et de ses intentions au Jugement Dernier

Verset 3: "Quiconque aura émigré pour un profit matériel quelconque ou en vue d'épouser une femme, son émigration ne [vaudra] que pour ce en vertu de quoi il aura émigré "

Ce membre de phrase concernait, selon Qastallânï, 'Asqalânî et Nawawî, un homme qui émigra de La Mecque à Médine (voir le paragraphe sur l'hégire ici ) pour épouser une femme nommée Umm Qays,  quelqu'un donc qui avait l'intention, tout à la fois, de fuir la "maison de l'impiété" (La Mecque) et d'épouser une femme. Un tel agissement n'est pas mauvais en soi, et n'est pas non dépourvu de validité. Simplement, souligne Nawawî, il n'a pas la même valeur  que l'acte d'un muhâdjir dont l'émigration était pure de toute raison adventice (Na), qui n'a donc émigré que pour le visage de Dieu (Q).

Cela ne veut pas dire non plus que l'acte d'un émigré qui a lié son émigration à des recherches matrimoniales soit sans valeur aux yeux de Dieu, simplement son émigration se situe à un degré inférieur par rapport à quelqu'un qui a recherché l'émigration pour elle-même (Q).

Ce qui est blâmé ici indirectement, ce n'est pas le fait de chercher femme, mais de l'avoir fait sous couvert d'une émigration "pure".

'Asqalânî (1.22) ajoute d'autres considérations encore: ce hadith ferait allusion à la coutume suivante. Les Arabes ne se mariaient pas à des affranchis et prenaient en compte l'égalité de lignée. Quand vint l'islam, tous les musulmans ont été mis sur un pied d'égalité en ce qui concerne le mariage. Beaucoup de musulmans émigrèrent donc à Médine pour épouser celles qu'ils n'auraient pas pu épouser auparavant. Le muhâdjir en question était un affranchi et Umm Qays arabe.

Le culte pur (ikhlâs)

 L'ikhlâs est le contraire d'une attitude ostentatoire (riyâ'), c'est le culte pur et sincère. Son summum est de ne pas aimer la louange des gens, selon un hadîth d'Abû Ya'qûb al-Makfûf. Quand au mukhlis (celui qui s'adonne au culte pur), c'est, selon Dhahabîquiconque cèle les bonnes actions de la même manière qu'il cèle les mauvaises

On trouve  des hadîth-s qui définissent l'ikhlâs comme une intimité exclusive avec Dieu. Ainsi Dieu, dit-il, de l 'ikhlâs dans un hadîth cité par Hasan al-Bas :

"C'est un Mien secret que Je confie au coeur de celles de Mes créatures que J'aime".

C'est dans cette voie que Ghazâlî s'est engagée.

L'ikhlâs c'est, pour lui, dépouiller le désir de se rapprocher de Dieu de tous les éléments adventices qui pourraient l'entacher (shâ'iba). Par exemple: jeûner en vue de Dieu seul, et non par hygiène, affranchir un esclave en vue de Dieu seul et non à cause de son mauvais caractère. C'est: "suivre la Voie Droite selon ce qui t'a été ordonné, ne pas adorer ni tes passions, ni ta personne (nafs), n'adorer que ton Seigneur, suivre la Voie Droite dans son Culte, comme il t'a été ordonné. C'est couper de la trajectoire du regard tout ce qui n'est pas Dieu".

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Notes:   Q=Qastallânî

  1. Abu Bakr 'Abd Allah b. az-Zubayr b 'Isà al-Humaydî al-Asadî (m. à La Mecque en 219/834), originaire de La Mecque, accompagna par la suite Shâfi'î en Egypte. Bukhârî cite directement ses hadiths en 33 passages (notamment 3.16.1, 5.8.1, 9.16.1), tandis qu'il les cite d'après d'autres sources en environ 40 autres passages. On a de lui un Musnad (Qastallânî 1.51, FS p.101-102).
  2. Le pronom "nous" renvoie à Bukhârî.
  3. Sufyân b. 'Uyayna b. Maymûn al-Hilâlî ( né à Kûfa en 107/725 et mort à La Mecque en 196 ou 198/813), tâbi'î (musulman de la deuxième génération), fut un grand muhaddith (traditionniste) , mufassir (commentateur) et faqîh (théologien-juriste) (Q ibid^ FS p. 96). Selon 'Asqalânî (1.12), il transmit des traditions de soixante-dix tâbi'î.
  4. Abu Sa'îd Yahyà b. Sa'îd b. Qays al-Ansârî (mort à Basra en 143/760) , tâbi'î, a transmis de nombreuses traditions de Compagnons du Prophète, notamment d'Anas b. Mâlik. Zuhrî, Mâlik, Awzâ'î, Sufyân al-Thawri et Shu'ba ont transmis des traditions de lui (Q ibid., FS p.407).
  5. Muhammad b. Ibrâhîm b. al-Harth at-Taymî, mort en 120/738 (Q ibid.).

 6. Abu Wâqid 'Alqama b. Waqqâs al-Laythi, mort à Médine à l'époque de 'Abd al-Malik b. Marwàn (m. 89/705). Certains le classent parmi les Sahâba (compagnons du Prophète, donc musulmans de la première génération), d'autres parmi les tâbi'î (Q ibid.).

7. Abu Hafsa 'Umar b. al-Khattâb (La Mecque v. 581 - Médine 26 Dhû 1-Hijja 23/3 nov. 644), beau-père du Prophète et calife (634-644).

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